9.3.3. La lecture anthropologique, qui met le lecteur en mouvement dans une quête du sens, est une herméneutique.

Rappelons que Wilhelm Dilthey définissait "l'herméneutique comme l'art d'interpréter les monuments écrits"19. Or cette interprétation qui est une forme de compréhension, et qui engage "le processus par lequel nous connaissons un intérieur à l'aide des signes perçus de l'extérieur par nos sens"20 ne saurait se limiter à la découverte d'un principe. La lecture anthropologique se définit ainsi comme une herméneutique, non seulement parce que chaque aspect du texte doit être interprété en fonction de la cohérence du tout, mais aussi parce que, une fois le principe reconnu, le lecteur se doit de vérifier en quoi ce principe organise les aspects qui ont conduit à sa formulation. Chaque oeuvre peut, dès lors, trouver sa place dans le vaste ensemble que constitue la culture humaine. C'est ainsi que, pour reprendre le mot de L.Spitzer, "l'entité Rabelais doit être intégrée à une unité plus vaste et replacée à un point déterminé de l'histoire"21.

En permettant au lecteur une saisie intuitive et précompréhensive du texte par le repérage de certains de ses signes, la lecture anthropologique enclenche un processus herméneutique qui, par une explicitation des autres aspects du texte, permet d'aborder aux articulations profondes où s'élabore le sens caché ou latent, à partir du mythe fondateur, et ceci au-delà des circonscriptions contingentes et circonstanciées. La lecture anthropologique, dont la modélisation se formalise dans les figures du cercle, rejoint, dans cette formalisation même, le cercle herméneutique. Tout en se présentant comme une méthodologie de la lecture, voire comme une métaméthodologie, cette lecture n'impose pas une démarche linéaire qui enfermerait le lecteur et l'élève dans un parcours préétabli, mais tend à développer chez lui, un art de la lecture "qui dépend du talent, de l'expérience, de la culture de l'individu"22. Une telle maîtrise de la lecture se construit, non seulement dans le développement de capacités d'évaluation interne qui concerne le texte lui-même et les approches qui entrent dans la mise en oeuvre de cette lecture, mais aussi dans le déploiement des capacités d'évaluation externe, une lecture ne pouvant pas "contredire certaines données objectives (d'ordre historique, stylistique, etc.) concernant l'oeuvre"23.

Le recours aux différentes approches textuelles et la mise en évidence de leurs présupposés théoriques, posent, par ailleurs, la question d'une "théorie des opérations de la compréhension dans leur rapport avec l'interprétation des textes"24 qui est la définition que P. Ricoeur donne de l’herméneutique.

La lecture anthropologique se définit ensuite comme une herméneutique, dans la mesure où elle conduit à une "démythologisation", en donnant à ce mot le sens que lui prêtait Rudolf Butmann 2 5. Cette démythologisation correspond d'abord au processus de rationalisation tendant à faire du mythe une histoire proprement humaine. Elle correspond ensuite à l'interprétation de ce mythe qui "exprime dans un langage objectif le sens que l'homme prend de sa dépendance à l'égard de cela qui se tient à la limite et à l'origine de son monde"26.

Notes
1.

9 Ibid.

2.

0 Ibid.

2.

1 Spitzer (Léo), Etudes de style, Paris, Gallimard, 1970, p.62.

2.

2 Hallyn (Fernand), art. "De l'herméneutique à la déconstruction", in Méthodes du texte, Introduction aux études littéraires, Paris, Gembloux, Duclot, 1987, p.317.

2.

3 Ibid., p.317.

2.

4 Ricoeur (Paul), Le conflit des interprétations, Paris, Le Seuil, 1969.

2.

5 Bultmann (Rudolf), "Neuves Testament und Mythologie", conférence de 1942.

2.

6 Ricoeur (Paul), Le conflit des interprétations, Paris, Le Seuil, 1969, p.383.