7.2.2. L’approche sémiotique fait du texte l’objet d’une description manifestant les conditions de production de son sens.

L’approche sémiotique, qui se fixe comme but d’élucider les conditions de production du sens du texte, a mis en place, plus qu’une typologie des signes, un « protocole d’analyse » 1 7 permettant au lecteur de retrouver la construction de l’objet-texte dans l’acte même de sa lecture. Les théoriciens de l’approche sémiotique, malgré les points de vue divergents entre les écoles américaines et européennes, ont beaucoup réfléchi, en effet, sur la nature de ce qui servait au lecteur à se saisir du texte (signes, procédures et parcours génératif). Cette approche, qui se définit comme une théorie de la signification, distingue différents niveaux de profondeur et d’appréhension du texte. Au premier abord, s’impose, pour reprendre le terme familier de Jacques Geninasca, un « balayage, préalable à toute interprétation, de la surface du texte, en quête d’informations de lecture [...] et plus particulièrement d’index notificateurs d’existence d’un signal »18. En quoi consistent ces index ? Il s’agit de la répétition d’un lexème, d’une structure syntaxique, de la présence de figures qui sont autant d’éléments informatifs immédiatement saisissables comme indices porteurs de sens. Dans un deuxième temps, le travail de lecture consiste dans un repérage et une modélisation des structures d’énonciation. Les indices personnels et situationnels qui sont autant de notificateurs d’une situation d’énonciation seront recherchés en priorité. Ces structures d’énonciation étant identifiées, reconnues et interprétées comme signes, il convient de procéder au repérage d’autres structures. Figures, thèmes discursifs correspondent à des structures d’un niveau encore superficiel, celles de la composante discursive du texte. La configuration des thèmes constitue dès lors un ensemble de signes qu’il s’agit moins d’interpréter que de considérer comme les composants du texte et comme une des instances du parcours génératif du sens du texte. « Dans cette perspective, on entend par lecture la construction, à la fois syntaxique et sémantique, de l’objet sémiotique rendant compte du texte-signe »19.

A un autre niveau, s’établissent les structures narratives, celles des catégories actantielles du ou des programme(s) narratif(s) de l’oeuvre. De telles structures qui correspondent à la syntaxe narrative de surface sont reconnaissables à divers indices du texte. Dans la fable « Le corbeau et le renard », de J. de La Fontaine, le lecteur peut sans effort identifier différentes étapes qui assurent le passage de l’état initial d’un corbeau possesseur de l’objet « fromage » à un état final où il en est privé. Ces structures, permettant de décrire la composante narrative du texte, à travers ses états et ses transformations, sont autant de signes de la mise en oeuvre des actants au service d’un discours de l’oeuvre.

A un niveau sémiotique plus profond, l’analyse manifeste l’existence des structures élémentaires et abstraites de la signification sous la forme de catégories sémiques que J. Geninasca qualifie de « sortes d’espaces primitifs antérieurs aux spécifications spatiales, temporelles et actorielles »20.

Comme on le voit, le parcours génératif du sens dans l’acte de la lecture qui cherche à retrouver la voie de la production se réalise en partant des structures les plus superficielles concrètement actualisées et en aboutissant aux plus profondes et aux plus abstraites. Ce parcours génératif se fait dans l’identification, à ces différents niveaux de structures, d’indices et de signes spécifiques. Le parcours génératif du sens dans l’acte de la production ou de la textualisation est supposé inverse. Les structures discursives de surface se présentent comme les significations ou les actualisations concrètes dans l’espace, dans le temps, dans les figures actorielles, de catégories plus fondamentales. « Les structures discursives moins profondes sont chargées de reprendre à leur compte les structures sémiotiques de surface et de les mettre en discours en les faisant passer par l’instance de l’énonciation »21. Une confrontation entre les différents niveaux et entre leurs différents signes peut alors faire apparaître l’oeuvre ou le texte comme un système complexe de significations et permet de décrire les conditions de production de son sens.

L’affinement de la méthodologie sémiotique est arrivé à un point tel que la dénomination de ce qui permet une saisie de la signification est propre à chacun des niveaux appréhendés et à chacun des signes retenus. Par ailleurs il serait vain de tenter de décrire ces signes dans les termes de la typologie de C. S. Peirce, compte tenu du fait que cette typologie introduit le référent dans sa définition du signe, alors que l’approche sémiotique cherche, avant toute chose, à « déterminer les formes multiples de la présence du sens et les modes de son existence. »22.

Comme on a pu le constater dans le rapprochement des méthodes d’analyse structurale et sémiotique, et ceci bien que les deux approches aient en commun une conception immanente du texte considéré comme un objet clos sur son sens, ces deux méthodes ont une démarche différente et mobilisent, à titre d’indices et de signes, des éléments tout à fait distincts de la réalité textuelle.

Les deux approches qui suivent ont en commun de développer un discours à partir du rapport entre le texte et le contexte dans lequel l’auteur a produit l’oeuvre. Une telle parenté permet-elle d’identifier une équivalence dans les indices mis en avant par les deux approches ?

Notes
1.

7 Geninasca (Jacques), chapitre « Sémiotique » dans Méthodes du texte, Introduction aux études littéraires, Paris-Gembloux, Duculot, 1987, p. 57.

1.

8 Ibid.

1.

9 Greimas (Algirdas-Julien) et Courtès (Joseph), Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, article « Lecture », Paris, Hachette, 1993, p. 206. Les composantes syntaxique et sémantique se combinent aux différents niveaux de l’objet, qu’il s’agisse des structures discursives ici examinées ou des structures sémi-narratives de niveau superficiel ou profond.

2.

0 Geninasca (Jacques), op. cit., p. 59.

2.

1 Greimas (Algirdas-Julien), op. cit. article « Génératif (parcours), p. 160.

2.

2 Greimas (Algirdas-Julien), Du sens, Paris, Le Seuil, 1970, p. 17.