Partie 2. Des approches textuelles, de leurs limites théoriques, de leurs limites pédagogiques et de leurs limites anthropologiques

Chapitre 4. De l’utilisation des approches textuelles qui constituent la sociocritique, de leur nécessité et de leurs limites, ou des conditions d’une saisie du texte comme fait social

« N’exigeons pas de l’histoire plus qu’elle ne peut nous donner : l’histoire ne nous dira jamais ce qui se passe dans un auteur au moment où il écrit. Il serait plus efficace d’inverser le problème et de nous demander ce qu’un œuvre nous livre de son temps .»
Roland Barthes, Sur Racine, Paris, Le Seuil, 1963.

Sans remonter nécessairement à Mme de Staël, à Chateaubriand et à Bonald, comme le fait P. Barbéris au début de son chapitre consacré à « La sociocritique » dans l’ouvrage collectif Introduction aux Méthodes Critiques pour l’analyse littéraire 1 , reconnaissons que certains modèles théoriques s’imposent d’eux-mêmes quand il s’agit de reconnaître et d’affirmer l’ancrage de l’oeuvre littéraire dans le contexte social, politique ou historique qui a pu présider à l’élaboration de cette oeuvre. De G.Lukacs à P. Bourdieu, en passant par le structuralisme génétique de L. Goldmann, lui-même disciple déclaré de G. Lukacs, sans oublier l’apport de L.Althusser, nombreuses furent les tentatives, elles-mêmes plus ou moins directement redevables aux concepts ou aux démarches de la théorie marxiste et, de ce fait, plus ou moins marquées par ses présupposés idéologiques, dans leurs comptes rendus du texte littéraire.

A la recherche d’un modèle de lecture, qui permette la saisie de la nature sociale du texte, qui soit applicable à toute oeuvre littéraire intégrale, quel qu’en soit le genre, applicable à tout texte bref (ou extrait d’une oeuvre intégrale), modèle de lecture permettant au lycéen ou à l’étudiant de fonder avec rigueur et méthode sa compréhension et son explication des oeuvres littéraires approchées, nous chercherons à établir à quelles conditions une telle démarche de lecture peut ne pas sacrifier l’œuvre, mais l’éclairer en mettant à jour et au jour les contraintes sociales ou historiques qui ont pu environner la production du texte. Nous chercherons à établir à quelles conditions une telle lecture peut rendre aussi possibles, chez l’étudiant ou chez le lycéen, une compréhension et une explication de la fonction sociale de l’oeuvre littéraire et de l’auteur dans l’analyse des effets que l’oeuvre produit sur la société qui la reçoit. Nous chercherons enfin à déterminer dans quelle mesure une telle approche permet de dégager la dimension anthropologique du texte.

Dans la mesure où, d’une part, chaque approche de type sociologique ne se comprend, dans ses modalités propres, que comme un dépassement et un perfectionnement des modèles plus anciens du même type, dans la mesure où, d’autre part, le choix motivé d’un modèle de lecture sociocritique ne peut s’effectuer qu’à partir de l’évaluation critique de ses méthodes et de leurs présupposés idéologiques, leur présentation succincte sera résolument chronologique et donnera lieu, autant qu’il sera possible, à une définition de la conception du texte qui est au principe de chacune des méthodes et à une évaluation de l’idéologie subsumée par leur pratique respective et de leur capacité à rendre compte de la nature même du texte, y compris dans une perspective anthropologique.

Le choix d’un ou de plusieurs modèles étant acquis, il conviendra alors de définir les modalités pratiques de cette étude, (procédures méthodologiques qui seront appliquées pour illustration au roi pêcheur de J. Gracq). Une fois démontrées les démarches méthodologiques de l’approche sociocritique, la réflexion se portera sur les mérites et les limites de cette approche tant sur le plan pédagogique que sur celui d’une formation authentiquement anthropologique. Quant aux stratégies pédagogiques par lesquelles peut se réaliser l’appropriation par les élèves de la méthode de lecture sociocritique, elles feront l'objet d’une présentation au chapitre 16 du volume III.

Notes
1.

Barbéris (Pierre), « La Sociocritique », in Introduction aux Méthodes Critiques pour l’analyse du texte littéraire (sous la dir. de D.Bergez), Paris, Dunod, 1990.