6.3. De l’utilisation de l’approche mythocritique.

On assiste incontestablement, en ces dernières années du XXe siècle, à une réémergence du mythe, de l’imaginaire et des "visions du monde" qui gravitent autour du symbole, en un mot autour de cette "Galaxie de l’Imaginaire"226, pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif, dirigé par M. Mafesoli. Le temps n’est plus où, alors que triomphait en Occident la pensée rationaliste et positive et que l’imagination y était jugée par certains philosophes comme  "péché contre l’esprit" ou comme "pauvreté essentielle"227, l’image se trouvait déconsidérée, reléguée à une simple reproduction du réel ou réduite à une pure fonction ornementale. Certes, la réhabilitation progressive de l’imaginaire en ce siècle n’est pas étrangère à un certain épuisement des divers positivismes, mais cette seule raison ne suffit pas à expliquer l’ampleur du phénomène. De fait, l’apport innovant du surréalisme et la révolution psychanalytique ont "redonné droit de cité aux valeurs psychiques, aux images, chassées par le rationalisme appliqué des sciences de la nature"228, tandis que les travaux de Georges Dumézil et d’anthropologues comme Claude Levi-Strauss ou Marcel Griaule renforçaient la connaissance et la reconnaissance de la "pensée sauvage" ou du mythe. Cette résurgence de l’image, du symbole ou du mythe doit aussi beaucoup à certaines pensées philosophiques fortes comme celle d’Ernst Cassirer, posant le principe d’une" prégnance symbolique" 2 29. Elle est certainement redevable aussi au système de C.G. Jung qui, pour rendre compte de la structure organisatrice des images chez un individu, fait appel à un "inconscient collectif" constitué d’archétypes fondamentaux où il voit "le stade préliminaire, la zone matricielle de l’idée"230. Mais cette réémergence du mythe ou de l’imaginaire n’a pas que des causes épistémologiques, esthétiques ou théoriques. En vérité, la pensée occidentale, autrefois démythifiante, s’inscrit aujourd’hui dans un contexte général plus ouvert à l’expression du sacré, du symbolique ou du magique sous toutes leurs formes, comme l’attestent les attitudes de cette fin de millénaire et comme en témoignent les divers colloques sur le mythe, l’imaginaire ou le magique 2 31 : " nous sommes entrés - par différentes motivations - dans une zone d’intenses remythologisations "232.

Notes
2.

26 Durand Gilbert, Introduction à la mythodologie, Paris, Albin Michel, 1996, p.17.

2.

27 Cité dans Durand (Gilbert), L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1964, (édition " Quadrige " : 1989, p. 25).

2.

28 Durand (Gilbert), L’imaginaire symbolique, op. cit., p. 49.

2.

29 Cassirer (Ernst), Philosophie des formes symboliques, III, Paris, Edition de Minuit, 1972, p. 202.

2.

30 Jung (Carl Gustav), Types psychologiques, Genève, Georg, 1950, p. 456.

2.

31 Science et Conscience, les deux lectures de l’Univers, Colloque de Cordoue, (collectif), Paris, Stock, 1980. Voir aussi Le défi magique (colloque de Lyon de 1993), Lyon, PUL, 1994.

2.

32 Durand (Gilbert), Introduction à la mythodologie, op. cit., p. 40.