II.3. Fête et carnaval.

II.3.1. Fête et bien être.

Plusieurs de nos textes se déroulent lors du carnaval : « C’était en février, au temps du carnaval 1857», « Car c’était le soir, et de plus carnaval 1858», « dehors les cornets à bouquin et les cris exaspérés d’un soir de carnaval m’arrivaient confus du Boulevard 1859».

« Le carnaval est une expérience plurielle, avec des dates fluctuantes, des scénarios multiples, des mythes d’origine variés. Il mobilise les sociétés qui l’organisent pour des motifs différents, mais toujours dans le même but : provoquer une irruption de joie dans le quotidien, effacer le terne, rénover le temps, faire venir le printemps et créer une vraie communauté festive. 1860» La douce ambiance de la fête ou des moments de bien être, apparaît furtivement dans tous nos passages.

Le poète se promène « un soir d’été » dans un jardin « correct, ridicule et charmant 1861». Arlequin offre un tour de magie aux « sorciers venus de Bohême », aux « fées » et aux « enchanteurs » :

« Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu 1862»

Cet instant merveilleux semble volé au temps et gomme la tentation de suicide du personnage féminin. Dans la « Lanterne magique », le spectacle de l’opéra permet d’oublier le monde réel et ses contingences. « L’orchestre Colonne venait d’exécuter en sourdine, du fin bout de l’archet, toute cette délicieuse partie du Sommeil de Faust, le Choeur des Esprit et la Danse des Sylphes. » Les adjectifs « fin » et « délicieuse » transcrivent la délicatesse de l’interprétation qui plonge le narrateur dans des « rêveries esthétiques ». De même que les spectateurs qui assistent au tour d’Arlequin ou que le poète qui se promène dans un parc à la beauté mystérieuse, il est transporté dans un univers de rêve, il se retrouve « sous le charme », au sens magique du terme, de « cette hallucinante musique 1863».

Les individus qui se retrouvent plongés dans l’ambiance du carnaval ne font que constater l’existence d’une atmosphère festive. L’un, suivant les indications de son ami, s’est préparé pour la fête : « enveloppé dans les plis bruissants d’un long camail, un masque de velours à barbe de satin assujetti derrière les oreilles, j’attendais mon ami de Jakels dans ma garçonnière de la rue Taitbout 1864». Les autres se retrouvent à leur insu au milieu de la fête. Dans la rue les gens laissent éclater leur joie, « Partout retentissait comme une joie étrange 1865», « les gens, qui avaient du temps à eux, flottaient et se frottaient les uns aux autres. Et leurs visages étaient pleins de la lumière des éventaires (...) 1866». La simple description de cet état de fête indique déjà que nos personnages occupent une position de témoin et non d’acteur. L’un attend et n’apprécie guère le déguisement, ses pieds sont « irrités » « sous le contact inaccoutumé de la soie 1867», le second trouve cette joie « étrange » et Malte ressent déjà la foule comme un monstre étouffant qui nuit à la liberté de mouvement des individus : les gens « se frottaient les uns aux autres ». Tous vont rapidement se trouver exclus de cette fête qui va pour eux prendre des allures de cauchemar.

Notes
1857.

MUSSET A. de., op. cit., p. 274.

1858.

RILKE R.M., op. cit., p. 48.

1859.

LORRAIN J., « Les trous du masque », op. cit., p. 70.

1860.

SIKE Yvonne de, Les masques, rites et symboles en Europe, Turin (Italie) : éditions de La Martinière, 1998, p. 95.

1861.

VERLAINE P., op. cit., p. 71.

1862.

APOLLINAIRE G., op. cit., p. 64.

1863.

LORRAIN J., op. cit., p. 38.

1864.

Id., « Les trous du masque », op. cit., p. 70.

1865.

MUSSET A. de., op. cit., p. 274.

1866.

RILKE R.M., op. cit., p. 48.

1867.

LORRAIN J., « Les trous du masque », op. cit., p. 70.