5.1.2. La méthode structurale macroanalytique.

Le moment est venu d'observer comment, à partir du repérage des unités constitutives, à partir de la découverte des relations ou variations entre ces unités formant structures, les interprétations structurales du texte vont pouvoir être mises au jour. Mais, en poursuivant ces considérations théoriques fondamentales sur le texte, par l'observation des deux modèles "historiques" d'approche structurale, nous ne perdons pas de vue que l'enseignant doit initier l'élève à la langue et au discours, l'élève étant à la fois lecteur et producteur de texte. Nous ne perdons davantage de vue ni les conditions effectives d'une lecture autonome de l'élève de lycée ou de l'étudiant, ni les visées pédagogiques, anthropologiques et culturelles qui sont les nôtres. A cette fin, nous avons d'abord retenu un premier modèle qui permettra au jeune lecteur de s'initier à l'approche structurale, en devenant progressivement capable de repérer les structures générales d'une oeuvre narrative intégrale (courte ou longue) et d'en dégager les principales significations. "L'analyse structurale du mythe" 79 de Claude Lévi-Strauss en constituera la référence. On trouvera plus loin un deuxième modèle qui donnera la possibilité à l'élève de rendre compte, dans une approche structurale microanalytique, d'un texte bref ou d'un extrait d'oeuvre intégrale. Le modèle en sera l'analyse des "Chats" de Baudelaire, réalisée en commun par Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss 80 .

Une des premières références théoriques marquantes, en même temps qu'un des premiers modèles pratiques de l'approche structurale d'un texte fut à n'en pas douter, l'article consacré par Claude Lévi-Strauss à "La structure des mythes". Partant de l'opposition établie par Saussure entre "langue" et "parole", la langue appartenant "au domaine du temps réversible, et la parole à celui du temps irréversible" 81 , l'anthropologue pose l'existence, dans le mythe, d'une double structure, l'une historique et l'autre anhistorique : "ce système est en effet à deux dimensions : à la fois diachronique et synchronique, réunissant de la sorte les propriétés caractéristiques de la "langue" et celles de la "parole". Ainsi "le mythe est langage" et "comme tout être linguistique, le mythe est formé d'unités constitutives". Ces unités significatives n'étant toutefois assimilables "ni aux phonèmes, ni aux morphèmes […], il faudra les chercher au niveau de la phrase."

C'est ainsi que Lévi-Strauss, appliquant sa méthode au récit d'Oedipe, s'emploie d'abord à traduire la succession des événements du mythe, c'est-à-dire à dégager ses séquences significatives, ou "mythèmes", au moyen de phrases les plus courtes possibles (phrases disposées dans l'ordre chronologique du récit). Mais, dès lors que "les véritables unités constitutives du mythe ne sont pas les relations isolées, mais des paquets de relations, et que c'est seulement sous forme de combinaisons de tels paquets que les unités constitutives acquièrent une fonction signifiante", et dès lors que ces relations, pour être pleinement significatives, doivent être recherchées dans un autre rapport que celui de la succession chronologique des unités, il convient de rassembler, dans des sous-ensembles non soumis à l'ordre du temps irréversible de la parole, les phrases ou les "mythèmes" présentant entre eux des analogies ou des traits communs. C'est alors que Lévi-Strauss propose de modéliser sous la forme d'un tableau la double lecture du mythe : une lecture horizontale, ou de surface, des diverses "séquences diachroniques" représentées dans les rangées du tableau, et correspondant au temps chronologique de la parole, et une autre lecture, verticale ou de profondeur des mêmes séquences "lues synchroniquement" dans les colonnes du tableau et correspondant au temps anhistorique de la langue.

Notes
79.

Lévi-Strauss (Claude), Anthropologie Structurale, chap.XI, "La structure des mythes", pp.227-255, Paris, Plon, 1958.

80.

Jakobson (Roman), Lévi-Strauss (Claude), "Les Chats de Baudelaire", L'homme, II, 1, 1962.

81.

Lévi-Strauss (Claude), Anthropologie structurale, chap. XI. "La structure des mythes", p.230, Paris, Plon, 1958.