7.1.4. L’oeuvre littéraire devenue objet par la lecture.

Sans être réductible à cette constatation, l’oeuvre littéraire elle-même devient objet dans l’acte de la lecture.

Dans toute lecture d’une oeuvre littéraire, quelle qu’elle soit, il y a prise d’indices. Le texte lui-même est constitué, dans sa composition, d’une multiplicité d’éléments qui sont autant d’indices à repérer dans l’acte de sa lecture. Qu’on se souvienne des conseils de styliste adressés par G. de Maupassant à l’apprenti romancier dans sa célèbre préface de Pierre et Jean : « Ayons moins de noms, de verbes et d’adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases différentes, diversement construites, ingénieusement coupées, pleines de sonorités et de rythmes savants. Efforçons-nous d’être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares » 15 . On reconnaît, dans ces recommandations, plusieurs des réalités textuelles que le lecteur va devoir prendre en compte dans le processus de la lecture, et notamment celle des mots et de leur significations, celle des sonorités dont ils sont constitués, celle de leur appartenance à des ensembles lexicaux, celle de leur catégorie grammaticale, celle des groupes de mots formant des unités rythmiques, celle des phrases enfin et de leur construction. La saisie de telles réalités ne prend sens que lorsque le lecteur leur attribue le statut d’indices significatifs, le texte devenant dès lors l’objet d’une construction imaginaire dans l’esprit du lecteur au point d’y prendre forme et force de réalité. C’est ainsi que le narrateur d’A La Recherche du temps perdu, évoquant ses lectures dans le jardin de Combray, note la forte impression qu’elles faisaient sur son imagination de lecteur  : « Ces paysages des livres que je lisais n’étaient pas pour moi que des paysages plus vivement représentés à mon imagination que ceux que Combray mettait sous mes yeux [...], ils me semblaient être - impression que ne me donnait guère le pays où je me trouvais, et surtout notre jardin, [...] - une part véritable de la Nature elle-même » 16 .

Ainsi, par la perception d’indices constituant le texte, le lecteur construit-il l’objet textuel comme sens, construction à laquelle son imagination contribue pour une large part et apporte sa représentation toute spécifique. De ce fait, on peut affirmer que, pour une même oeuvre lue, il y a autant d’objets construits qu’il y a de lecteurs, ce qui n’enlève rien à la nécessité de développer les capacités de lecture, mais qui souligne au contraire le caractère impératif de cet apprentissage. Ces capacités de lecture s’enrichiront, de toute évidence, dans l’appropriation des méthodes textuelles qui, non seulement prennent en compte l’objet texte et ses indices, mais prennent aussi en considération le lecteur lui-même.

Notes
15.

Maupassant (Guy de), Pierre et Jean, préface « Le roman », Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1887, p.  714.

16.

Proust (Marcel), Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, p. 86.