12.3.1. La lecture anthropologique est d'abord identification de la structuration paradoxale des identités personnelles et culturelles de l'auteur.

La démarche de lecture anthropologique qui dépasse une simple juxtaposition des approches permet à l'apprenant de découvrir, de façon progressive et de plus en plus autonome, la nature anthropologique et culturelle de l'oeuvre. Car les différentes identités relatives qu'une pluralité d'approches permet de construire et d'identifier, en dépit de leurs spécificités, ne sont pas irréductibles les unes aux autres, puisque des significations proches, voire identiques s'y laissent lire. L'oeuvre s'y découvre plutôt comme le produit cohérent des relations qu'entretiennent, dans la personne même de l'auteur, ces différentes identités relatives qui concourent, de façon plus ou moins consciente, à l'élaboration de l'oeuvre. La cohérence, en effet, est ici non seulement cohérence des significations et des relations, mais elle correspond aussi à l'identité culturelle de la personne de l'auteur, c'est-à-dire au rapport cohérent que sa personne globale, dans ses différentes identités relatives, entretient avec le modèle culturel qui est au principe du texte, de la société et de la personne.

Une telle lecture, en effet, n'est pas simple instrumentalisation des méthodes, mais va jusqu'à reconnaître le fonds anthropologique de la culture dans laquelle a été produite l'oeuvre et va jusqu'à identifier, en particulier, le mythe fondateur de cette culture comme modèle culturel par rapport auquel se sont élaborées l'oeuvre, la société et la personne de l'auteur. Cette démarche de lecture anthropologique et d'anthropologie interprétative peut devenir, pour l'élève-lecteur, le support d'une conscientisation de ce qu'est une culture et le moyen privilégié par lequel il peut découvrir ce qui lui donne sens et cohérence.

C'est ainsi que le jeune lecteur, approfondissant ses approches partielles du roman de Balzac, et reconsidérant l'oeuvre comme une production anthropologique et culturelle, peut lire le paradoxe inscrit au coeur de cette oeuvre. Energie et nostalgie, accomplissement et échec, ascension et dégradation s'y lisent et s'y concrétisent simultanément dans les différentes approches, pour peu que celles-ci s'emploient à rendre compte de l'oeuvre dans sa globalité. Un tel paradoxe, qui peut s'énoncer dans les termes de la formule paulinienne : "L'être ancien a disparu, un être nouveau est là", peut alors se lire comme la reformulation du paradoxe du mythe fondateur de notre culture chrétienne dans ses traits essentiels : la mort et la résurrection du Christ.

Comme on le voit, cette lecture anthropologique et complexe qui ne s'accommode pas de l'approximation et qui s'appuie sur l'analyse raisonnée du système des relations internes à l'oeuvre et qui permet l'émergence, chez le jeune lecteur, d'une maîtrise des situations complexes où la rationalité a toute sa place, aboutit à la production d'un discours construit.