1.1 L’apparente homogénéité des lectures des élèves-lycéens.

Il convient de s’interroger sur l’homogénéisation par le lycée de la classe d’âge des 15-18 ans, telle qu’elle apparaît à travers leurs lectures.

Selon C.Baudelot, ce n’est plus la distinction garçon/fille, encore très importante au collège, qui différencie les lectures au lycée, mais le niveau scolaire : « il reste certes des archétypes : la science fiction pour les garçons » et «  les témoignages particulièrement douloureux des femmes » pour les filles. Au-delà de ces constantes, « c’est le niveau scolaire qui explique le mieux le profil du lecteur ». A savoir les effets des exigences des programmes et les difficultés propres aux œuvres proposées à chaque niveau de classe.

Que lisent donc les adolescents ? Même si, pour eux, lire, c’est lire un « vrai » livre, (et il conviendra d’aller plus avant dans l’analyse des supports de lecture), il nous paraît difficile d’écarter a priori les magazines dont on sait que les jeunes lecteurs français sont aujourd’hui les plus importants consommateurs d’Europe. C’est qu’à la bande dessinée concurrente du cinéma et de la télévision et aux journaux sportifs, d’autres titres sont venus s’ajouter : aussi bien pour parler de la nature, des activités techniques et scientifiques, que des langues étrangères. Il est certain que le magazine est une occasion donnée aux jeunes lecteurs de prendre plaisir à ce qu’ils lisent, de suivre un rythme de lecture qui est le leur, voire d’acquérir des rythmes différents de lecture favorables aux apprentissages scolaires.

On peut même penser que le magazine est devenu incontournable, voire indispensable, pour la socialisation du jeune lycéen.

Si l’on en vient maintenant à analyser les listes des ouvrages cités par les élèves à la suite des enquêtes menées par C.Baudelot, il convient de s’interroger sur les résultats, en particulier à partir des convergences et des différences repérées entre collégiens et lycéens.

Tableau. Résultats de l’enquête de C.Baudelot . Titres les plus cités au cours des quatre années d’enquête.
COLLEGIENS (15 ANS) LYCEENS (18 ANS)
1 - Jamais sans ma fille (Mahmoody) Candide (Voltaire)
2 - Germinal (Zola) Le monde de Sophie (Gaarder)
3 – Les Dix Petits Nègres (Christie) On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans (Samson)
4 – La Gloire de mon père (Pagnol) Le Rouge et le Noir (Stendhal)
5 – Le Grand Meaulnes (Alain Fournier) Bel-Ami (Maupassant)
6 – Le Horla (Maupassant) L’Alchimiste (Coelho)
7 – Vipère au poing (Bazin) Phèdre (Racine)
8 – Un sac de billes (Joffo) Ca (King)
9 – Croc-Blanc (London) Carrie (King)
10 – Des souris et des hommes (Steinbeck) Le Père Goriot (Maupassant)
11 – L’ herbe bleue (anonyme) Antigone (Anouilh)
12 – Une vie (Maupassant) La Maison du guet (Higgins Clark)
13 – J’avais douze ans (Schweighoffer) Le Horla (Maupassant)
14 – Le Château de ma mère (Pagnol) Le Parfum ( Süskind)
15 – Au bonheur des dames (Zola) Nous n’irons plus au bois
Higgins Clark)
16 – Le journal d’Anne Frank (Frank) Un cri dans la nuit (Higgins Clark)
17 – Eugénie Grandet (Balzac) Zadig (Voltaire)
18 – L’Ami retrouvé (Uhlman) Charlie (King)
19 – L’Ecume des jours (Vian) L’Etranger (Camus)
20 – L’Assommoir (Zola) L’Ecume des jours (Vian)
21 – Le Crime de l’Orient-Express (Christie) Salem (King)
22 – Histoires extraordinaires (Poe) Shining (King)
23 – La Nuit des temps (Barjavel) Germinal (Zola)
24 – Le Chien des Baskerville (Doyle) Jamais sans ma fille (Mahmoody)
25 – Les Femmes savantes (Molière) La Peste (Camus)

Si, dans ces enquêtes, on retrouve des auteurs reconnus comme littéraires (Balzac, Maupassant, Zola) et des œuvres utilisées aussi bien au collège qu’au lycée, on peut constater aussi que des auteurs marqués par leur réputation ou par l’actualité des histoires qu’ils racontent (Higgins Clark, Mahoomody) constituent, pour une bonne part, la lecture des jeunes lecteurs, collégiens et lycéens, avec un intérêt plus soutenu pour les jeunes héros chez les collégiens que les lycéens. Ces deniers n’hésitent pas à choisir des œuvres à l’ambiance morbide, voire terrifiante.

On peut observer, par ailleurs, chez les lecteurs lycéens, la grande place tenue par la littérature d’initiation: Candide (Voltaire), Le monde de Sophie (Gaarder), L’Alchimiste (Coelho) ou d’ouverture à autrui, La Peste (Camus). Il conviendrait, devant les résultats de ces enquêtes, de se demander si les élèves-lycéens ne cherchent pas à trouver une réponse à des préoccupations latentes, en la cherchant ailleurs que dans la littérature patentée.

Notes
5.

Ibid.