6.1.3. Evaluation des mérites et des limites de l’approche thématique.

L’approche thématique présente des limites et des mérites qui relèvent du théorique et du pédagogique.

Elle offre d’abord des mérites d’ordre théorique qui retentissent positivement sur la pratique pédagogique.

Au titre des mérites théoriques de cette approche, on notera qu’elle s’appuie sur le texte, dans la perspective d’une lecture qui "entend ne pas trop s’éloigner de son objet et entretenir avec lui, des rapports de voisinage"45. Très largement inspirée d’une réflexion des auteurs eux-mêmes sur leur propre création, au premier rang desquels on peut citer M. Proust, cette méthode offre de la littérature et de la création littéraire un modèle descriptif qui ne manque pas de validité : "les grands littérateurs n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu’ils approchent au monde"46. L’approche thématique d’un texte ou d’une œuvre permet une vision et une saisie globales de l’objet. Très "littéraire" dans ses références théoriques, elle est aussi très respectueuse de la "littérarité" du texte et de son caractère esthétique. "Sans description technique excessive"47, elle se prête même à une description critique aux qualités littéraires souvent reconnues, au point que le critique thématicien a pu quelquefois se prétendre auteur dans son commentaire même : "Pour ma part, affirme R.Barthes, je ne me considère pas comme un critique, mais plutôt comme un romancier, scripteur non du roman ; il est vrai, mais du « romanesque »"48.

Au titre des mérites pédagogiques il apparaît que cette approche, à travers la pratique qu’un enseignant peut en avoir et à travers les réactions du public étudiant, reçoit un accueil des plus favorables : au cours d’une enquête réalisée auprès d’étudiants de lettres, l’approche thématique n’a recueilli aucun jugement négatif 4 9 .

Les raisons d’un tel engouement sont à chercher dans l’accès facile de cette méthode qui se présente avec un minimum de vocabulaire théorique ou technique. A peu de frais, elle permet d’élaborer une saisie globale du texte dans une lecture attentive de celui-ci qui se fonde sur une grande proximité avec l’objet décrit et sur la connaissance du lexique. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre de ses mérites que de développer la connaissance et la maîtrise du vocabulaire. Tout en conservant à la lecture une certaine activité ludique, ne serait-ce que dans la construction des constellations thématiques, elle est déjà une première approche de la complexité, accessible à tous. En offrant à l’élève une bonne compréhension de l’originalité des œuvres littéraires à travers la saisie de leur "univers imaginaire", ce modèle de lecture lui permet de structurer son imaginaire personnel. Par ses dimensions qui touchent aux domaines de la perception, de la sensibilité, de la conscience et de la psychologie, cette approche ne peut qu’être gratifiante pour un adolescent en phase de formation et ne peut qu’activer chez lui le processus de production. Elle a, dès lors, un effet d’entraînement, dans le double sens de l’expression, celui d’une incitation à l’écriture et celui d’un exercice d’écriture.

Ces mérites n’empêchent pas l’approche thématique de présenter un certain nombre de faiblesses, qu’ont souligné autant les théoriciens de la lecture que les praticiens de la pédagogie.

En ce qui concerne les limites théoriques de cette approche, on peut rappeler les réserves qu’émettait Gérard Genette dans Figure I. La critique richardienne, repose, selon lui, sur un "postulat sensualiste" et sur un "postulat eudémoniste" : le "postulat sensualiste, selon lequel le fondamental (et donc l’authentique) coïncide avec l’expérience sensible, et le postulat eudémoniste qui pose une sorte d’instinct du bonheur sensible au fond de toute l’activité de l’imagination"50.

En constatant, à partir d'un relevé de formules récurremment employées par J.P.Richard, une tendance de celui-ci à magnifier en bonheur d'être et en extase la relation des auteurs au monde, G.Genette note, à propos de l'Univers imaginaire de Mallarmé, que dans cette "étude qui vise à reconstituer dans son intégralité le paysage de la sensibilité mallarméenne, c'est la recherche constante, à travers et par-delà toutes les expériences négatives, d'un contact heureux avec le monde sensible"51. On peut rappeler également la critique formulée par C.Mauron à partir de ses propres positions théoriques : la profondeur dégagée par le thématicien lui paraît conduire non pas "à une formation psychique inconsciente, mais à un être indéterminé, quasi métaphysique, et qui nous est présenté comme le moi de Mallarmé-l'originel, l'unique"52.L'auteur, tel qu'il est conçu par la thématique, est créateur d'un "univers à la façon d'un Dieu," 5 3 "créateur de poèmes comme "causa sui" dans la solitude"54. Par ailleurs, une telle méthode offre-t-elle au lecteur un écran suffisant pour éviter que son discours commentatif ne se réduise à des projections personnelles ? "Le parcours à travers les thèmes est-il celui des thèmes en relation les uns avec les autres ou le parcours du critique lui-même ?"55

En ce qui concerne les limites pédagogiques de cette approche, on peut noter que la thématique présente une méthode peu explicite, dont les indications procédurales ou méthodologiques sont rares. Devant le modèle de productions proposées à l'état d'achèvement, l'élève peut rester perplexe sur les voies qui ont conduit à un tel résultat.

Notes
4.

5 Bergez (Daniel), op. cit.

4.

6 Proust (Marcel), op. cit.

4.

7 Enqûetes faites auprès d’étudiants de premier cycle de Lettres Modernes sur les qualités ou les défauts qu’ils prêts aux approches critiques (1997).

4.

8 Barthes (Roland), « Réponses », Tel Quel, 47, Paris, le Seuil, 1971, p. 102.

4.

9 Il s’agit des enquêtes citées plus haut.

5.

0 Genette (Gérard), Figures I, Paris, le Seuil, 1966, p. 14.

5.

1 Ibid., pp.91-92.

5.

2 Mauron (Charles), Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Paris, José Corti, 1963, p. 45. Cette partie de la remarque de C.Mauron mérite d'être interrogée. Que serait un comparatisme s'appuyant sur la thématique richardienne, sans la prise en compte d'un autrui ?

5.

3 Ibid., p.45, n°15.

5.

4 Ravoux-Rallo (Elisabeth), Méthodes de critique littéraire, Paris, Armand Colin, 1993, p. 24.

5.

5 Ibid.