12.2.1. La lecture anthropologique fait prendre conscience au lecteur de la multidimensionnalité de son identité personnelle.

A travers l'acte de lecture et la production du compte-rendu qui lui est lié, l'élève découvre, non seulement la complexité et la multidimensionnalité de l'oeuvre littéraire et des réalités anthropologiques qui l'entourent et auxquelles peuvent s'appliquer des démarches d'analyse comparables, mais aussi et surtout la multidimensionnalité de sa personne, ce à quoi nous nous attacherons plus particulièrement dans les lignes qui suivent.

Que le jeune lecteur reconnaisse dans Le Père Goriot de Balzac une forte postulation énergique au titre de l'univers imaginaire personnel de l'auteur, qu'il identifie, par l'approche structurale, un système signifiant marqué par le paradoxe en faisant droit à l'inconscient linguistique du même auteur et à ses structures catégoriales, qu'il retrouve les caractéristiques formelles d'un roman d'apprentissage à partir des transformations repérées dans les structures narratives saisies par l'approche sémiotique comme manifestation d'un système génératif du sens, que son approche sociocritique du roman de Balzac le conduise à découvrir une vision du monde paradoxale, en tant que représentation d'une appartenance sociale et de l'inconscient collectif qui lui est lié, que son approche psychocritique de la même oeuvre conclue à l'expression de structures psychiques formulant une volonté plus ou moins consciente d'accomplissement personnel illimité, et la pluralité de ses approches, dont chacune a pour référent une identité relative particulière de Balzac, impose logiquement au lecteur la nécessité de postuler la pluridimensionnalité de l'identité personnelle de celui qui a écrit l'oeuvre. Mais une telle reconnaissance ne concerne pas seulement la multiplicité des identités relatives qui composent la personne de l'auteur.

A travers cette même lecture et spécialement dans le discours commentatif auquel elle donne lieu, s'expriment , comme en écho, les différentes identités de celui qui lit l'oeuvre et qui, en la commentant, se découvre lui-même tour à tour comme un être social, comme un être de relation, de désir et d'imagination, comme un être structuré par le langage et capable de symbolisation. Et la personne du jeune lecteur développera d'autant plus facilement la conscience de cette multidimensionnalité de sa propre personne qu'aucune des approches n'aura été survalorisée ou hypertrophiée au cours de sa lecture ou de son apprentissage. En effet, de même qu'une lecture, s'efforçant de rendre compte du texte ou de l'oeuvre littéraire par une pluralité minimale d'approches évitant les exclusives ou les développements excessifs, aboutit à un compte rendu équilibré, de même on peut supposer que la même lecture plurielle va, dans ses effets, contribuer à développer chacune des identités relatives du sujet-lecteur, en évitant, autant qu'il est possible, excès et manques préjudiciables, et générer ainsi une conscience plus juste, plus proportionnée et plus harmonieuse des multiples dimensions de son être personnel. L'élève ne peut, pour autant, en rester à la constatation d'une telle multiplicité d'identités relatives ou de dimensions identitaires. La démarche suivie par l'acte de lecture anthropologique constitue, à cet égard, une pratique de médiation utile, l'engageant à pousser plus loin sa réflexion. Cette même démarche, sans représenter nécessairement un modèle de conceptualisation de la multidimensionnalité de sa personne, est en mesure de faciliter l'accès du jeune lecteur à une intelligibilité des différents aspects ou dimensions qui composent son identité personnelle et des relations entre ses dimensions. La pratique de la lecture anthropologique peut constituer, en effet un référent lui montrant utilement comment des aspects, apparemment inconciliables ou apparemment non reliés de sa personne, sont susceptibles d'être appréhendés dans leurs spécificités et dans leurs convergences. Dans la mesure où l'élève s'intègre et s'approprie ces questionnements et ces modélisations, il est probable qu'il va formuler l'hypothèse que la multiplicité fait partie de son être et qu'elle en constitue la richesse, une richesse sinon inanalysable, tout au moins insécable. Il peut aussi supposer, à juste titre, et en fondant ses suppositions sur les étapes de la démarche de lecture anthropologique, que les différentes identités relatives qui composent sa propre personne, aussi complexe en soit l'ensemble organisé, ne sont pas en tout point contradictoires et ne sont pas non plus réductibles à des différences, comme il a pu en faire l'expérience pour la personne de l'auteur et pour ses différentes composantes, telles qu'elles se laissent lire dans l'oeuvre littéraire. Il est probable que, à partir de cette expérience, l'élève va ressentir la nécessité d'une conceptualisation ou d'une conscientisation plus approfondie de la complexité de sa propre personne.