II.3.3. Orgie et débauche.

« Dans son poème Musset rappelle que sa première trahison a eu lieu pendant la période de carnaval, la description insiste sur l’avilissement de la fête 1886» :

« C’était en février, au temps de carnaval.
Les masques avinés se croisaient dans la fange,
S’accostaient d’une injure ou d’un refrain banal.
Dans un carrosse ouvert une troupe entassée
Paraissait par moments sous le ciel pluvieux,
Puis se perdait au loin dans la ville insensée,
Hurlant un hymne impur sous la résine en feux. 1887»

Le personnage « Assis sur une borne, au fond d’un carrefour 1888» n’a qu’une vision parcellaire et négative de la foule, « les masques s’accostaient », « une troupe entassée / Paraissait par moments » ;  la ville, « immense égout », est remplie de « fange » et ses habitants sont semblables à des bêtes furieuses. Ils se croisent dans la boue, s’entassent dans des espaces minuscules, s’échangent des injures, hurlent au lieu de parler. Le motif de l’orgie préparé par l’expression « les masques avinés » va alors éclater :

« Cependant des vieillards, des enfants et des femmes
Se barbouillaient de lie au fond des cabarets,
Tandis que de la nuit les prêtresses infâmes
Promenaient çà et là leurs spectres inquiets.
On eût dit un portrait de la débauche antique,
Un de ces soirs fameux chers au peuple romain,
Où des temples secrets la Vénus impudique
Sortait échevelée, une torche à la main. 1889»

Dans ce monde inversé mêmes les êtres innocents, les « enfants », participent à l’orgie ; les femmes, sans doute des prostituées, se transforment en « spectres inquiets » et tous, à la suite de la « Vénus impudique », semblent sombrer dans la luxure.

Malte se retrouve dans la même position d’infériorité puisque ses yeux blessés ne peuvent plus voir qu’une partie du monde. « Quelqu’un me jeta dans les yeux une poignée de confettis qui me brûlèrent comme un coup de fouet », il est d’autre part également placé à  un carrefour, lieu dont nous avons précédemment précisé la connotation démoniaque. Prisonnier de la foule il va devoir subir l’accouplement des hommes. Les individus « flottaient et se frottaient les uns aux autres (...). Ils riaient d’autant plus que plus impatiemment je tentais d’avancer (...). Aux carrefours les gens étaient coincés, imbriqués les uns dans les autres. Il n’y avait plus d’avance possible, rien qu’un mol et silencieux mouvement de va-et-vient parmi eux comme s’ils s’accouplaient debout 1890».

Le drame de l’amoureux trahi retire au carnaval ses prestiges et le poète transforme le spectacle offert par la fête en « un portrait de la débauche antique ». Nous avons l’impression d’assister à la fois à l’incendie de Rome - Vénus brandit « une torche », les individus hurlent « sous la résine en feux » - et aux orgies du « peuple romain 1891» décadent. Croyant échapper à l’emprise du terrible que représentait pour lui la vision du mur dévasté, Malte se retrouve prisonnier de la foule et subit la pire des agressions, le viol. Malte et Musset se retrouvent mêlés, contre leur volonté, à un véritable sabbat, mais, comble de l’horreur, ce ne sont plus des morts vivants, des sorcières ou des démons qui y participent mais des hommes, des femmes et des enfants.

Notes
1886.

HEYVAERT A., op. cit., p. 100.

1887.

Op. cit., p. 274.

1888.

Ibid., p. 275.

1889.

Ibid., p. 274.

1890.

RILKE R.M., op. cit., p. 48.

1891.

MUSSET A. de., op. cit., p. 274.