6.3.3. Evaluation des mérites et des limites de l’approche mythocritique.

L’approche mythocritique initiée par G. Durand présente des mérites et des limites, tant au niveau théorique que pédagogique.

Les mérites de cette approche sont d’abord d’ordre théorique. Cette méthode restitue au texte littéraire sa dimension symbolique et permet une initiation à la pensée symbolique. Initiant l’élève à une prise en compte des origines culturelles de l’œuvre littéraire sous la forme des mythes, elle lui permet d’établir des rapports entre la littérature produite dans un temps et les mythes qui l’ont précédée. Elle se fonde aussi sur le réseau méthodologique existant entre des approches diverses, elle s’appuie sur une textuelle prolixe, voire jubilatoire. Cette méthode ouvre incontestablement de nouvelles perspectives et de nouveaux horizons à l’acte de lecture.

Ses mérites sont aussi d’ordre pédagogique. S’appuyant sur une saisie rigoureuse des indices et sur une description systématique de leurs relations, ce modèle de lecture permet de rendre compte du texte et de ses structures spécifiques. Un tel modèle, dans sa rigueur méthodologique, évite ainsi un certain nombre de dérives interprétatives ou d’amalgames rapides. L’élève, conduit à devoir mener des recherches dans le cadre de cette méthode de lecture, développe ses connaissances en matière de mythes et ses propres capacités d’autonomie. La méthode, relativement complexe, a par ailleurs pour effet de conduire l’élève à développer sa maîtrise de la complexité.

Cette approche présente, à côté de ces qualités, l’envers de ces qualités.

Sur le plan théorique, une telle méthode, qui s’appuie sur l’imaginaire, s’applique à un domaine difficile à cerner et paraît, de ce fait, fondée sur une assise pour le moins mouvante. Sa tendance à ne pas prendre en compte les caractères formels du texte et le fait, en particulier qu’il soit acte d’écriture, l’amène, notamment dans sa phase interprétative, à s’éloigner du texte et à lui substituer des schèmes préétablis qui sont ceux du mythe. L’ampleur, ou la subtilité, des rapprochements peut paraître, à certains, hardie, voire hasardeuse. L’approche mythocritique peut développer des aspects ésotériques au détriment de la rationalité attendue. Dans le cadre d’une telle méthode, le texte apparaît surtout comme objet de transmission culturelle plutôt que comme objet esthétique. Le rapport qui y est établi entre mythe et culture n’est pas suffisamment clarifié. La mythocritique de G. Durand a tendu jusqu’ici à valoriser les mythes d’autres cultures au détriment des mythes du judeo-christianisme 2 78 et tend à développer un synchronisme intemporel qui est aussi syncrétisme culturel.

Sur le plan pédagogique, la mythocritique présente aussi des limites. Méthode relativement complexe dont la terminologie peut poser problème à certains élèves, la mythocritique suppose des pré-requis mythologiques importants. La connaissance des mythes antiques en particulier peut apparaître à certains comme relevant d’une culture passéiste. Les commentaires acquis par l’approche mythocritique peuvent être jugés insatisfaisants aux yeux de certains élèves ou étudiants dans la mesure où ceux-ci n’y retrouvent pas les caractéristiques habituelles du commentaire de texte. Que dire dans ces conditions de l’accueil que leur réserveraient, un jour d’examen, des enseignants rétifs aux méthodologies qui, maladroitement utilisées par les élèves, pourraient paraître s’éloigner du texte ? Cette démarche peut avoir enfin pour effet non désiré de développer chez certains élèves, dont la rationalité n’est pas encore tout à fait assurée, la conviction que l’on est en droit de pratiquer l’amalgame.

Notes
2.

78 Voir à ce sujet, le chapitre intitulé « le symbole et le mythe » dans Figures mythiques et visages de l’œuvre, où G. Durand reconnaît lui-même une telle valorisation : « Certes ce sont les polythéismes « païens » qui illustrent le plus franchement ma thèse » (P.26).