12.1.4. L’approche sociologique et sociocritique permet au lecteur de prendre conscience de ses appartenances sociales et de son devenir social.

Les différents modèles de lecture relevant d’une approche sociologique de la littérature lui font d’abord reconnaître, dans l’oeuvre littéraire, la réalité des faits sociaux et une représentation du social. Un sociologue comme P.Bourdieu, soucieux de substituer aux « images simplistes et unilatérales [des réalités sociales] (celles que véhicule la presse notamment), une représentation complexe et multiple » 0 , va jusqu’à considérer l’oeuvre littéraire comme le modèle de cette représentation. Certes la seule lecture d’un roman comme Le père Goriot de Balzac ne suffit pas à donner à l’élève une vision claire des relations sociales qui structurent la micro-société qu’a choisi d’y dépeindre l’auteur. Mais les méthodes de sociologie descriptive appliquées à un tel roman lui permettent une analyse de la société représentée, en l’occurrence, le monde de la Restauration où se côtoient bourgeois affairistes, qui cherchent à cautionner leur fortune et à gagner une considération sociale, et aristocrates ruinés, à la recherche d’argent bourgeois et prêts pour cela, à se « mésallier ».

Une telle approche permet, d’évidence, à l’élève de prendre conscience des réalités sociales et de leur importance dans les relations humaines. Nul doute que, en lisant la même oeuvre à travers une approche sociocritique (grâce à laquelle peut se dégager la « vision du monde » du groupe social qui a produit l’oeuvre), le même lecteur ne développe sa compréhension des phénomènes sociétaux et celle de leur incidence sur le développement de la personne en général et de sa personne, en particulier. En lisant Le père Goriot selon la méthode préconisée par L. Goldmann dans Le Dieu caché 0 , l’élève peut, au moins, à défaut de rétablir, dans sa lecture, l’ensemble des rapports liant l’oeuvre et les structures de la société qui ont produit cette oeuvre, retrouver les contraintes sociales ou historiques qui ont influencé cette production. Ayant observé la « vision du monde », paradoxale de ce roman, marquée, entre autres éléments, par l’énergique ambition de certains personnages et le déclin de certains autres, le jeune lecteur ne manquera pas de mettre en relation ce « roman de formation » avec la nouvelle mobilité sociale introduite par les bouleversements sociaux liés à la Révolution Française et revendiquée par la société bourgeoise triomphante. Ce « roman d’apprentissage » est même particulièrement approprié pour permettre à un adolescent d’aujourd’hui d’évaluer les conditions et les enjeux de son autonomie sociale par rapport à la société contemporaine de plus en plus mobile et de construire, à l’occasion de sa lecture, sa propre « vision du monde ».

Et si «l ’éducation, comme l’affirme Bernard Charlot, est un ensemble de pratiques et de processus par lequel de l’humain advient en l’homme » 0 , la lecture de l’oeuvre littéraire n’abandonne en rien les dimensions proprement éducatives liées à l’objet anthropologique qu’est l’oeuvre littéraire et à ses fonctions de transmission anthropologique, en permettant au jeune lecteur de prendre ainsi conscience de ses appartenances sociales et de son à-venir social.

Notes
0.

Bourdieu (Pierre), La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p.9.

0.

Goldmann (Lucien), Le Dieu caché, Paris, Gallimard, 1959.

0.

Charlot (Bernard), Les sciences de l’éducation, un enjeu, un défi, Paris, ESF, 1995, p.21.