Chapitre II : Masques et carnavals.

La mort s’invite au bal et peut, de manière plus générale, accompagner les humains dans leurs divertissements. « On l’a vue présente au Carnaval d’Aix-en-Provence ; elle apparaît également le soir d’un jour de carnaval, à Florence, nous rapporte Langlois. « On ne se contentait pas de mettre la Mort en scène dans de grandes cérémonies, dans des représentations théâtrales édifiantes, « on l’introduisait encore dans des pièces comiques, dans des danses ordinaires, et surtout dans les farces de Carnaval ». 1811» Michel Vovelle commente ainsi une page de Heine évoquant théâtralement l’épidémie de choléra à Paris en 1831, au coeur des réjouissances du carnaval : « dans l’étourdissement du spectacle, un des danseurs se démasque, dévoilant les stigmates du mal. Cette irruption de la mort au milieu de la vie retrouve, dans l’iconographie du temps, les traits de l’ancienne danse macabre 1812».

Lors du carnaval comme lors du bal c’est au moment où la fête culmine, où tout respire l’insouciance, que la mort fait son apparition. Suivant ces paroles de Victor Hugo, nous pouvons voir là une résurgence romantique du thème de la danse macabre : « L’homme danse volontiers la danse macabre, et, ce qui est bizarre, il la danse sans le savoir. C’est à l’heure où il est le plus gai qu’il est le plus funèbre. Un bal en carnaval, c’est une fête aux fantômes. Le domino est peu distinct du linceul. Quoi de plus lugubre que le masque, face morte promenée dans les joies ! L’homme rit sous cette mort. La ronde du sabbat semble s’être abattue à l’opéra, et l’archet de Musard pourrait être fait d’un tibia. Nul choix possible entre le masque et la larve. 1813»

Les morts ouvraient les danses macabres en dansant et en jouant de divers instruments et il leur arrivait parfois de prendre le ton de l’amuseur public, du baladin. Les représentations théâtrales des danses se composaient «  probablement de moralité, conséquemment de scènes parlées, et très certainement de simples pantomimes ». Ce spectacle « était parfois entremêlé d’intermèdes bouffons dans lequel le fou ou le sot ... égayait les spectateurs » nous dit encore Langlois1814. Ces personnages vont être intégrés dans les danses les plus tardives : le sot entre en 1846 dans la danse de Guyot Marchant, la sotte figurera à son tour dans la Danse des femmes de 1491 et nous trouvons le bouffon ou le fou dans les fresques de Berne et de Bâle. « Ce qui est certain c’est que, surtout au XVe siècle, la Mort ne se contente plus seulement de moraliser, de paraître sérieuse et terrible, de susciter la terreur et la dévotion. Maintenant, avec le froc du sermonneur, elle arbore la casaque du jongleur, du fou, du sot. Elle gambade, elle saute, elle mène la danse, elle joue du tambourin, de la harpe, du fifre, de l’orgue portatif. Tout en restant hideuse, elle veut être facétieuse. Elle devient grotesque et vraiment « macabre ». Dans ses attitudes et dans ses exploits, comme peut-être dans son origine, c’est tout l’esprit de parodie, le goût mimique et jongleresque, le mauvais goût et l’insensibilité du moyen âge. La Mort-baladin va connaître un succès inouï. 1815»

C’est dans ce monde où les rôles sont inversés que nous allons terminer notre cheminement à travers les danses macabres. Les statues reviennent à la vie dans la « Nuit du Walpurgis classique » de Verlaine alors que les spectateurs de l’opéra ont emprunté les traits de la mort dans la « Lanterne magique » de Lorrain ; l’arlequine est frôlée par les ombres des morts dans le « Crépuscule » d’Apollinaire ; le carnaval se teinte de tristesse et d’angoisse dans la « Lettre à M. de Lamartine » de Musset et « Les trous du masque » de Lorrain, textes que nous rapprocherons d’un passage des Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke.

Notes
1811.

BARGUES ROLLINS Y., Le Pas de Flaubert, op. cit., p. 32.

1812.

Op. cit., p. 517.

1813.

Promontorium Somnii, vol. 42, 19, cité par BARGUES ROLLINS Y., Le Pas de Flaubert, op. cit., p. 33.

1814.

Ibid., p. 31.

1815.

SICILIANO Italo, François Villon et les thèmes poétiques du Moyen Age, Paris : Librairie A. Nizet, 1971, p. 244.