9.3. Ce que met en mouvement la lecture anthropologique.

9.3.1. C'est une lecture qui anime et qui élucide le rapport entre l'oeuvre, l'auteur, la culture et le lecteur.

L'acte de production qui engage la culture, l'auteur et l'oeuvre, ainsi que l'acte de réception qui met en jeu l'oeuvre, le lecteur et sa culture s'inscrivent dans un même dynamisme dans la lecture anthropologique. Cette lecture, en effet, active et réactive les rapports que les différents acteurs entretiennent, pour leur propre compte, avec le(s) système(s) culturel(s) en jeu dans l’acte de lecture. Elle active et réactive, dans le même temps, les relations que ces mêmes acteurs (ou leurs substituts) entretiennent entre eux à travers les identités relatives qui leur sont propres et qui permettent de définir leur identité culturelle. L'acte de lecture anthropologique n'est pas seulement attribution par le lecteur de traits d'identité relatifs à l'auteur ou à l'oeuvre produite. Cette lecture est aussi prise de conscience, dans cette attribution, des traits d'identité relatifs propres au lecteur, que ces traits soient communs ou distincts de ceux attribués à l'auteur. Cette lecture familiarise progressivement le lecteur avec les divers champs anthropologiques et avec ceux qu'Iser appelle les "Leerstelle" 8 , soit les "blancs" ou "espaces vides" que l'auteur a consciemment ou inconsciemment laissés dans l'oeuvre comme espaces à combler par le lecteur. Chaque approche fournit, dans cette perspective, l'occasion au lecteur d'expérimenter la "réticence" 9 du texte aux constructions ou aux modèles théoriques avancés et, en ce sens, la lecture anthropologique construit, dans la pratique, le "lecteur-modèle" 1 0 cher à U.Eco.

En attirant l'attention sur les relations communes qui existent entre production et réception d'une oeuvre (ou sur les divergences qu'elle permet de relativiser), la lecture anthropologique fait non seulement émerger ces rapports, mais fournit un moyen d'en analyser et d'en modéliser la complexité. Et c'est précisément dans la mesure où cette lecture anthropologique " a pour effet de ne pas figer la différence en identité absolue qu'elle peut libérer l'ensemble du processus rituel [qu'est la lecture] comme processus à double relativité, constitutif d'altérité et d'identité"11.

Notes
8.

Iser (Wolfgang), L'acte de lecture. Théorie de l'effet esthétique, Bruxelles, Mardaga, 1985.

9.

Eco (Umberto), Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985, p.30.

1.

0 Ibid., pp.64 à 85.

1.

1 Augé (Marc), Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Aubier, 1995, p.91.