II.3.2. Fête « macabre »

L’intrusion de ce que nous nommerons le « sabbat » pour reprendre les termes de Verlaine et, nous allons le voir, de Lorrain, est annoncée de la même façon que dans les danses macabres par un élément, musique ou bruit, qui crée un point de rupture.

II.3.2.1. Les cohortes de la nuit.

« Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique
Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
L’air de chasse de Tannhäuser. 1868»

« Pour créer l’atmosphère de son évocation, Verlaine tire ici un effet très heureux, et assez neuf, de la musique. Il choisit naturellement une musique récente et c’est l’apparition du wagnérisme dans la poésie française (...). Verlaine pense sans doute au Vénusberg plus qu’à « l’air de chasse ». 1869» Mais l’utilisation de ce dernier n’est pas innocente et doit à mon avis être rapprochée des thèmes du chasseur diabolique et de la chasse infernale. Le chasseur diabolique est un démon lancé à la poursuite d’une personne, il surgit à cheval et signale son arrivée en soufflant dans un cor : « Et voilà qu’on entendit au loin un bruit ressemblant à celui d’un chasseur soufflant de façon horrible dans son cor, puis les aboiements de chiens de chasse qui le précédaient. 1870» Les chasses infernales menées par Hellequin ou Herla et dont nous avons déjà parlé, peuvent également être annoncées par le son du cor, voici « l’apparition que notent la Laud chronicl anglo-saxonne et celle de Hugh Candidus pour l’année 1127 :

‘« Peu après, de nombreuses personnes virent et entendirent passer de nombreux chasseurs ; ils étaient noirs, grands et repoussants ; leurs chiens étaient tout noirs, laids et avaient de grands yeux. Ils chevauchaient des destriers et des boucs noirs. On les vit aussi dans la ville de Burth et dans toutes les forêts entre cette ville et Stanford. Les moines entendirent sonner les cors que les chasseurs faisaient retentir le soir ». 1871»’

Paul Verlaine attribue au cor les mêmes connotations contradictoires que nous avons rencontrées au moyen âge :

« Des chants voilés de cors lointains où la tendresse
Des sens étreint l’effroi de l’âme en des accords
Harmonieusement dissonants dans l’ivresse ;
Et voici qu’à l’appel des cors
S’entrelacent soudain des formes toutes blanches (...). 1872»

Le cor, jouant un air de chasse, annonce l’hallali et provoque inévitablement « l’effroi de l’âme » et pourtant cet air de chasse, ainsi que le souligne la répétition en chiasme des adjectifs qui miment le son de l’instrument, reste paradoxalement « mélancolique », « sourd, lent et doux ». L’oxymore « Harmonieusement dissonants » met en relief la tonalité des « accords » qui portent en eux la double caractéristique de la musique du diable. L’ambiguïté se poursuit puisque les « formes blanches » se transforment en de « fébriles fantômes 1873».

Notes
1868.

VERLAINE P., op. cit., p. 71.

1869.

AGUETTANT L., op. cit., pp. 46-47.

La première représentation de Tannhaüser eut lieu le 13 mars 1861.

1870.

LECOUTEUX C., Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au moyen âge, op. cit., p. 56. (Extrait du texte de Césaire de Heisterbach, XIIIe siècle, Dialogus miracolum atque magnum visionum).

1871.

Ibid., p. 90.

1872.

Op. cit., p. 71.

1873.

Ibid., p. 72.