14.1. La littérature fait découvrir la diversité de la relation à autrui.

Si l'on veut bien considérer l'oeuvre littéraire et ses personnages non pas seulement comme de pures fictions destinées à recréer le lecteur, mais comme des réalisations humaines riches d'enseignement, où peut se lire et s'analyser le comportement de l'homme, on conviendra que la lecture d'une oeuvre littéraire peut être l'occasion, pour l'enseignant, de faire saisir à ses élèves la variété des attitudes et des relations à l'autre.

Dès son observation des personnages de l'œuvre, qui constitue le premier temps de sa démarche de lecture, l'étudiant pourra découvrir combien peuvent être diverses les attitudes et les relations à autrui. Une pièce telle que Le roi pêcheur met en évidence quelle variété de gestes, de réactions ou de comportements l'homme développe face à l'autre ou à l'étranger. L'action de cette pièce, comme celle de l'opéra de Wagner, Parsifal, dont Julien Gracq s'est largement inspiré, se passe au château de Montsalvage, où vit la communauté des chevaliers du Graal unie autour de son roi Amfortas. Dès le premier acte, l'arrivée, aux abords du château, d'un chevalier inconnu provoque, dans l'entourage du roi pêcheur, diverses réactions. Si la reine Kundry place tous ses espoirs dans l'étranger qui arrive, en revanche, Clingsor, le sorcier, manifeste publiquement ses réticences, ses craintes envers le nouveau venu et perçoit son arrivée comme une menace : "La tranquillité - le repos presque ! s'établissaient en équilibre sur l'impossible, sur le sacrilège, sur la mort ! [...]. Tout cela, soupire-t-il, est fini" 0 !. Le spectateur assiste, au cours du deuxième acte, à deux scènes de rencontre, qui lui présentent d'autres attitudes possibles à l'égard de l'autre ou de l'étranger. Au delà des gestes convenus d'hospitalité et d'accueil qu'il adresse au nouveau venu, le vénérable ermite Trévrizent n'hésite pas à porter ouvertement un jugement critique sur le comportement du chevalier, à partir de ses propres références idéologiques ou religieuses, et à lui signifier son hostilité. En suivant l'itinéraire de Perceval, le spectateur ou le lecteur est ensuite témoin d'une nouvelle scène de rencontre. Le chevalier, qui continue son chemin le long du lac de Brumbâne, se porte spontanément au secours du roi pêcheur, en difficulté devant une grosse prise, ce qui lui vaut d'être gratifié du meilleur accueil. Mais, sous l'apparente hospitalité du roi Amfortas, on peut lire des intentions plus suspectes dans des propos énigmatiques ou équivoques : "il est vrai que je vous regarde. Il est rare qu'un étranger s'égare par ici et un peu de curiosité m'est permise" 0 .

Ainsi, de la crainte à l'espoir, de la menace exprimée ou dissimulée à l'expression de la bienveillance, et du geste d'accueil ou de secours à l'entreprise hostile, l'élève peut, comme spectateur ou comme lecteur, à partir de la diversité des situations qu'offre l'oeuvre littéraire, percevoir la variété des attitudes ou des dispositions mises en oeuvre par l'homme à l'occasion de ses échanges ou de ses relations avec l'autre.

Notes
0.

Gracq (Julien), Le roi pêcheur, Paris, José Corti, 1948 : Acte 1er, répliques de Clingsor, p.30.

0.

Gracq (Julien), op. cit., p.75.