9.2 Ce qu’est une lecture anthropologique.

9.2.1. La lecture anthropologique est une démarche d'élucidation de faits anthropologiques.

La lecture anthropologique constitue le texte comme un ensemble de faits qui peuvent être considérés comme des faits anthropologiques. Si l'on prend dans un texte des signes aussi connus que « je », « tu », « il », leur présence peut être reconnue comme fait anthropologique, dans la mesure où ce fait de langue est reconnaissable comme un des universaux du langage. La forme que peut prendre, dans le texte, la 2ème personne traduit une conception du monde ou un type de culture, et cette forme doit être considérée comme un fait anthropologique. Par ailleurs la lecture anthropologique prend comme principe qu'un même fait peut référer à de multiples aspects ou champs anthropologiques de la réalité humaine. Ainsi, quand on analyse, au 1er acte du roi pêcheur, la scène au cours de laquelle Clingsor révèle la présence aux portes de Montsalvage d'un chevalier qu'il désigne de l'expression « le très Pur », l'emploi du pronom « il », par lequel il le désigne, ne peut pas être interprété seulement comme la référence à l'absent de la situation d'énonciation. Mais l'emploi réitéré de ce pronom, associé à la majuscule qui affecte l'adjectif « Pur », le signale à l'attention du lecteur comme relevant d'une sphère suprahumaine, ce qui dans la culture chrétienne occidentale, permet au lecteur de pressentir dans ce personnage une figure messianique, ce que confirment divers liens établis par 1 'auteur.

La lecture anthropologique n'est pas seulement reconnaissance de l'existence de la nature anthropologique des faits textuels, elle est aussi reconnaissance de la nature anthropologique de leur interprétation par le lecteur.

Ainsi, quand le lecteur, après avoir repéré des signes textuels et leur répétitions comme « il » ou « le Très Pur », propose une interprétation de ces signes à partir des champs anthropologiques dans lequel lui‑même est situé, la lecture interprétative qu'il en fait est une réalité anthropologique.

A l'occasion d'une telle lecture, il se peut que le lecteur récepteur se découvre comme ne coïncidant pas avec le destinataire ou le lecteur-modèle imaginé par l'auteur et auquel s'adresse l'oeuvre. Cet écart entre destinataire et récepteur constitue en soi un phénomène anthropologique qui permet de mesurer l'écart entre deux cultures, voire l'écart entre deux états d'une même culture. C'est que, si l'oeuvre n'est pas isolable de l'auteur et que l'auteur n'est pas isolable de la culture à laquelle il appartient dans un contexte personnel, historique et social, l'oeuvre, saisie par la lecture anthropologique, n'est pas isolable non plus de la culture qui a produit cette lecture. L'oeuvre littéraire qui devient alors objet de transmission entre deux cultures ou deux états d'une même culture et support médiateur de cette relation consciente et inconsciente, ne peut trouver son statut anthropologique que par la lecture anthropologique.