III.1. Les fêtes des fous.

Pour mieux comprendre comment le carnaval peut être relié aux danses macabres, il faut se replonger dans l’histoire de celui-ci. Il trouve notamment une partie de ses origines dans les fêtes des fous médiévales, restes des réjouissances de l’ancienne Rome. « La fête des Calendes ou des Saturnales commençait, chez les Romains, au milieu du mois de décembre, et se prolongeait jusqu’au troisième ou cinquième jour de janvier ; tant que durait cette fête, les affaires publiques et particulières restaient suspendues ; on ne songeait qu’au plaisir ; ce n’étaient que collations, danses, concerts, mascarades : on s’envoyait l’un à l’autre invitations et présents ; on ne quittait presque plus la table ; on y faisait des rois du festin ; on y installait les esclaves à la place de leurs maîtres ; on se permettait de tout dire et de tout faire, comme sous le règne de Saturne, au bon temps de l’âge d’or. Le christianisme, qui recruta ses premiers apôtres parmi les classes infimes de la société, n’eut garde de priver celles-ci d’une fête pareille, que l’on pouvait, au besoin, défendre avec les paroles de l’Evangile sur la charité et l’égalité. Il fractionna seulement cette longue fête en plusieurs fêtes spéciales qui s’abritèrent chacune sous les auspices d’un jour férié du calendrier catholique. 1893» Ainsi, les Lupercales, qui se célébraient au mois de février en l’honneur du dieu Pan furent partagées en deux fêtes distinctes : les fêtes du carnaval qui s’ouvraient le lendemain de l’Epiphanie et ne se terminaient qu’au mercredi des Cendres et les fêtes du mois de mai qui généralement se bornaient aux premiers jours de ce mois. Toutes ces fêtes reçurent la désignation générique de Fête des Fous.

A la fin du XVe siècle se multiplient les énumérations, les défilés ou les danses de fous dans la littérature narrative, la poésie et le théâtre, et c’est donc tout naturellement que le personnage du fou va prendre place dans le défilé macabre. « Le péché commence à être figuré par la folie et le fou en personne, au cours du XIIe siècle. A mesure que l’instant de la mort se met à signifier en même temps l’en deçà et l’au-delà, le fol devient par delà la figure directe du péché, celle, seconde, de la mort. C’est ce qui explique que se rejoignent dans nombre de supports à l’instant de la mort, le fol, le mort et les diables. En ce lieu qui signifie la mort, étrangement, ils échangent leurs figures : le fol a un squelette pour corps, le mort prend des allures de fol, le diable a des aspects de cadavre ou de fol. Ils échangent aussi leurs mouvements : les morts se mettent à danser comme les diables, et les fols comme les morts. Vivants, ces fous anticipent la danse macabre, morts qu’ils sont déjà par leur péché :

« Vous deussiez ja estre devant
Et danser toute la première, »
dit la Mort à Margot la folle. 1894»

La danse des fous anticipe donc, au sein de la vie quotidienne, sur la danse des morts. Symbole de l’inversion que permet la mort puisque tous les hommes sont égaux devant elle et que ce sont les squelettes et non les vivants qui se livrent aux plaisirs de la fête, les danses macabres apparaissent comme une autre expression du motif du carnaval, moment où la hiérarchie est mise à mal mais aussi lieu de la fête et donc espace propice aux débordements. Quant aux fêtes des fous, elle sont le seul espace où les hommes acceptent, par jeu, de danser avec la mort.

Notes
1893.

LACROIX Paul, Le Moyen Age et la Renaissance, Tome I, Partie 3, « Fête des fous », Paris : 1849, non paginé.

1894.

BLUM Claude, La représentation de la mort dans la littérature française de la Renaissance, tome I, Paris : Librairie Honoré Champion, 1989, p. 122.