7.2.6. L’approche mythocritique fait de l’oeuvre un objet en relation avec un mythe.

L’approche mythocritique partage avec l’approche thématique une même inscription dans l’imaginaire. Reposant sur le rapport entre le texte et le système culturel, cette approche met en oeuvre une reconnaissance, dans le texte considéré comme production culturelle, d’un discours mythique et de ses figures ou de ses marques. Quels sont les signes ou les indices de la présence de ce discours dans l’oeuvre ? Dans quelle mesure la typologie générale des signes de C. S. Peirce permet-elle de clarifier la nature des signes appréhendés par l’approche mythocritique aux différents niveaux de l’oeuvre ou de sa lecture ?

Si l’on envisage la lecture comme un parcours du sens où les significations de niveau supérieur sont progressivement générées par celles acquises à un niveau plus élémentaire, l’approche mythocritique établit plusieurs paliers de lecture auxquels correspondent des signes de nature différente. Le premier niveau d’une approche mythocritique d’un texte consistant à repérer les thèmes, les figures ou les éléments figuratifs, ce premier niveau, qui prend en compte les mots du texte, définit les signes mobilisés isolément comme des « sinsignes ». Certains de ces signes seront ensuite perçus comme des signes plus fortement significatifs, soit comme des symboles, soit comme des figures mythiques, soit comme des indices ou des traits de figures mythiques à valeur symbolique. Le deuxième niveau de l’approche mythocritique repose sur le rapport entre le texte et ses signes d’une part et le système culturel et ses mythes d’autre part. Les symboles seront ici valorisés, étant conventionnellement reconnus, dans leurs rapport à leur objet, comme des signes culturels. Les figures du mythe seront également mises en évidence comme la référence culturelle d’un mythe considéré comme modèle antérieur au texte. Mais l’identification du mythe ou même des symboles fondamentaux du texte passe par l’identification de certains indices. La reconnaissance des figures du mythe passe par l’identification de traits ressemblants entre les figures du texte et celles du mythe de référence et passe donc par la reconnaissance d’un rapport au moins partiellement iconique entre ces figures. Pour qu’une figure ou qu’un élément figuratif soit considéré comme symbole, il faut que s’y attachent une valeur et un sens en lui-même et dans la relation qui le lie à une situation ou à d’autres symboles. Pour qu’une figure soit reconnue comme relevant d’un mythe, il faut que s’y attachent certains traits conventionnellement reconnus à la figure du mythe et symboliquement significatifs de ce mythe. Ces différents signes fondamentaux qui désignent le texte comme une production culturelle reproduisant consciemment ou inconsciemment les modèles mythiques fondateurs d’une culture acquise par immersion et grâce à d’autres textes écrits, oraux ou autres, peuvent être considérés comme des signes symboliques au sens plein du terme. Mais il va de soi qu’un tel étagement des niveaux de lecture a quelque chose d’idéal et que certains signes, tel qu’une figure ou qu’un symbole même fondamental peuvent n’apparaître qu’après approfondissement de l’approche mythocritique du texte et à partir de la trace identifiée des références culturelles du mythe lui-même, tant il est vrai que comme l’affirme G. Durand, dans son ouvrage Figures mythiques et visages de l’oeuvre, la mythocritique « tend à extrapoler le texte ou le document étudié [...] mais aussi à rejoindre les préoccupations socio ou historico-culturelles »29.

Ainsi, les différentes approches mises en oeuvre sur le texte, de par leurs méthodologies propres, font apparaître des indices ou des signes de nature différente. Ces indices ou ces signes permettent au lecteur utilisant chacune de ces approches de construire un discours interprétatif, ou explicatif, de rendre compte de l’oeuvre en partant d’un point de vue choisi en fonction des finalités ou des présupposés de chaque méthode. Ces indices ou ces signes permettent, dans les cas les plus extrêmes, à certains théoriciens de prétendre épuiser le sens du texte. Que l’approche envisage le texte en lui-même, comme dans le cas des lectures structurale et sémiotique, qu’elle le considère dans son rapport avec un espace intertextuel ou culturel, comme pour les approches thématique ou mythocritique, ou qu’elle lise le texte sous l’aspect d’une inscription dans une histoire collective ou individuelle ou sous l’aspect de l’inscription de cette histoire dans le texte, comme le font les approches sociocritique ou psychocritique, on constate, dans chacun des cas, la construction par chaque approche d’un objet particulier. S’il est vrai que l’oeuvre littéraire est un fait, s’il est vrai que chaque approche en fait un objet particulier, doit-on en conclure pour autant que l’oeuvre ou le texte soit réductible à chacun de ces objets ?

Notes
2.

9 Durand (Gilbert), Figures mythiques et visages de l’oeuvre, Paris, Dunod, 1992. (1ère ed, 1979).