4.1.3. Louis Althusser.

Une telle objection s’impose-t-elle à propos de la théorie de l’idéologie élaborée par le philosophe Louis Althusser et des applications critiques qui en découlent ?

En substituant la notion d’idéologie au concept sans doute trop flou de « vision du monde » propre à Lukacs et à Goldmann, L. Althusser a eu le mérite de souligner que « ce n’est pas leurs conditions d’existence réelles, leur monde réel, que les « hommes » « se représentent dans l’idéologie, mais c’est avant tout leur rapport à ces conditions d’existence qui leur y est représenté » 21 . Aussi, plutôt que de chercher à savoir dans quelle mesure la réalité représentée dans l’oeuvre correspond à une réalité sociale ou historique, dont celle de l’oeuvre ne serait que le reflet imaginaire, convient-il de se poser une autre question : « pourquoi la représentation donnée aux individus de leur rapport (individuel) aux rapports sociaux qui gouvernent leurs conditions d’existence et leur vie collective et individuelle, est-elle nécessairement imaginaire ? » 22 Répondre à une telle question revient à définir la fonction de l’idéologie : toute idéologie a pour fonction, selon Althusser, de constituer «  des individus concrets en sujets » 23 , en d’autres termes de modeler plus ou moins librement leur comportement : « l’individu est interpellé en sujet (libre) pour qu’il se soumette librement aux ordres du Sujet, donc pour qu’il accepte (librement) son assujettissement » 24 .

A partir d’une telle conception de l’idéologie, l’oeuvre littéraire peut être définie non seulement comme le produit d’une société et des facteurs sociaux ou des événements historiques qui ont plus ou moins contraint son élaboration, mais aussi comme production d’une société à travers l’élaboration, plus ou moins contraignante, de ses sujets individuels et collectifs. Pourtant, en dépit des avancées que laissait augurer le concept d’idéologie appliqué à l’oeuvre littéraire, force est de constater que l’école althussérienne n’a pas produit d’ouvrage critique de portée aussi conséquente que Le Dieu caché de L. Goldmann. Force est d’admettre aussi, à la suite de G.Delfau et A.Roche, que l’interpellation de G. Doubrovsky « Mais alors, pourquoi la littérature? » est ici plus que jamais opportune. « Pourquoi, en effet, Balzac et Hugo, si leur oeuvre se réduit à la mise en forme des idées dominantes de leur époque ? » 25 .

Notes
21.

Althusser (Louis), « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat », in Positions, Paris, Ed. Sociales, 1976, p.116.

22.

Ibid., p.117.

23.

Ibid., p.123.

24.

Ibid., p.133.

25.

Delfau (Gérard), op. cit., p.302.