7.1.3. La lecture comme prise d’indices.

La notion d’indice étant cernée et distinguée notamment de celle de signe, il est nécessaire de dire dans quelles conditions s’effectue la lecture comme prise d’indices.

7.1.3.1. La lecture n’est ni simple visualisation ni simple vocalisation : le texte au delà de l’objet vu et de l’objet dit.

Admise la caractéristique distale 2 ou différée 3 de l’acte lexique par rapport à la production du texte, ce qui est le propre de toute communication écrite, il importe avant même d’entrer dans le débat sur les méthodes pédagogiques de lecture, entre lesquelles Guy Avanzini distingue méthode traditionnelle et « méthode active » 4 , de réfléchir sur ce qui se passe dans le moment même de la lecture. Ce moment est celui où le lecteur parcourt des yeux un texte, pour en comprendre le sens, éventuellement pour le faire entendre à partir d’une prise d’indices. Une fois que l’on s'est défait, assez facilement, de l’idée que l’essentiel de l’acte lexique n’est pas dans la vision du texte, puisque les aveugles lisent un texte sans utiliser leur appareil visuel, il convient d’affirmer que cet acte lexique consiste plutôt dans l’activité intellectuelle. Cette activité, voyants et mal voyants la déploient pour « reconstruire le sens du message » 5 à partir de signes, différents quant à la forme, signes qui constituent autant d’indices.

Ceci acquis, la prise d’information par le système sensoriel, quel qu’il soit, ne doit pas être considérée comme linéaire. En effet, l’observation des mouvements oculaires, par exemple, permet de définir les opérations cognitives en jeu dans la lecture. Contrairement à ce que l’on peut penser, et on le sait depuis un siècle, l’activité oculaire n’examine pas de façon égale le texte, mais s’attarde par fixation sur certains éléments, ce qu’ont rappelé plus récemment K. O’Reagan et A. Levy-Schoen dans leur article paru dans L’année psychologique 6 . Et c’est à ce moment là qu’est traitée l’information et non au moment où l’œil est mobile, excepté quand celui-ci, par saccade régressive, vérifie l’exactitude de la prise d’information.

Et ce n’est pas parce que cette mobilité de l’œil s’accompagne chez le lecteur de la vocalisation des signes perçus, et ce en suivant la linéarité du texte et dans l’ordre du temps, qu’il faut s’en tenir à l’affirmation que là est l’essentiel. Le texte dit, s’il constitue, d’évidence, une étape de la lecture, n’est pas le tout de l’acte lexique, il n’est pas davantage le but de l’apprentissage, même si l’histoire montre que dire à haute voix un texte précède la lecture silencieuse ou se présente comme un des rites religieux fondamentaux.

Notes
2.

Rondal (Jean A.), « Communication et langage : développement linguistique », in Rondal (Jean A.) et Huitig (M.), Introduction à la psychologie de l’enfant, Vol.2, Bruxelles, Mardaga, 1981.

3.

Fijalkow (Jacques), Cambon (J.) et Jimenez (M.), « Techniques pour l’étude de l’anticipation au cours de la lecture », Psychologie et éducation, 1980, IV.

4.

Avanzini (Guy), Immobilisme et innovation dans l’éducation scolaire, Toulouse, Privat, 1975.

5.

Fijalkow (Jacques), « Langage écrit : 1 L’habileté lexique », in Troubles du langage, diagnostic et rééducation, ss la dir. de Rondal (Jean.A) et Seron (Xavier), Bruxelles, Mardaga, 1989.

6.

O’Reagan (K.) et Levy-Schoen (A.), « Les mouvements des yeux au cours de la lecture », L’œuvre psychologique, 1978, n°78.