1.3. Les enseignants français, des didacticiens de la lecture dans l’embarras.

Les professeurs constatent que des difficultés qui apparaissent lors de leur enseignement proviennent du manque de maturité et des ignorances de leurs élèves. C’est pourquoi ils en viennent à formuler ce que doit être « l’œuvre enseignable »

Elle ne doit être ni trop longue, ni trop difficile, en particulier dans son expression. Il convient que l’éthique ou la morale de l’œuvre ne soit pas trop dérangeante, ni l’histoire trop pessimiste. Comme l’écrit B.Veck à la suite de ses constatations, « l’œuvre idéale par sa forme et son contenu se caractérise par le plus petit écart possible avec les habitudes de lecture, mais aussi avec les habitudes intellectuelles que les professeurs attribuent aux élèves. Il apparaît que rien ne doit offrir de résistance, ou choquer. » 7

Il ajoute même que «  la culture littéraire qui se définit ici en creux cherche à s’offrir en toute immédiateté, la lecture ne devant mobiliser que le moins possible les notions et procédures de la discipline susceptibles de venir à bout des obstacles et d’ouvrir au moins familier ».  Ce qui pose de redoutables questions : Qu’en est-il de la transmission, puisque le présent est privilégié ? Qu’en est-il de la discipline littéraire ? Plus encore, si les enseignants, par usure, par ignorance, se contentent, comme le montre l’enquête de B.Veck, de privilégier des savoirs déclaratifs et leur usage procédural, à savoir grossièrement le repérage des faits, il n’y a plus de possibilité « d ‘aboutir à un sens stable et univoque, comme l’a voulu l’auteur, et qui doit être transmis aux élèves appelés à devenir membres d’une communauté culturelle dont les valeurs sont inscrites dans les oeuvres du patrimoine. »  8

Et sa conclusion décrit une situation qui semble bien près de la réalité. Cette situation s’approche de ce que d’autres, en d’autres lieux et d’autres disciplines 9 ont décrit et cherchent à combattre : « Les enseignants interrogés (du moins, ce que permet de saisir de leurs prises de position le questionnaire) se trouvent dans une situation intermédiaire : éducateurs, c’est d’abord la qualité du loisir culturel – et non la transmission de valeurs qui les retient dans la lecture (réputée formatrice en tant que lecture) ; spécialistes, ils n’acceptent pas jusqu’au bout ce qu’implique aujourd’hui le travail de lecture. Ce sont là des symptômes des tensions qui animent la discipline à un moment où elle se cherche de nouvelles voies, et peut-être de nouvelles finalités ». 10

Et, si l’on ajoute que les mêmes enseignants ont été les témoins, voire les acteurs, des discussions concernant l’apprentissage de la lecture comme acte lexique, on comprendra pourquoi, par un mouvement assez naturel, beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur la responsabilité de l’institution scolaire.

Notes
7.

Veck (Bernard), op. cit., p.86

8.

Ibid.p.90.

9.

Martineau (Robert), L’histoire à l’école, matière à penser, Paris, L’Harmattan, 1999.

10.

Veck (Bernard), op. cit. p.91.