Volume III. De la mise en œuvre didactique d’une lecture anthropologique qui est acte fondateur de l’œuvre, du lecteur, personne et être de culture : plan de formation

Partie 5. De la mise en œuvre didactique d’une lecture anthropologique

Introduction

Il n’y a pas de formation qui ne soit située dans un contexte culturel. Toute culture suppose des dispositifs de transmission plus ou moins élaborés. Dans le cadre de la civilisation européenne à laquelle nous appartenons , et en particulier sous l’influence de la culture gréco-romaine et de la culture judéo-chrétienne, cette transmission a été particulièrement théorisée et a pris la forme d’un système éducatif institué. Au sein de ce système, auquel nous avons déjà consacré une analyse dans le volume I, différents acteurs ou facteurs participent à l’acte de formation : l’enseignant, l’élève et le savoir qui, dans le cas qui nous occupe, est symbolisé par l’objet de la lecture qu’est le livre.

Par rapport aux deux volumes précédents qui présentaient la lecture anthropologique (et son application à l’oeuvre théâtrale de J. Gracq), dans les différentes étapes de son élaboration, comme discours fondateur de l’oeuvre et comme discours fondateur du lecteur, l’objet de celui-ci est d’exposer ce qui est concrètement en jeu dans l’acte d’apprendre et en quoi consiste, en l’occurrence, la mise en oeuvre pédagogique et didactique d’une lecture anthropologique de l’œuvre littéraire.

Le principal enjeu de la formation d’un jeune lecteur à la lecture anthropologique de l’oeuvre littéraire et à la maîtrise exercée de cette lecture est une attitude culturelle constituée tout à la fois d’une pensée critique, au sens général du terme, (pensée issue de la pratique configurante des différentes approches et de leur synthèse), d’un ensemble de dispositions comportementales induites par une expérience approfondie de la lecture (elle-même fondée sur les multiples situations de lecture expérimentales réalisées antérieurement) et d’une capacité de stratégie anticipatrice qui touche aux questions du sens et à la gestion de l’à-venir.

Cette attitude culturelle s’apprend et doit être l’objet d’un plan de formation approprié, comprenant non seulement les dispositifs de formation mais aussi des dispositifs d’évaluation afférents à ce plan de formation et à la nature même de l’attitude culturelle à construire ou en construction.

Si l’on situe la question de la formation dans une perspective rapide, l’élève, dans le cadre du système éducatif, apprend. Cette affirmation simple comporte en soi un certain nombre de limites, d’autant plus importantes qu’elles peuvent constituer un obstacle à l’apprentissage, en particulier à celui de la lecture en Lycée. En effet, apprendre suppose une attitude «active» d’un sujet qui s’approprie, en l’occurrence dans l’exercice de la lecture, un savoir préalablement construit. Apprendre n’est pas seulement mettre en oeuvre ses capacités cognitives (qu’elles relèvent de la connaissance, de la compréhension, de l’analyse, de la synthèse ou de l’évaluation), c’est aussi faire jouer ses capacités socio-affectives et psychomotrices. Les théories récentes de l’apprentissage ont mis opportunément l’accent sur la nécessité, pour l’apprenant, de construire son propre savoir et, pour ce faire, d’apprendre à apprendre, ce qui suppose la capacité à élaborer des stratégies à partir des méthodes et des savoirs acquis au préalable ou en cours d’acquisition. L’évolution que l’on constate entre ces deux modalités de l’apprentissage que sont apprendre et apprendre à apprendre nous paraît trouver son origine non seulement dans le développement récent des Sciences Humaines et notamment des Sciences Cognitives, mais surtout dans les présupposés culturels qui sont au principe de la Culture Occidentale et de sa conception du sujet. Le développement de la personne qui fait aujourd’hui florès n’est-il pas, en effet, virtuellement contenu dans le « γνωθι σεαυτον » de Delphes et de Socrate et n’est-il pas en germe dans la valeur inaliénable de la personne, qui construit par elle-même son Salut, telle qu’elle apparaît avec le Christianisme ?

L’élève apprend donc à apprendre, ce dont l’enseignant, qui lui-même a été élève, doit se souvenir. Ce faisant, il évitera d’être le premier obstacle à une démarche d’appropriation active du savoir par son élève. C’est à cette condition qu’il sera un véritable transmetteur de savoirs et de culture. Pour parfaire sa pratique, il convient que lui-même apprenne à apprendre à apprendre, cette attitude, à y bien réfléchir, n’étant pas si nouvelle que cela quand on regarde le soin avec lequel les cultures se sont préoccupées, dans le passé, des personnes auxquelles elles confiaient le soin de former et d’éduquer les plus jeunes.

Nous avons, dans les chapitres précédents, fait apparaître la complexité, les modalités et les enjeux d’une lecture anthropologique. Une telle complexité et de tels enjeux nécessitent d’évidence la mise en place d’un plan de formation approprié, laquelle relève d’un acte anthropologique et participe à la transmission, voire à la créativité, culturelles.

Dans le premier chapitre de ce volume (soit le chapitre 15), nous envisagerons successivement les différentes composantes de ce plan de formation, à savoir l’explication de l’attitude culturelle à développer chez le jeune lecteur à travers les compétences à privilégier, les savoirs à développer, y compris les savoirs anthropologiques, les savoir-faire, les savoir-être et les savoir-devenir. On aura compris que ce plan de formation dépasse, dès lors, la simple dimension didactique ou instrumentale de l’apprentissage des savoirs et des savoir-faire. Ce chapitre se conclura par un tableau récapitulatif des grands axes de ce plan de formation à la lecture anthropologique, que nous assortirons d’un commentaire.

Dans le second chapitre (soit le 16ième), nous présenterons la suite ordonnée des séquences de formation susceptibles de permettre à l’élève la maîtrise d’une lecture anthropologique de l’oeuvre littéraire et de développer ainsi non seulement un ensemble de savoirs touchant à l’anthropologie culturelle, mais aussi sa propre attitude culturelle.

Dans le troisième chapitre, 17ième et dernier chapitre, nous avons rassemblé les dispositifs d’évaluation, d’abord ceux qui relèvent d’une évaluation interne au plan de formation et afférents aux séquences d’apprentissage, donnant l’occasion de mesurer jusqu’à quel point la maîtrise des méthodes à été acquise par l’élève, ensuite ceux qui relèvent d’une évaluation externe au plan de formation et permettant, dans une perspective moins directement formative, de mesurer notamment à travers leurs productions, les effets (y compris anthropologiques), des approches sur le discours des apprenants. Nous avons écarté, par principe, une évaluation des comportements des élèves pris individuellement ou collectivement, compte tenu de la difficulté à interpréter certains comportements, et dans le respect de la liberté des personnes. Qualifier, et surtout quantifier, dans ce domaine, nous paraît, en effet, pour le moins contestable.