10.1. L’œuvre littéraire devenue expression et manifestation symboliques d’une culture

10.1.1. Repérage et identification du mythe et des traits caractéristiques de celui-ci rendus présents dans l'oeuvre littéraire grâce à la lecture anthropologique.

Pour éviter au lecteur le désagrément d'une répétition, nous proposons d'appliquer la lecture anthropologique, non pas au roi pêcheur de Julien Gracq, mais à l'oeuvre bien connue de Pedro Calderon de la Barca, La vie est un songe 1 et de tenter d'y découvrir le mythe qui fonde cette oeuvre et les caractéristiques qu'il présente.

On se souvient que Sigismond, au début de la pièce, est enfermé dans une tour, vêtu de sa peau de bête, enchaîné, réduit depuis sa naissance à l'état d'animal par la volonté du roi Basyle, son père. Lequel, pris de remords, fait transporter son fils endormi au palais où Sigismond va faire l'expérience de ce qu'il croît être la liberté. Encore sous la domination de ses instincts, il commet un meurtre, tente de violer une dame de la cour, se montre tyrannique et farouche. Son père le fait à nouveau endormir et enfermer dans la tour où, réveillé, Sigismond s'interroge sur la réalité de ce qu'il a vécu et connaît l'expérience du desengaño. Enfin désabusé, il en vient à renoncer aux vanités terrestres et aux illusions du pouvoir approché. C'est alors que, appelé par le peuple, il prend la tête de la rébellion contre le roi et s'empare du pouvoir. Son père à ses pieds, il manifeste sa raison et rétablit celui-ci dans ses droits.

Une telle oeuvre, analysée par la lecture anthropologique, s'organise dans la complexité autour de deux pôles que repèrent différentes approches.

On observe en effet, à partir des lectures successives de la pièce, un paradoxe dont la première phase se caractérise par une polarité négative, la seconde phase par une polarité positive. Cette structure paradoxale n'est donc pas seulement une contradiction d'états simultanés, elle se présente comme le récit positivement orienté d'une transformation. Le paradoxe ainsi repéré et son orientation positive qui se formulent dans les termes d'un progrès décisif sont, comme tels, lisibles dans toutes les approches. Aux violences et aux désordres qui marquent, dans un premier temps, le monde et les relations interpersonnelles, familiales et sociétales, succèdent, par le choix de la raison et de la vertu, un état serein et harmonieux qui reproduit, à l'échelle humaine, les harmonies célestes ou cosmiques. Que cette transformation corresponde à une préférence esthétique de Calderon, à la désignation des structures profondes de l'oeuvre, à la résolution d'un conflit personnel, à un choix idéologique de valeurs, à une aspiration au renouvellement et au dépassement des contradictions internes ou externes à une société, au passage significatif des structures imaginaires et mythiques de l'exclusion des contraires à celle de leur coïncidence2 0 , une transformation se retrouve formulée, presque à l'identique, dans les différentes approches. Ce récit d'une transformation des états, des relations, des représentations et des valeurs se présente aussi comme le récit d'une double découverte par Sigismond de l'altérité, découverte de la sienne propre et de l'altérité du Monde et des autres. Le héros n'apprend-il pas, dans cette expérience de transformation qu'il vit, qu'elle est aussi l'expérience des autres et du Monde, ce qui le conforte dans ses choix et dans ses capacités à se dépasser soi-même et ce qui le conduit à renouveler sa relation à l'autre. Pour symboliser cette transformation et ce renouvellement, Sigismond en vient, du reste, à fixer le nouveau pouvoir qui est le sien et le nouvel état qui caractérise le monde sous le signe de l'alliance par son propre mariage avec Etoile et par celui d'Astolphe et de Rosaure.

Ainsi l'élève-lecteur peut repérer que l'oeuvre ainsi analysée s'organise, dans sa structuration, autour d'un mythe, synthèse des contraires, qui oppose le désordre et l'ordre, la mort et la vie, l'enfermement et la liberté, la bestialité et l'humanité, la vie rêvée et la vie vécue.

Notes
1.

Calderon de la Barca (Pedro), La vida es sueno, (La vie est un songe), 1635.

0.

2 Consulter, sur ce point, l'ouvrage de Durand (Gilbert), Structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, Dunod, 1992. Voir aussi, du même auteur, Figures mythiques et visages de l'oeuvre de la mythocritique à la mythanalyse, Paris, Dunod, 1992.