16.1 Apprentissage d’une lecture anthropologique et nécessité d’une acquisition des métalangages.

La réflexion actuelle des chercheurs en didactique du Français n’ignore pas une telle problématique, mais constate inversement, comme le remarquent Jean-Claude Meyer et Robert Bouchard, dans leur présentation des Actes du 6e colloque de l’Association internationale pour le développement de la recherche en didactique du Français Langue Maternelle 1 , que la « littérature ne semble pas (ou si peu) connaître de questionnement métalangagier ».

Ce constat d’une absence ou d’une insuffisance de questionnement dans la discipline sur le métalangage dans la didactique du Français et des Lettres, spécialement en Lycée, est général. On a certes vu, dans les années 70, une introduction massive de termes et de concepts plus ou moins clairement définis empruntés aux sciences du langage, à la psychanalyse, à la sociologie et à l’ethnologie comme nous l’avons indiqué dans les deux volumes précédents. Cette inflation des terminologies liées à des démarches d’analyse et de synthèse peut être attestée notamment par la publication d’ouvrages de type lexicographique visant à stabiliser les concepts et leur application 2 . Mais cette introduction massive ne pouvait suffire, à elle seule, à susciter un questionnement métalangagier et une réflexion approfondie sur ce que deviennent de tels concepts lorsqu’ils sont appliqués dans le champ de l’éducation. Sans chercher à être exhaustifs, nous avons pu observer, par rapport à l’introduction des métalangages spécifiques dans l’enseignement de la discipline, diverses attitudes chez les enseignants. De son côté, Claude Burgelin a signalé, dans sa contribution réflexive au colloque précité, un certain nombre de ces attitudes.

En dehors des enseignants qui s’indignent de ce que le candidat n’emploie pas, dans son commentaire, le vocabulaire critique et métalangier adéquat, et de ceux qui accablent leur élèves d’apports technicistes ou de listes imposantes de termes critiques, sans qu’il y ait la part de réflexivité critique propre à tout métalangage, il y a inversement ceux qui, soit au nom d’une conception quasi fondamentaliste de la discipline et de l’oeuvre littéraire, soit en raison de l’hétérogénéité et de la complexité des métalangages offerts par les disciplines du savoir universitaire, sont tout à fait réfractaires à toute terminologie et à toute méthode clairement identifiée. Il y a aussi ceux qui, au nom d’une transposition didactique, choisissent d ’adapter les concepts pour les rendre accessibles à l’élève, sans se soucier des effets produits sur la qualité du savoir transmis par ces transformations adaptatives. Il y a enfin ceux qui, par esprit de conformisme, adoptent sans questionnement ni scrupule, les consignes données par les Instructions Officielles.

Ces dernières attitudes par rapport aux méthodes et à leur(s) métalangage(s) ne peuvent qu’être confortées par l’évolution récente des Instructions Officielles sur la question des approches du texte littéraire et de l’usage de leur terminologie. On ne peut, en effet, qu’être frappé par l’atténuation progressive des références faites aux méthodologies dans les documents ministériels sur la lecture en Lycée.

Après les années 70, où l’accent était mis sur la nécessaire intégration des méthodes et du métalangage qui leur est lié, après l ’étape intermédiaire constituée par «La Lecture méthodique », que l’on peut rétrospectivement considérer comme un essai officiel de transposition didactique des savoirs et des métalangages méthodologiques, on assiste aujourd’hui à une discrétion nouvelle dans les références méthodologiques et métalangagières. Peut-on penser d’une telle évolution qu’elle corresponde à l’attente formulée par Cl. Burgelin d’une nécessaire « traduction » ? Une telle évolution s’accorde-t-elle avec la nécessité de « traduire, transposer, moderniser, trouver des images et des mots de ce temps qui fassent vibrer ce que les métalangages universitaires ne sont pas toujours à même de faire vibrer 3 »? Les lignes qui suivent envisagent la question du métalangage dans le champ didactique particulier des apprentissages d’une lecture anthropologique de l’œuvre littéraire.

Notes
1.

Les métalangages dans la classe de Français, Actes du VI° Colloque de L’Association Internationale pour le Développement de la recherche en Didactique du Français Langue Maternelle, Lyon, septembre 1995.

2.

Voir, en particulier Ducrot (Oswald) et Todorov (Tzvetan), Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Le Seuil, 1972, ainsi que Greimas (Algirdas) et Courtès (Joseph), Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979.

3.

Burgelin (Claude), « Un littéraire de Guingois », in Actes du VI° Colloque, op. cit., p.205.