5.2.2. Définition du texte selon l’approche sémiotique.

Etant le produit d’une manifestation ou d’une énonciation qui constitue sa mise en discours, le texte énoncé va manifester, à travers la performance de cette énonciation, différentes structures sémiotiques. Le premier niveau correspond aux structures de manifestation ou d’énonciation : « l’énoncé comporte souvent des éléments qui renvoient à l’instance de l’énonciation : ce sont d’une part les pronoms personnels et possessifs, les adjectifs et adverbes appréciatifs, les déictiques spatiaux et temporels » 146 , etc. L’énonciation se définit comme un acte de langage, qui consiste à « inaugurer l’énoncé en articulant en même temps, par contre-coup, mais de manière implicite, l’instance de l’énonciation elle-même » 147 . Le processus consiste concrètement à instaurer par disjonction du sujet, du lieu et du temps de l’énonciation les catégories actancielles (ou personnelles), spatiales et temporelles de l’énoncé. L’énonciation permet de la sorte de rendre actuelles d’autres structures sémiotiques virtuelles antérieures au discours. On peut, en effet, à partir du texte énoncé, et au-delà, du niveau discursif, postuler l’existence d’un niveau sémiotique plus profond, correspondant aux structures manifestées. Ce niveau sémiotique peut être lui-même décomposé en deux niveaux : l’un appelé niveau de surface, où s’articulent, dans leurs composantes narrative et discursive, les structures anthropomorphes du récit, l’autre appelé niveau profond, où se génèrent et s’ordonnent, sous forme de relations et d’opérations plus abstraites, les structures fondamentales du texte d’où résultent ses structures de surface. Le niveau de surface comporte deux composantes distinctes : une composante narrative que représente l’enchaînement organisé des états et des programmes narratifs, une composante discursive correspondant à la configuration significative des figures et des parcours figuratifs. Seule une analyse approfondie peut rendre manifeste l’existence du niveau profond, dont les unités, prises comme structures élémentaires de la signification « peuvent être formulées comme des catégories sémantiques, susceptibles d’être articulées sur le carré sémiotique » 148 . Ainsi, à ces différents niveaux, le texte se révèle, à travers l’analyse sémiotique, comme une réalité dynamique ou comme la résultante d’un parcours génératif et la lecture du texte va consister à établir « une représentation du fonctionnement de sa signification » 149 . Ce qui constitue l’essentiel de la tâche du sémioticien, c’est de décrire les conditions de production du sens et de répondre précisément à la question : « comment ce texte dit ce qu’il dit ? » 150 .

A partir des principes exposés précédemment, le moment est venu d’appliquer au roi pêcheur de Julien Gracq les méthodes d’approche sémiotique du texte. Des apports successifs de l’approche sémiotique, nous retiendrons essentiellement deux modèles de lecture que nous appliquerons pour illustration à l’œuvre choisie. Le premier correspondant au schéma actanciel d’A.J. Greimas, tel qu’il est exposé dans Sémantique structurale (1966), permet, tout en réalisant une première initiation à l’approche sémiotique, de rendre compte des forces agissant dans le micro-univers de l’oeuvre et peut être proposé, tel quel, à des élèves de classe de seconde en lycée. Quant au second modèle, dont les références seront constituées par Maupassant, la sémiotique du texte (1976) mais aussi par Sémiotique dictionnaire raisonné de la théorie du langage et pour l’étude des structures de l’énonciation et de l’énoncé par Analyse sémiotique du discours de J. Courtés (1991), et par Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage (1979), il rend possible une saisie plus complète et plus approfondie des structures des textes ou des oeuvres à leurs différents niveaux, des structures d’énonciation aux structures énoncées en distinguant, parmi ces dernières, le niveau de surface et le niveau profond.

Notes
146.

On pourra consulter avec profit outre Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, notamment aux articles intitulés « Actant », « Programme Narratif », « Parcours Narratif » etc..., l’ouvrage d’A.J. Greimas, la Maupassant, la sémiotique du texte, Paris, Le Seuil, 1976, ainsi que Analyse sémiotique des textes du Groupe d’Entrevernes déjà cité qui constitue un excellent ouvrage d’initiation.

147.

Greimas (Algirdas-Julien) et Courtès (Joseph) Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1993, (1ère édition 1979), article « Enoncé », pp. 123-124.

148.

Ibid., article « Débrayage », p. 79.

149.

Ibid., article « Sémantique fondamentale », p. 330.

150.

Groupe d’Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, Introduction - Théorie - Pratique, Lyon, PUL, 1979, p.10.