15.3. Les grands axes du plan de formation à la lecture anthropologique explicitant les dimensions de l’attitude culturelle développées par cette lecture aux différents niveaux de formation.

Nous avons, dans les pages qui précèdent, indiqué les objectifs principaux et les finalités de l’acte de formation à une lecture anthropologique dont l’enjeu essentiel peut être désigné par l’attitude culturelle qu’il vise à développer.

Avant de présenter le plan de cette formation dans ses grandes lignes, rappelons le lieu où se situe cette formation à la lecture et à la culture. S’il est vrai que cet acte de formation prend pour cadre d’application l’enseignement du Français et des Lettres en Lycée, et pour public privilégié les classes de Seconde, de Première et de Terminales, un programme d’une telle ampleur ne commence pas et ne se termine pas au Lycée. Certes l’essentiel des acquis méthodologiques doit être assuré au Lycée de manière à permettre à un élève de Première ou de Terminale de parvenir à une maîtrise relativement autonome de la lecture prenant en compte la complexité de l’objet littéraire et sa nature anthropologique et culturelle. Mais il va de soi que la formation visée ici se situe délibérément dans le prolongement d’une pratique en Collège et qu’elle présuppose donc un certain nombre d’acquis ou de pré-requis qui seront précisés. C’est dire aussi que cette formation appelle des prolongements et des approfondissements ultérieurs, en particulier auprès des étudiants de Lettres, appelés à devenir enseignants et donc acteurs de la transmission culturelle.

Précisons ensuite les dimensions retenues comme composantes de l’attitude culturelle à développer. Ces dimensions sont d’abord celles qui sont directement liées aux différentes approches convoquées par la lecture anthropologique. On retrouvera aisément dans la dimension linguistique celle qui touche au champ anthropologique du langage et développée par l’approche structurale. On reconnaîtra sans difficulté dans la dimension imaginaire celle qui relève du champ anthropologique déployé par l’approche thématique. On identifiera sans effort dans les dimensions psychologique et sociale celles qui sont respectivement reliées aux champs anthropologiques du symbolique et des représentations sociales et animées par les approches psychocritique et sociocritique.. Quant aux dimensions mythique et axiologique, elles seront naturellement associées aux approches mythocritique et sémiotique. La dimension proprement anthropologique doit être ici comprise comme prenant en compte la complexité et la cohérence de l’oeuvre en relation avec la personne de son auteur. A cette dimension dite «anthropologique» en est liée une autre, la dimension intraculturelle, soit celle qui inscrit la forme et le sens de l’oeuvre d’un auteur dans la référence à un système culturel.

Suivent deux autres dimensions plus transversales : technique et esthétique. Traditionnellement opposées l’une à l’autre dans la description du fait artistique, elles sont pourtant toutes deux également constitutives d’une attitude culturelle. Puis viennent les dimensions religieuse, herméneutique et interculturelle, sans lesquelles il ne saurait y avoir d’attitude culturelle.

Comme le montre le tableau qui va suivre, la nécessité s’impose, dès l’entrée au Lycée, d’une évaluation des pré-requis censés avoir été développés dès le collège. Les propositions qui sont faites pour une pratique de la lecture en Collège (et en particulier en classes de Quatrième et de Troisième) doivent être comprises dans cette logique de pré-requis. L’évaluation réalisée en classe de Seconde peut se faire par étapes à l’occasion de l’introduction des différentes approches. L’enseignant va se trouver dans deux situations. Ou bien l’élève a eu connaissance des notions en jeu, ou il est en situation de complète découverte. De manière à conduire le plus d’élèves vers la réussite et vers l’autonomie du compte-rendu de leurs lectures, l’enseignant a tout avantage à procéder aux mises au point nécessaires et à désigner clairement les enjeux. Cela peut prendre la forme d’un rappel des définitions, qui conforte ceux qui savent dans leur savoir, et qui fait prendre conscience à ceux qui découvrent de la nécessité de disposer au plus tôt de ces pré-requis. Le plan de formation à l’usage des élèves de Seconde vise essentiellement à leur permettre l’acquisition de méthodes d’approche pour une saisie des signes du texte ou de l’œuvre, pour une interprétation et pour une lecture autonomes rendant compte du texte ou de l’oeuvre dans sa complexité. Cette lecture et ce compte-rendu supposent une intégration progressive des méthodes d’analyse.

Les différentes approches convoquées ici sont celles que la critique contemporaine met à notre disposition. Le choix s’est porté sur un niveau d’analyse, tout à la fois accessible à des élèves de Seconde, répondant aux contraintes et aux exigences du programme et au degré de maturité psychologique et psychosociale de l’adolescent qu’est le lycéen d’aujourd’hui. C’est ainsi que les approches thématiques et structurales lui permettront de rendre compte, de façon autonome parce qu’accessible, des structures et des formes spécifiques à l’oeuvre, tout en développant les dimensions linguistique et imaginaire d’une attitude culturelle. Pour l’approche sémiotique, n’ont été retenues, au niveau de la classe de Seconde, que les structures superficielles de l’oeuvre, soit ses composantes narrative et discursive. Compte tenu de la lourdeur et de la complexité d’une approche des structures profondes de celle-ci, on se contentera d’une sensibilisation à la dimension discursive (idéologique et axiologique) des oeuvres et des textes. L’approche psychologique sera limitée en Seconde à une saisie de leurs réalités manifestes, c’est-à-dire à l’analyse du caractère prêté intentionnellement par l’auteur à ses personnages, la saisie des structures latentes étant encore hors de portée des élèves de ce niveau de classe et l’introduction d’une approche de type psychocritique pouvant induire certains effets indésirables. L’approche mythocritique constituera une sensibilisation importante à la dimension culturelle des textes, mettant en place les apprentissages fondamentaux permettant d’identifier les symboles et les mythes les plus connus. On veillera, dans le choix des textes à retenir, ceux qui formulent ou reformulent, pour certains de façon explicite, le mythe fondateur du système culturel.

Prenant en compte l’évolution et la maturation, notamment psychologique des élèves, le plan de formation à l’usage des classes de Première introduit plus de complexité en s’appuyant sur les acquis de la classe de Seconde et en sollicitant un développement et un approfondissement des méthodes et de la réflexion sur les méthodes. En leur permettant de s’exercer à une lecture complexe par l’appropriation progressivement maîtrisée de la synthèse et de la complexité, la lecture anthropologique s’exerçant sur les oeuvres au programme ou sur celles dont le choix incombe à l’enseignant, permet une saisie des multiples dimensions de ces oeuvres et la perception réfléchie de leurs structures internes, de leur nature anthropologique et du caractère éminemment culturel de ces oeuvres littéraires. Un tel enjeu, dans sa complexité et dans sa globalité, suppose de la part de l’enseignant, seul ou en équipe disciplinaire, qu’il élabore un programme et un plan d’action intégrant de nouveaux contenus de formation. Les différentes méthodes du texte vont constituer les instruments de cette nouvelle formation, permettant à l’élève d’atteindre progressivement à une lecture approfondie et autonome de l’oeuvre littéraire. C’est ainsi que l’élève, dans son approche thématique d’un texte, ne peut plus se contenter de faire état des thèmes fondamentaux du texte ou de l’oeuvre, mais doit viser à identifier l’univers imaginaire de l’auteur, ce qui est une des conditions pour appréhender son inscription dans une culture. C’est ainsi que l’approche sociocritique, systématiquement appliquée aux oeuvres analysées, renforce chez l’élève les capacités d’investigation sociologique des textes et développe sa compréhension des dimensions sociales des productions culturelles et sociales que sont les oeuvres littéraires. L’approche psychocritique initiée par Ch. Mauron donne aux élèves le moyen de dépasser l’analyse des types psychologiques représentés dans l’oeuvre, en faisant de celle-ci la production de l’inconscient personnel d’un auteur, d’évidence marqué par une histoire et par des évolutions. La découverte de l’inconscient personnel et du mythe personnel qui est en relation avec cet inconscient amène l’élève à percevoir, ainsi qu’à concevoir plus aisément, l’existence d’un inconscient collectif et culturel et d’un mythe qui structure cet inconscient collectif. Prenant de la sorte conscience de la complexité du discours symbolique, à ce niveau anthropologique, l’élève peut découvrir, au-delà des identifications personnelles, que toute culture dispose d’un modèle, qui n’est pas sans effet sur la construction des personnes, y compris dans leurs dimensions psychologique et symbolique. Les approches structurale et sémiotique se complexifient, d’abord de la complexité plus grande des textes abordés et de l’introduction plus ou moins intense (selon le niveau des élèves) d’une analyse des structures profondes. Le carré sémiotique doit être considéré à cet égard, non comme une fin en soi, mais comme un outil permettant d’expliciter les conditions de la production du sens. Les structures axiologiques ainsi dégagées peuvent être, dès lors, référées aux valeurs d’une culture et l’appareillage méthodologique qui semble, à première vue, lourd à gérer, se justifie quand il se révèle un moyen efficace de décrire les conditions et les formes de la production du sens dans une oeuvre et dans une culture. L’approche mythocritique, au-delà d’une saisie des symboles ou des figures mythiques de l’oeuvre, permet à l’élève d’enrichir sa connaissance et sa culture des mythes, condition indispensable pour leur reconnaissance dans les oeuvres analysées ou lues. L’aptitude à identifier le mythe de l’oeuvre développe la dimension symbolique de l’attitude culturelle et facilite la capacité que peut avoir l’élève à inscrire une oeuvre littéraire dans l’ensemble des productions symboliques d’une culture.

La classe de première est l’occasion, non seulement de renforcer la maîtrise des méthodes d’approche du texte, mais aussi de réaliser la synthèse de ces approches et de donner par là aux élèves les moyens de saisir les oeuvres ou les textes dans leur complexité comme des productions anthropologiques et de lire ces oeuvres, dans leur complexité même, comme des signes d’une création culturelle, la culture étant alors comprise comme un des principes entrant dans la création de l’oeuvre, principe agissant au point d’imprimer dans l’oeuvre et dans ses différentes dimensions le même sceau paradoxal. C’est évidemment par la découverte du système interne de l’oeuvre et de ses caractéristiques que peut se réaliser une authentique lecture anthropologique. C’est pourquoi une insistance particulière doit être mise sur l’opération de synthèse des approches, et ceci d’autant plus qu’à cette occasion la relation pédagogique trouve tout son sens en développant chez l’élève le sentiment d’appartenir à une culture. C’est en lui permettant d’établir une relation entre l’auteur et l’oeuvre, entre l’auteur et la culture, entre lui-même, l’oeuvre et la culture que l’enseignant joue pleinement son rôle de transmetteur d’une culture. Le moment décisif de l’acte d’appropriation et de transmission qu’est la lecture anthropologique ainsi conçue est évidemment le moment où l’élève, en situation d’autonomie relative en classe de Première, rend compte de sa lecture complexe.

Le plan de formation à l’usage des élèves de Terminale Littéraire, pour lesquels a été introduit récemment un enseignement de Lettres obligatoire, ne diffère pas sensiblement de celui qui concerne les classes de Première, à ceci près que l’on peut aller plus avant dans la présentation théorique des modèles de lecture, et en particulier en lien avec le cours de philosophie. L’essentiel toutefois demeure l’application des diverses approches aux oeuvres du Programme, application qui non seulement est conforme à la lettre et à l’esprit de l’enseignement des Lettres ⁰ , mais conditionne le traitement des questions de synthèse et rend possible une découverte ou une redécouverte de la dimension culturelle de ces oeuvres.

Quant à l’esquisse du plan de formation à l’adresse des étudiants d’un Premier Cycle de Lettres, il tient compte tout à la fois des nouvelles possibilités offertes par l’enseignement universitaire et du niveau des destinataires de cet enseignement. Outre les approfondissements spécifiques à certaines approches textuelles, ce plan de formation propose un enrichissement des savoirs culturels et littéraires, en particulier à partir d’un recours systématique aux modèles théoriques des approches et d’une réflexion de type épistémologique. Il tient compte aussi de la nécessité d’une réflexion approfondie sur les mérites et les limites des différentes approches et fait une place particulière à l’herméneutique. Ces moyens nouveaux sont mis à la disposition des étudiants de manière à leur permettre de théoriser leur pratique de la lecture, leur communication sur l’oeuvre littéraire et la transmission d’une culture dans ces démarches.