11.3.3. La lecture anthropologique fait de la transmission-appropriation une double manifestation d'une culture ou de plusieurs cultures, manifestation qui est une expérience véritablement herméneutique.

La lecture anthropologique doit être comprise comme la reconnaissance d'une manifestation culturelle dans le processus d'une transmission culturelle, c'est-à-dire comme la reconnaissance de l'inscription des sujets en présence. En effet, comme nous avons eu l'occasion de le démontrer à maintes reprises, le sujet-auteur ne manifeste pas seulement dans sa production un acte proprement sujectif, mais agit dans cette production en qualité de sujet appartenant à une communauté culturelle et donnant forme et sens à cette appartenance. Le sujet-lecteur ou l'interprête est dans des dispositions idendentiques et se comporte, dans l'acte de la lecture, comme sujet appartenant lui aussi à une communauté culturelle et donnant, à l'occasion de son discours explicatif, forme et sens à son appartenance. C'est ce que laisse entendre Ricoeur, dans un passage de son ouvrage du Texte à l'action, quand il écrit : "Il est essentiel à une oeuvre littéraire, à une oeuvre d'art en général, qu'elle transcende ses propres conditions psychosociologiques de production et qu'elle s'ouvre ainsi à une suite illimitée de lectures, elles-mêmes situées dans des contextes socio-culturels différents. Bref, le texte doit pouvoir, tend du point de vue sociologique que psychologique, se déconstextualiser de manière à se laisser recontextualiser dans une nouvelle situation, ce que fait précisément l'acte de lire" 0 .

C'est dans l'écart entre les deux contextes socioculturels que se joue l'acte de transmission-appropriation. Nous entendons par transmission-appropriation l'action complexe dans laquelle interviennent principalement trois acteurs ; l'auteur-livre, le lecteur-élève et l'enseignant-médiateur. Chacun de ces trois acteurs a sa culture propre. La lecture anthropologique n'est pas seulement reconnaissance d'une action unilatérale ou unilatéralement réalisée par l'auteur, elle n'est pas seulement transmission d'une action aux dimensions culturelles, elle n'est pas seulement réception par le lecteur conçu comme une terra incognita sur laquelle viendrait s'imprimer l'action et les marques culturelles de l'auteur et de l'oeuvre, la lecture anthropologique est aussi et tout autant, appropriation, rejoignant ainsi la réflexion de Paul Ricoeur pour qui "une des finalités de toute herméneutique est de lutter contre la distance culturelle" et pour qui "l'interprêtation" "rapproche", "égalise", rend " contemporain et semblable ", ce qui est véritablement rendre propre ce qui était étranger" 0 . Le lecteur en s'appropriant le texte et en le recontextualisant à partir de sa propre situation culturelle se manifeste comme un être au monde de déjà là. Quant à l'enseignant, il remplit la fonction importante de médiateur-relais aux différentes étapes de l'apprentissage qui vont permettre à l'élève-lecteur de devenir ce qu'il est en potentialité, fonction dont l'enseignant ne peut s'écarter.

Notes
0.

Ricoeur (Paul), op.cit, p111.

0.

Ricoeur (Paul), ibid. p.153.