Si l'on applique au roi pêcheur de Julien Gracq la méthode que préconise l'anthropologue, on pourra de la sorte, dégager diverses relations dont le tableau peut donner une idée.
I Désir/Quête | II Opposition | III Privation/Obscurité Faiblesse Tragique | IV Invitation / Action bienveillante | V Exploits épiques | |
ACTE I |
2.Les chevaliers attendent la rédemption de Montsalvage. 6. Kundry dit son espoir de libération dans le triomphe du Graal |
5.Clingsor cherche à empêcher l’accomplissement de la prophétie. 10. Clingsor suggère à Amfortas de détourner le Pur de sa mission |
3.État de décrépitude du château 8. Amfortas souffre d’une maladie inguérissable 9. Kaylet boite |
1.Perceval tue Méliant en combat singulier |
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ACTE II |
12. Perceval expose l’objet de sa quête. 15.Trévrizent est absorbé dans sa contemplation d’un rayon de soleil 18. Amfortas pêche au filet 24. Perceval questionne Kundry |
13. Trévrizent désapprouve l’action de Perceval |
11. Trévrizent invite un chevalier inconnu à partager son frugal repas 19. Perceval se porte au secours des pêcheurs en difficulté 23. le roi pêcheur invite Perceval au château de Montsalvage |
I Désir/Quête | II Opposition | III Privation/Obscurité Faiblesse/Tragique | IV Invitation / Action bienveillante | V Exploits épiques | |
ACTE III |
26. Perceval est fasciné par la beauté de Kundry 32. Perceval est fasciné par la blessure d’Amfortas et veut élucider le mystère. 33. Kundry dit sa fin de purification |
28. Amfortas tourne en dérision les exploits mythiques des aventuriers du Graal |
30.bis. Plaie d’Amfortas |
31. Kundry se porte au secours d’Amfortas et soigne sa blessure. |
27. Perceval évoque complaisamment ses exploits épiques. |
ACTE IV |
37. Kundry est dans l’attente anxieuse de la cérémonie. 44. Les chevaliers attendent la rédemption de Montsalavage. |
36 bis. Amfortas cherche à désespérer Perceval. |
40. Kundry privée d’espoir : la vie ne sera plus « qu’une maladie qui ne guérit pas ». |
41. Kaylet se porte au secours de Kundry. 43. Amfortas réconforte Kundry. |
VI Eclat/Lumière | VII Crainte ou Saisissement | VIII Dissimulation ou Retrait | IXMaladresse ou Faiblesse | X Révélation | |
ACTE I |
4 bis Références au Très Pur et au Graal |
5bis.Clingsor redoute le retour du Graal. |
4.Clingsor se dissimule sous l’armure et sous le casque de Méliant 7. Clingsor se dissimule sous la tenture |
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ACTE II |
16. Le rayon de soleil manifeste la nature d’Elu de Perceval 21.Le poisson brille comme la côte du chevalier |
14 bis Trévrizent a renoncé 17. Trévrizent se retire à l’interieur de sa cabane |
20. Kaylet ne parvient pas à se saisir du poisson |
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ACTE III |
25. Perceval pris de crainte dans le château de Montsalvage |
29. Montsalvage et Amfortas se sont écartés de la vie |
30. Perceval rouvre la plaie d’Amfortas. |
28 bis. Amfortas révèle à Perceval la part d’illusion des lumières qu’il poursuit. |
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ACTE IV |
34. Perceval est habillé du vêtement initiatique. 38. Le Graal est décrit éblouissant de lumière |
35. Perceval redoute l’épreuve 38 bis. Kaylet plein de respect et de crainte se voile les yeux |
42. Perceval se retire. |
39. Silence de Perceval |
36. Amfortas dévoile à Perceval la réalité qu’il va devoir affronter |
Comme on peut le voir, ont été retenues ici les principales séquences qui constituent l'intrigue du roi pêcheur : on pourrait du reste reconstituer l'histoire ou la fable de l'oeuvre en tenant compte dans la lecture, non des colonnes, mais des lignes de haut en bas qui suivent la disposition chronologique des faits 82 . Mais la compréhension et l'interprétation de l'oeuvre, comme celles du mythe, exigent que la lecture soit faite "de gauche à droite, une colonne après l'autre, en traitant chaque colonne comme un tout". C'est ainsi que, par exemple, on observe souvent, dans Le roi pêcheur de Julien Gracq, des personnages en état de désir, d'attente ou de quête : les chevaliers du Graal attendent la rédemption, Kundry dit son espoir d'une prochaine libération dans le triomphe du Graal ; quant à Perceval, il exprime, à maintes reprises, un état de quête, de questionnement, d'investigation ou de fascination. Tous les faits groupés dans la première colonne ont pour trait commun le désir ou la quête qui séduit et qui fascine, qui mobilise et immobilise. Chaque ensemble peut ainsi être analysé, tous les éléments réunis dans la même colonne présentant "par hypothèse, un trait commun, qu'il s'agit de dégager" 83 . Il apparaît que les unités de la deuxième colonne ont pour caractéristique commune l'opposition : Clingsor ne cherche-t-il pas à empêcher la réalisation de la mission de Perceval, Trevrizent ne marque-t-il pas sa réserve ou sa désapprobation envers le jeune chevalier, Amfortas ne tourne-t-il pas en égale dérision les exploits mythiques des aventuriers du Graal et la mission de régénération du chevalier Perceval ? Si l'on poursuit la lecture transversale du tableau, on reconnaît pour point commun des éléments de la troisième colonne la privation, l'obscurité ou le tragique. Le trait qui réunit les faits de la quatrième colonne est l'invitation ou l'action bienveillante, tandis que les cinquième et sixième sections du tableau sont respectivement réservées aux exploits épiques de Perceval, qu'ils soient passés ou présents, et à l'éclat ou à la lumière. La septième se réfère à la crainte et au saisissement : ne voit-on pas Clingsor redoutant le retour du Graal, puis Perceval étant pris de peur à l'aspect sinistre du château de Montsalvage, Kaylet, enfin, saisi de respect et de crainte à la vue du Graal, se voilant les yeux ? Les deux colonnes suivantes se rapportent successivement à la dissimulation ou au retrait et à la maladresse ou à la faiblesse. Quant à la dixième et dernière 84 , elle a pour trait commun la relation de révélation.
A partir des variations qui apparaissent à la lecture des colonnes verticales du tableau et de leur trait commun respectif, il s'agit de s'interroger sur leur relation. Il apparaît ainsi que la colonne I, qui se rapporte au désir, et la colonne VII, qui se réfère à la crainte traduisent "la même relation mais affectée du signe inverse" 85 : de toute évidence, il ressort de ces deux postulations une relation d'opposition. On observe également que les sections II et IV, respectivement dévolues à l'opposition et à l'action bienveillante relèvent du même rapport antinomique. Le lecteur en arrivera progressivement à la conclusion que cette contradiction structure les autres divisions du tableau et que, pour chaque colonne, il existe une colonne "contraire". A l'éclat du Graal et du Pur et au merveilleux qu'ils incarnent répond symétriquement l'état d'obscurité ou de faiblesse tragique. L'exploit épique et héroïque n'a-t-il pas pour contrepartie la maladresse et l'inaction ? Tout se passe en définitive, dans cette oeuvre, comme si le désir du magique était à sa crainte ce que l'exploit héroïque et épique est à la faiblesse tragique. De même que la lumière produit l'ombre, de même les forces héroïques sont neutralisées par des puissances équivalentes.
Ainsi, en ayant comme référence théorique et comme modèle pratique d'une approche structurale et poétique de l'oeuvre littéraire l'article de Claude Lévi-Strauss consacré à "L'analyse structurale des mythes", paru en 1955, le lecteur pourra s'approprier progressivement les démarches méthodologiques d'une telle approche et se convaincre, à travers les relations et les structures ainsi découvertes dans l'oeuvre littéraire, que l'oeuvre fonctionne comme un système.
Un indice numérique placé devant chaque phrase signale sa position dans l'ordre successif des éléments significatifs retenus.
Ibid., p.237.
Le nombre et l'ordre des colonnes n'a ici qu'un caractère tout relatif, étant déterminé par la logique de l'analyse, chaque recherche ayant sa propre cohérence.
Ibid., p.237.