10.2.3. Reconnaissance de l'oeuvre littéraire comme signe d'une culture.

On conviendra que, arrivé à ce niveau d'interprétation, l'élève est en mesure de reconnaître dans l'oeuvre littéraire , et dans les autres oeuvres artistiques, un des signes qui constituent la manifestation d'une culture.

Si, avec Geerts, on admet qu'une culture est un texte, c'est-à-dire un système de signes et un "modèle de signification incarné dans des symboles" 6 0 , on peut affirmer que l'oeuvre littéraire, inversement, dans sa cohérence avec les autres oeuvres, constitue bien un signe entrant dans un système qui s'identifie au système culturel.C'est ainsi que les oeuvres de Calderon et celles de Velasquez, pour ne prendre que cet exemple, constituent des signes de la culture hispanique, historiquement marquée et correspondant à la fin du Siècle d'Or.

Aussi, dire qu'une oeuvre littéraire est signe d'une culture veut dire qu'une oeuvre littéraire comporte en elle-même les traits caractéristiques de cette culture et qu'elle a pour horizon de référence le système organisé autour du mythe fondateur qui constitue cette culture et l'univers de sens qui lui est propre.

Mais c'est aussi décrire par quel processus une culture agit sur les sujets humains, de façon explicite ou implicite, de façon directe ou indirecte, consciente ou inconsciente. C'est ainsi que La vie est un songe de Calderon  et Les Menines de Velasquez  peuvent-être considérées comme des lieux où s'inscrivent les influences d'une culture à travers les traits qui sont propres à celle-ci et qui sont communiqués à l'œuvre, et à travers l’oeuvre.

On reconnaîtra ainsi, dans ces deux oeuvres, une même mise en évidence du caractère mondain, c'est-à-dire radicalement illusoire ou vain, des pouvoirs strictement humains.

Dire que l'oeuvre littéraire est un signe de la culture, c'est aussi lui reconnaître la capacité à énoncer et à spécifier les traits caractéristiques de la culture dans laquelle elle s'inscrit et qui est inscrite en elle. En effet, l'oeuvre littéraire formalise, énonce et spécifie de façon plus ou moins claire, le discours de cette culture, dont le mythe constitue la formulation la plus radicale. Ainsi Calderon, en faisant discourir ses personnages sur la réalité humaine, l'honneur, le pouvoir et la divinisation de l'homme par le salut ( "c'est le propre des nobles coeurs que de savoir pardonner" (fin 3°journée)) révèle le fond et le fonds de la culture espagnole de son temps : la liberté humaine s'accomplit en accomplissant l'ordre providentiel voulu par Dieu.

Nous avons pu montrer, dans ce chapitre, que la lecture anthropologique rend possible la reconnaissance par l'élève de l'oeuvre littéraire comme manifestation du mythe de la culture qui a porté cette oeuvre, et ceci à travers l'identification des traits lisibles dans l'oeuvre et repérables, parce qu'identiques, dans d'autres signes ou d'autres manifestations de cette même culture.

C'est donc à la condition d'avoir identifié les caractéristiques du mythe dans l'oeuvre et d'avoir retrouvé dans ces caractéristiques celles-là mêmes du mythe fondateur de la culture que l'on peut cerner les traits propres à une culture, lesquels traits sont repérables et reconnaissables dans d'autres oeuvres littéraires et artistiques ou dans d'autres manifestations de la même culture.

L'oeuvre devient ainsi, non seulement, signe de culture, mais surtout expression privilégiée de l'action exercée par cette culture sur elle-même, c'est-à-dire sur les sujets qui la partagent.

Cette découverte progressive construit non seulement une méthode, mais donne les moyens d’une formation à la culture par une didactique de l’œuvre littéraire reconnue comme signe de culture.

Notes
0.

6 Geerts (Clifford), "La religion comme système culturel", in Bradbury (R.E) et al., Essais d'anthropologie religieuse, Paris, Gallimard, 1972.