ANNEXE 6
EXTRAITS DE QUELQUES TEXTES ETUDIES

Léon Cathlin, 1927.

extraits de la fin du roman.

  • La danse macabre ou l’hexaméron

  • Un de mes profonds souvenirs de Bretagne, c’est aussi la vieille chapelle de Ker-Maria qui s’isole avec son hameau, sur un sol dur, non loin des côtes, en regard de la Manche et du septentrion.

  • On m’avait parlé de sa danse macabre et je voulais la voir : ce nom seul de danse macabre me rappelait mes derniers mois de Salonique et la grippe.

  • A l’auberge de Plouha où j’étais descendu, je demandai, tout en déjeunant, mon chemin pour Ker-Maria.(...)

  • Je pressai le pas. J’arrivais à la chapelle tapie derrière quelques arbres trapus.

  • Je trouvai porte closes ; mais les saints apôtres de l’entrée latérale m’occupèrent sous le profond portail en ogive, où ils sont rangés. L’eau du ciel et l’air marin, l’attaquant depuis des siècles, ont comme sucé le granit dont portail, niches et apôtres sont faits. Un saint manque. « On l’a vu, me dit-on le soir, chez un antiquaire de Bréhat. » Aux parois intérieures du porche, restaient des traces de plâtre ; la voûte gardait des peintures moisies.

  • Des enfants jouaient sous les arbres d’une petite place , attendant de vagues visiteurs pour leur vendre des cartes postales. Un gamin était allé chercher la femme porte-clefs. La voici qui vient, qui m’ouvre et qui me suit comme un ombre.

  • « Où est la danse macabre ? »

  • La femme m’indique une frise qui borde assez haut les deux côtés de la nef et qui, déjà terne par elle-même et quelque peu effacée, s’estompe encore dans l’ombre de la chapelle. J’aurais besoin de temps et d’application pour distinguer quelque chose. Or visiblement la femme désire que je me presse, tant elle a hâte de me quitter et de retourner à sa besogne.

  • « Vous pouvez me laisser seul.

  • - Alors il faut que je vous enferme.

  • - Enfermez-moi et repassez dans une heure. »

  • Seul, je regarde tout à loisir.

  • De la fiente d’oiseau, tombée par les trous de la voûte de bois, macule les vieilles tombes qui servent de pavés et dont les pas usent les inscriptions.

  • Puis j’admire une belle patine brune au bas des piliers et des murs ; toutefois on vient de la gâter par des applications de ciment neuf.

  • A hauteur d’homme, sur le mur qui longe le côté de l’Evangile, je cherche à déchiffrer un reste de fresque : la mort montrant la croix...deux chevaux...la couronne d’un cavalier...les jambes d’un troisième cheval. Avec de la bonne volonté, on croit découvrir que c’était les cavaliers de l’Apocalypse.

  • En face, dans la partie la plus éclairée de la chapelle, devant une baie qui n’a plus de vitres, voici une collection de vieilles statues en coeur de rouvre, taillées au couteau : une sainte Berthe qui ressemble de façon étonnante à Mme Conan, l’aubergiste qui me loge à Plouha ; un saint Nicodème ; un saint Eloi drôle de jouet d’enfant ; un saint Mandez qui porte, pendant à son bras, l’énorme clou qui le retenait au pilier.

  • Je pénètre dans la sacristie.

  • Des crânes s’y trouvent en de petites boîtes ajourées et vermoulues, le tout sous des fils d’araignée et sous un linceul de poussière sale ; car toute poussière n’est pas repoussante d’aspect. Je reconnais la coutume bretonne de déterrer et de recueillir le crâne des morts, coutume proche de celle qui m’avait ému si fort en Grèce.

  • Puis, considérant ces pauvres crânes, je me dis :

  • « La mort ne nous quitte jamais. Du jour de notre naissance, nous promenons avec nous, en nous, notre squelette. Parfois, quand nous nous y attendons le moins, un craquement sec nous avertit de cette présence intime. Et toujours, même dans nos joies, nos os apparaissent sous leur enveloppe de chair .Quand nous rions, notre crâne montre les dents. » (...)

  • Les enfants, marchands de cartes postales, jouent bruyamment sous le porche aux saints apôtres et même heurtent la porte afin de troubler l’hôte solitaire, l’étrange bonhomme qui s’est fait enfermer là-dedans.

  • La danse macabre de Ker-Maria, presque décolorée, inhabile et naïve, tous de face et se donnant la main. Une première chose frappe : comme elle a le bras long, la mort ! D’ailleurs, à elle seule, la mort constitue la moitié du personnage ; ou, mieux, un squelette est toujours placé entre deux personnages de chair, les sépare et les unit. En somme on pourrait penser que chaque personnage de chair est accompagné de son squelette qui le lie à son voisin de chair qu’accompagne son squelette qui le lie à l’autre voisin, ainsi de suite. Les squelettes sont volontairement identiques ; les personnages de chair portent, grâce à leurs vêtements, des marques distinctives mais que le temps oblitère. Par exemple, si le détail disparaît, du moins l’idée générale saute aux yeux, à l’esprit, simple et saisissante, comme il importe en art décoratif.

  • La danse macabre de Ker-Maria est une sorte de ronde où la mort fait l’union ou mieux l’unité entre les hommes ; cette ronde, qui enveloppe les fidèles en prière respectueuse, que devant Jésus mourant sur la croix et qui est pourtant le maître de la mort ; car la matière de son corps n’a pas été remise « dans le commerce ».