13.1. L'oeuvre littéraire est originellement une oeuvre religieuse.

Que l'on considère les grands mythes de la culture occidentale, et les oeuvres littéraires qui les illustrent, tant dans la littérature antique que dans les littératures classiques, voire contemporaines, et l'on admettra qu'à l'origine du fait littéraire se trouvent la fonction symbolique, le sacré, le religieux et leur exigence formelle. Les ritualités formelles qui constituent le fait littéraire n'ont-elles pas effectivement comme sources et comme modèles les ritualités propres au discours et au fait religieux ?

Que les grands genres littéraires se développent initialement dans un rapport étroit au religieux, c'est ce que montreraient d'évidence les origines du théâtre grec antique. Les spécialistes de ce théâtre s'accordent en effet pour considérer qu'il "reste étroitement lié aux cérémonies cultuelles" 0 . C'est ainsi que le caractère religieux de la tragédie n'est pas seulement visible dans la présence d'un autel (thymélé) autour duquel évoluait le chœur, il est aussi lisible dans le texte et dans sa structure dramaturgique. Même si on a pu dire du théâtre de Sophocle qu'il n'accordait plus aux dieux le rôle prépondérant que leur reconnaissait encore son prédécesseur Eschyle, il reste qu'une pièce comme Oedipe-roi conserve bien des traits des origines religieuses du théâtre tragique : les interventions du choeur s'y réfèrent en effet d'abondance aux relations que l'homme entretient avec les divinités et la mise en scène elle-même ne répugne pas à représenter, au début du troisième épisode, "une de ces scènes religieuses dans lesquelles la tragédie se rappelle son caractère rituel et ses origines" 0 .

Une telle réalité s'impose-t-elle d'évidence à l'élève qui a cette oeuvre au programme de Lettres, en classe de Terminale ? N'y a-t-il pas nécessité, pour rendre une telle oeuvre intelligible, qu'y soient reconnus l'origine religieuse et le caractère rituel de la dramaturgie ? Ajoutons que cette question ne se pose pas avec moins d'acuité lorsqu'un enseignant doit faire le choix d'une pièce du théâtre contemporain, que l'auteur considère la représentation de sa pièce, à l'égal d'une cérémonie religieuse comme Jean Genet, dans l'oeuvre de qui le discours irrévérencieux lui-même s'énonce à travers des formes et une représentation où le théâtre retrouve sa fonction originelle d'acte liturgique et cérémoniel, ou que l'auteur privilégie une thématique proprement religieuse, comme Claudel ou Bernanos.

Quelles traces de cette origine religieuse l'oeuvre littéraire produite dans la modernité séculière conserve-t-elle ? Il est indispensable qu'une telle question soit traitée par l'enseignant, s’il ne veut pas passer à côté des dimensions importantes, voire essentielles, de l'œuvre, et s'il veut éviter les dérives d'une démarche apologétique ou de « récupération ».

Notes
0.

Dreyfus (Raphaël), "Introduction générale", in Tragiques Grecs : Eschyle Sophocle, Biblio. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1967, p. IX.

0.

Dreyfus (Raphaël), op. cit., "Notice", p. 1328.