Volume I. De l’anthropologie du texte, de la lecture et des approches textuelles

« Tolle et lege », Saint Augustin, LesConfessions,VIII.

Partie 1. Pour une anthropologie du texte et de la lecture

Chapitre 1. Analyse de la situation de l’enseignement de la lecture de l’œuvre litteraire au lycée

« Je me souviens plus des livres que j’ai lus que des événements de ma vie »
Jorge Luis Borges

Réfléchissant sur ce qu’est le livre, Bernard Valette constatait que, étant à l’origine du livre, l’écriture, fait social, suppose pour son développement une politique de didactisme « permettant l’alphabétisation de la population » . 1 Et hardiment, il ajoute : « Plus celle-ci est démocratique et populaire, plus l’alphabétisation est rapide, plus l’écriture est répandue et plus le livre se développe. »

Cette affirmation, qui sous-entend que la lecture de l’œuvre littéraire va aller dans la même logique de progrès incontournable, rejoint et l’opinion commune et les décisions des institutions qui ont en charge la formation des jeunes élèves, collégiens et lycéens. L’opinion commune pense assez volontiers qu’à partir du moment où quelqu’un sait dire un texte, en dire quelques mots, le lecteur sait lire. Pour le reste, elle laisse à quelques littérateurs le soin d’exprimer tout le plaisir et l’intérêt que l’on peut prendre à la lecture, oscillant elle-même entre l’attitude du père de Julien Sorel 2 , pour qui lire était à tout le moins temps perdu et loisir de privilégié, et l’ignorance d’une pratique considérée comme d’autant plus obsolète qu’elle semble rendue inutile par les nouveaux multimédias, cette opinion n’étant pas encore troublée par l’insistante interrogation de ceux, encore peu nombreux, qui voient dans Internet une occasion de retour à la lecture.

Toutes les conditions socioculturelles sont donc réunies pour que la lecture ne soit plus perçue comme nécessaire et utile. Or, comme le fait remarquer Christian Baudelot, dans son commentaire des résultats d’une enquête menée sur la lecture des jeunes en âge de scolarité, présentée dans son ouvrage « Et pourtant ils lisent » 3 , « le paysage n’a pas varié depuis dix ans ». Toutefois, il ajoute que les jeunes de 15 à 18 ans, en âge du lycée, qui constituent l’essentiel de nos élèves, présentent un comportement complexe, lié à l’âge et aux sollicitations externes, les amenant à éprouver de la « désaffection pour la lecture », désaffection qui « est bien le point noir du système ». Et l’institution scolaire porte une responsabilité, puisque « la marche entre le collège et le lycée est [d’autant plus] haute à monter qu’elle fait passer les élèves d’une lecture ordinaire à une lecture savante, dominée par les grands classiques, où il faut traiter le texte comme un objet, avec beaucoup de distance. » 4

Aussi les lycéens ne lisent que peu de livres à titre personnel. Sont-ils de ce fait homogénéisés face aux programmes de lecture qu’impose le système scolaire ?

Notes
1.

Valette (Bernard), art. « Lecture », in Dictionnaire des Littératures de langue française, (sous la dir. de Beaumarchais (Jean-Pierre de), vol. II, Paris, Bordas, 1987, p.1415.

2.

Stendhal, Le Rouge et le Noir, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1977.

3.

Baudelot (Christian), Cartier (Marie), Détrez (Christine), Et pourtant ils lisent, Paris, Le Seuil, 1999.

4.

Baudelot (Christian), Interview donné au Nouvel Observateur, 4 -10 mars, 1999.