4.3.2. Les mérites et les limites de l’approche sociocritique.

Notre propre évaluation de l’approche sociocritique coïncide-t-elle avec celle des enseignants interrogés ? Nous considérons qu’une telle méthode mérite davantage d’attention que celle qui lui est habituellement dévolue. Généralement peu usitée dans les classes, cette approche présente pourtant d’indéniables mérites.

Ne survalorisant pas l’oeuvre littéraire comme un fait d’essence spirituelle, la sociocritique la définit plutôt comme un objet et comme une production qu’il s’agit d’étudier comme telle, rejoignant par là une approche anthropologique de la lecture et de la culture. Cette méthode fournit, en outre, des réponses originales aux questions relatives au statut de l’auteur, ou à celui du lecteur. Elle permet une analyse des conditions sociologiques de la genèse de l’oeuvre, des prises de position d’un auteur dans l’oeuvre et, à travers elle, dans le champ littéraire. Elle rend possible une perception juste non seulement des courants idéologiques dont l’oeuvre est traversée, mais encore des conditions sociales de sa réception, chaque société la lisant à partir de ses propres interrogations.

Empruntant les voies de la démarche expérimentale, déjà partiellement maîtrisée par les élèves de lycée ou les étudiants, cette méthode ne présente pas de difficulté majeure dans son utilisation et dans sa démarche d’interprétation. Respectant le texte, tout au moins dans les modèles qui ont été ici choisis, elle fait un appel, gratifiant pour l ’apprenant, à des connaissances concernant l’histoire sociale ou événementielle, et lui permet de réinvestir, de façon personnelle et créatrice, ces savoirs acquis en dépassant les cloisonnements disciplinaires. Elle lui offre la possibilité d’établir des relations entre des oeuvres de la même époque exprimant un même inconscient collectif ou même de rapprocher des oeuvres d’époques différentes, comme expression d’attitudes ou de postulations similaires dans des situations comparables.

Cette approche donne l’occasion à l’élève de cultiver des capacités élevées de perception des faits humains généraux qui constituent déjà une sensibilisation à l’anthropologie du fait littéraire et qui se vérifient et s’évaluent dans la méthode et dans ses résultats au contact des faits historiques et sociaux.

Mais, en dépit de ces mérites reconnus, cette approche du texte n’en contient pas moins des limites qui sont de plusieurs ordres.

Reconnaissons lui d’abord des insuffisances sur le plan de la littérarité de l’oeuvre, l’approche sociocritique ne prenant pas en compte la spécificité esthétique et poétique du texte, quoiqu’une analyse socio-historique de ces questions ne soit pas inconcevable. Supportant par ailleurs une trop lourde charge liée à son histoire et à des idéologies historiquement marquées, elle présente de toute évidence une survalorisation dans l’oeuvre, de l’historique, de l’économique et du social, ce qui ne va pas sans réduire la réalité humaine dont l’oeuvre est l’expression. Une telle méthode peut, éventuellement dans l’acte de la lecture et dans le processus d’interprétation, ne pas éviter certaines confusions entre la réalité objectivement saisissable et les projections subjectives, entre la société dans l’environnement de laquelle naît le texte et la société dans laquelle il est reçu, étant entendu que ce qui, dans l’interprétation est mis au compte de l’une, peut en fait provenir de l’autre. Une sociologie du texte véritablement scientifique doit être sans cesse en garde contre une telle dérive, ce qui, reconnaissons le, complique singulièrement la tâche de l’élève, au risque de l’amener à un confusionnisme dangereux, s’il plaque sur une oeuvre du passé sa culture naissante. Par ailleurs, ainsi que le remarque à juste titre S. Doubrovsky, L. Goldmann et la plupart des sociocritiques ont tendance à ramener à rien la spécificité des oeuvres littéraires, ce qui explique la réticence de certains étudiants et plus encore des enseignants de Lettres. N’y a-t-il pas en effet, un manque de respect flagrant des intentions d’un auteur et des dimensions de son oeuvre, dans le cas où celle-ci se donne à lire comme oeuvre métaphysique ou religieuse, à en réduire la portée à un discours étroitement économique et social ,  comme ce fut le cas du reste pour les Pensées de Pascal, que L.Goldmann choisit comme objet de son analyse dans le Dieu caché ?

Sans parler des exigences que requiert une telle approche de la part des élèves, convenons qu’elle risque, surtout si elle est employée seule, à l’exclusion de toute autre, d’être abusivement simplificatrice et réductrice d’une oeuvre et, par suite, d’une société humaine qu’elle se donne précisément pour mission de découvrir.