5.2.4. Evaluation des mérites et des limites de l’approche sémiotique.

L’approche sémiotique présente des mérites et des limites qui sont à la fois d’ordre théorique et d’ordre pédagogique.

1. Envisageons dans un premier temps les mérites de cette approche.

Sur le plan théorique, la méthode de sémiotique narrative d’A. J. Greimas offre une théorie du texte qui est cohérente et qui permet de faire se rejoindre l’épistémologie et la méthodologie. Démarche rigoureuse « d’une ampleur de vue inégalée » 182 , l’approche sémiotique, en empruntant ses procédures à l’univers logico-rationnel, permet une description scientifique de l’objet littéraire à travers la mise en place d’une terminologie appropriée : « par la vertu sémiotique, l’objet littéraire est traité comme, un objet scientifique » 183 . La méthode progressivement élaborée par l’Ecole de Paris permet de rendre compte à la fois des différents niveaux des structures qui organisent l’oeuvre et de son parcours génératif 184 . A cet égard, l’approche sémiotique offre de « l’espace théorique imaginaire » 185 propre à l’acte de lecture une modélisation pertinente : « on entend par lecture la construction, à la fois syntaxique et sémantique de l’objet sémiotique rendant compte du texte-signe » 186 . La rigueur, qui prévaut dans la démarche et qui est lisible dans la citation précédente, vaut aussi pour l’activité d’interprétation du lecteur. Une telle rigueur, qui inclut la capacité d’attitude autocritique fait reconnaître par U. Eco, dans la sémiotique de la narrativité qui prend « le texte d’en haut » ,une des démarches « sans conteste l’une des plus convaincantes » 187 . L’un des mérites, et non des moindres, de cette approche n’est-il pas de décrire, avec le concours d’une instrumentation formaliste, la liaison entre le sujet lecteur et l’objet de connaissance qu’est l’oeuvre à lire ? Enfin, on reconnaîtra à cette méthode du texte le mérite d’avoir dissocié le sens et la signification 188 et d’avoir modélisé un mode d’accès à l’axiologie du texte et à la production articulée de la signification. S’il est vrai que « le sens, ainsi que l’affirme F. Rastier, n’est pas immanent au texte [et que], seules les contraintes imposées à sa production le sont » 189 , la sémiotique interprétative donne les moyens de décrire les conditions de production du sens.

Sur le plan pédagogique, la méthode de sémiotique narrative initiée par A.J. Greimas permet à l’élève une description approfondie des structures du texte à ses différents niveaux. L’apprenant acquiert, par la pratique d’une telle méthode, la conviction qu’un texte est une réalité complexe, qui ne peut être saisissable dès la première lecture. Il peut, à l’aide des procédures mises en place, "mettre en lumière des « universaux » fondateurs du sens" 190 et, de ce fait, comme le dit J. Peytard, mieux maîtriser les exercices scolaires de l’explication d’un texte ou de la dissertation. La méthode sémiotique lui propose un modèle de description des structures énonciatrices pertinent et cohérent. Avec le schéma actantiel et le programme narratif, la théorie sémiotique de la narrativité offre des instruments de modélisation clarificateurs permettant à l’élève de tenir un discours distancié sur l’oeuvre et ses structures. La description qui est faite, dans le cadre de cette approche, des rôles thématiques et des figures discursives individualisantes constitue un outil pédagogique novateur pour approcher la notion de « personnage ». La méthode, dans son ensemble, offre à l’élève une initiation à une théorie du signe littéraire qu’il peut replacer dans une perspective sémiotique plus large, notamment dans une perspective anthropologique, ce que les développements les plus récents de la sémiotique laissent entrevoir 191 .A l’aide du carré sémiotique, le jeune lecteur peut, par ailleurs, s’approprier une méthode qui lui permet de faire émerger les structures élémentaires de la signification, de décrire et de traiter l’axiologie sous-jacente à un texte, qu’il peut mettre, dès lors, en relation avec le système de valeur d’une culture. L’approche sémiotique des textes rend, enfin, l’élève producteur d’un discours et donne à la coopération du lecteur qu’il est, des outils et un modèle de lecture facilitateurs : « le lecteur réel n’est pas moins créateur que l’auteur réel, même s’il l’est autrement : il crée une variante attestée du texte » 192 , comme l’écrit F. Rastier dans Le temps de la lecture.

Notes
182.

Rey (Alain), Article « Sémiologie et sémiotique littéraires » in Dictionnaire des Littératures de Langue français (sous la direction de Beaumarchais (Jean-Pierre), de Couty (Daniel) et Rey (Alain)), Paris, Bordas, 1987, vol.4, p. 2324.

183.

Ibid., p. 2324.

184.

Voir, sur ce point l’article « Génératif (parcours), in Sémiotique, op. cit. p. 157.

185.

Rastier (François) article « Les conditions sémantiques de l’interprétation », in Le temps de la lecture, Lectio divina 155, Paris, Le Cerf. 1993, p. 73, note 23.

186.

Greimas (Algirdas-Julien) et Courtès (Joseph), Sémiotique, op. cit., article « Lecture » p. 206.

187.

Eco (Umberto), Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985 (pour la traduction française), p. 10.

188.

Greimas (A.-Julien) et Courtès (Joseph), Articles « Sens » et « signification », Sémiotique, op. cit., respectivement p. 348 et p. 352.

189.

Rastier (François), op. cit., p. 74.

190.

Peytard (Jean), « Littérature et enseignement du français », in Enseignement / Apprentissage du FLE, repères et Application, Institut de Sciencias de l’Educacio, Université de Barcelone, 1995, p. 64.

191.

Voir, sur ce point, les Actes du Colloque tenu à Genève-Archamps, Sémiotique des cultures et Sciences cognitives (20-23 juin 1999), et en particulier la communication de Jean-Paul Bronckart, La culture comme sémantique du social, celle de François Rastier, Langues et anthropologie linguistique, et celle de C. Fleisher Feldman, Speech genres as mental and cultural models.

192.

Rastier (François), op. cit., p. 74.