0.2. Problématique de la thèse.

S'il est vrai que le texte porte en lui-même la marque de la culture qui est à son principe, comment, dans le travail de la classe de français au lycée, en abordant l'oeuvre littéraire au même titre qu'un objet anthropologique, le professeur des Lettres peut-il faire découvrir progressivement les aspects de l'oeuvre et, à travers eux, sa nature anthropologique et culturelle ?

Comment faire de la lecture anthropologique du texte et de son apprentissage un acte d'appropriation autonomisant, permettant en même temps au jeune lecteur de s'identifier comme personne dans la complexité, d'identifier sa propre culture et/ou la culture de l'autre, de se construire dans la rationalité comme un être de culture, ouvert à l'échange interculturel ?

Si l'on se refuse à exclure de l'apprentissage de la lecture en lycée les dimensions d'un acte de transmission culturelle et/ou d'échange interculturel, quels axes de recherche pouvons-nous appuyer et adopter ?

Il est tout d'abord nécessaire de revisiter, à partir de la nature anthropologique de l'oeuvre littéraire, les concepts et réalités de l'oeuvre littéraire, de la lecture et de ses méthodes, de la culture, du rapport entre le texte, l'auteur et son lecteur, du rapport entre le texte et le système culturel.

Partant de là, il est nécessaire de redéfinir le statut du jeune lecteur en situation d'apprentissage, celui de l'enseignant dans l’acte de formation qu’il assume et les rapports entre l'oeuvre, l'ensemble-classe de ses jeunes lecteurs, la culture et l'acte anthropologique de formation.

Si l'on se situe à l'intersection entre les Sciences du Langage, les Sciences de l'Homme (et en particulier les Sciences de l'Education) et le texte, peut-on concevoir une lecture pertinente qui soit une entreprise de culture et de décloisonnement ? Il convient pour cela, non seulement de rechercher les conditions qui permettent de dépasser la partialité des approches et des points de vue et de rendre compte de l'oeuvre prise comme un objet ou comme une production anthropologique, mais aussi de faire de l'acte de cette lecture un acte anthropologique et de son apprentissage un acte de formation à la culture prise dans le sens anthropologique du terme.

Si l'on veut, en effet, donner à l'acte de la lecture une dimension de formation et d'initiation à l'humanité, il convient de prendre en compte toutes les dimensions de l'oeuvre littéraire, de la culture et de ses universaux, dans la mesure où le texte a précisément ces dimensions.

Une telle démarche de lecture ne peut pas ne pas s'interroger sur sa nature même et sur les conditions d'élaboration du sens, ce qui nécessite une réflexion épistémologique et qui conduit inévitablement dans le domaine de la lecture aux questions soulevées par l'herméneutique.

Dans quelle mesure une oeuvre littéraire, y compris dans la dimension esthétique qui lui est généralement reconnue, gagne-t-elle à être l'objet d'une lecture anthropologique, donc complexe, mobilisant une multiplicité d'approches et dépassant leur juxtaposition ? Quelles relations peuvent s'établir entre le système interne de l'oeuvre, celui de la lecture et celui de la culture, et ceci dans l'acte de formation des personnes ?

Dans quelle mesure une oeuvre particulière, Le roi pêcheur de Julien Gracq par exemple, tire-t-elle avantage à être lue à travers ce mode de lecture ? Une telle lecture, que nous désignons sous l'appellation de lecture anthropologique, permet-elle à l'élève ou à l'étudiant de se construire comme être de culture ? Quels sont les effets d'une telle lecture sur le jeune lecteur ? Quel est l’apport de cette lecture à la réflexion et au discours des différentes dimensions, en jeu dans l’acte de lecture et dans l’acte de formation à la lecture ?

Dans quelle mesure la pratique traditionnelle, ou officiellement recommandée, de la lecture de l’œuvre littéraire se trouve-t-elle mise en question, se trouve-t-elle confortée ou renouvelée ?