16.3.3. Mise en œuvre pédagogique de l’approche thématique.

Mise en place d’une séquence d’apprentissage en Lycée visant à rendre l’élève capable de découvrir la thématique et l’univers imaginaire d’une ou plusieurs œuvres et de leurs auteurs.

L'objectif, étant de permettre à l'élève-lecteur d'utiliser, en situation d'autonomie, une approche thématique sur une oeuvre ou sur un ensemble d'oeuvres, suppose qu'il sache repérer dans ces oeuvres les thèmes essentiels et leurs aspects, qu'il soit en mesure d'y découvrir l'univers propre à un auteur, qu'il puisse rendre compte de ces différentes observations ou découvertes en organisant autour des thèmes reconnus un discours thématique en interaction avec sa culture personnelle en formation.

La séquence d'apprentissage qui suit, et dont nous n'avons retenu que les grandes lignes, est articulée autour de trois apprentissages fondamentaux et d'une proposition de perspectives vers d'autres horizons que ceux liés directement à l'approche thématique proprement dite.

Apprentissage 1 : Découvrir les thèmes dans un texte ou dans une oeuvre artistique.

Un tel apprentissage doit évidemment se situer après que l'on s’est assuré que l'apprenant sait observer des faits, peut repérer les champs lexicaux contextuels et a une capacité de généralisation. Pour que cet apprentissage soit acquis et intégré par l'élève, il convient qu'il s'exerce sur des textes de longueur ou d'ampleur variable et qu'il prenne pour supports des thématiques diverses, tout en ménageant une progression vers la complexité. Il est préférable, par exemple, pour rendre le premier temps de l’apprentissage plus aisé, de privilégier des textes de genre poétique ou narratif, plutôt que des textes dramatiques, en raison de la complexité du système énonciatif de ces derniers.

Nous avons choisi, comme supports de cet apprentissage, de mêler textes littéraires et oeuvres picturales ou sculpturales traitant de thèmes proches, voire identiques. Un tel choix a pour but de faciliter, d'entrée de jeu, la prise de conscience par l'élève du caractère général et transversal d'une thématique. Le premier texte est un passage des Misérables de V. Hugo, décrivant la mort de Gavroche, le second texte est tiré de Germinal d'E. Zola et évoque la manifestation des mineurs. A ces deux textes s'ajoutent un tableau d'Eugène Delacroix, La Liberté guidant le Peuple, 1831, et une sculpture de François Rude, Le départ des volontaires en 1792, 1836.

L'apprentissage peut être développé en trois temps.

Apprentissage 2 : dégager les thèmes fondamentaux d'une oeuvre.

Avant d’entreprendre cet apprentissage, il convient que l’élève ait déjà manifesté sa capacité à établir des relations d’association et de hiérarchisation, dans la mesure où il va s’agir pour lui de découvrir les principes d’organisation d’un thème ou d’un texte à travers sa structure thématique profonde.

Le texte proposé pour cet apprentissage est emprunté à V. Hugo. Ce texte, pris dans Les Contemplations et intitulé « Crépuscule » 2 3, présente une thématique plus complexe que celle des textes précédents. L’élucidation d’une telle complexité suppose que soient précisément identifiés les thèmes majeurs du texte et que soit clairement discernée leur architecture secrète. L’enseignant demande aux élèves de faire la liste des thèmes du texte. Un collectage peut être réalisé au tableau à partir des recherches individuelles. Après vérification du caractère exhaustif de cet inventaire par une relecture du texte, l’enseignant invite son groupe d’élèves à signaler, parmi les thèmes dégagés, ceux qui leur paraissent fondamentaux. Les thèmes, retenus comme essentiels on comme plus généraux, sont alors confirmés dans leur importance par la création autour d’eux d’ensembles organisés sous forme de constellations. Il convient qu’à cette occasion soient distingués du thème, les motifs ou les variations qui le constituent. Le motif se présente toujours comme plus limité que le thème : sensation élémentaire, aspect de la description, image fugitive, situation concrète ou circonstance particulière, figure emblématique du thème..., « le thème, toujours plus abstrait, occupe une place hiérarchique systématiquement supérieure au motif »24, ce qui n’exclut pas que le motif d’un thème puisse devenir le thème d’une autre constellation.

A propos du texte « Crépuscule » de V. Hugo, il est attendu que l’élève identifie les thèmes fondamentaux de ce texte, construise une ou plusieurs constellations, et décrive par oral ou par écrit la thématique retenue dans ses modulations en mettant en évidence sa cohérence. Une remarque s’impose ici : bien que nous soyons, et parce que nous sommes, dans un domaine qui est celui de l’imaginaire, propice à toutes les rêveries, la démarche doit être nette et rigoureuse. Il n’est pas seulement question ici de permettre à l’élève de construire un commentaire rendant compte de l’imaginaire d’un texte, il s’agit aussi de lui donner la possibilité de développer et de structurer son imaginaire personnel.

A titre d’exemple, voici la constellation du Mystère et le paragraphe qui permet de développer cette constellation dans ses différentes variations :

Thème fondamental de ce texte, le mystère parcourt l’ensemble du poème et y prend des formes très diverses. On le voit tout d’abord se lier au crépuscule lui-même, une atmosphère obscure enveloppant, en effet, le paysage décrit à la nuit tombante. Le mystère tient aussi au sentiment d’incertitude qui saisit le poète, en cette heure du jour, particulièrement propice à la rêverie, où il assiste aux transformations des réalités les plus familières. La forêt dont « les arbres sont profonds et les branches sont noires » devient tout autre et tout l’espace crépusculaire, imprégné d’ombre et de lumière vaporeuses, se peuple d’objets ou de formes aux contours indistincts. «Le ver luisant dans l’ombre err[ant] avec son flambeau » et les amants, supposés passer eux aussi « dans l’ombre », ne sont-ils pas des signes invitant le lecteur à découvrir, au-delà des apparences visibles, d’autres présences dans le monde ? Cette divination d’une autre vie n’est pas seulement l’effet d’une libération des puissances de l’imaginaire ou de la rêverie, elle est aussi l’émanation de la réalité sensible. Une agitation frémissante et silencieuse se propage à tout l’espace parcouru en tous sens par des êtres improbables ou des esprits surnaturels : sur la terre où « le vent fait tressaillir le brin d’herbe », sur les eaux de l’étang qui « frissonne » et dans les airs où flotte « l’ange du soir rêveur ». Ces existences qui se cachent dans l’ombre, ou qui se cherchent, ou qui passent furtivement comme des signes sont la manifestation d’un ordre caché du Monde, avec lequel ce monde-ci est en relation. S’instaure alors une communication profonde et mystérieuse entre ici-bas et l’au-delà et « l’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants » et la nature elle-même, devenue le lieu d’une telle communication entre les vivants et les morts, prend un aspect sacré, et l’ange, figure emblématique d’une médiation entre les mondes visible et invisible, « mêle, en les emportant sur ses ailes obscures, les prières des morts aux baisers des vivants ».

Pour que l’apprentissage permette une bonne fixation des capacités en jeu, il importe que les élèves procèdent à l’analyse d’un certain nombre de textes ou d’oeuvres d’ampleur et de difficulté croissantes jusqu’à développer leur aptitude à dégager la thématique fondamentale d’une oeuvre longue.

C. Apprentissage 3 : découvrir, en partant de la perception d’une thématique commune à plusieurs oeuvres d’un même auteur, l’univers imaginaire de celui-ci.

Quand l’élève maîtrise la capacité à dégager les thèmes fondamentaux d’un texte ou d’un oeuvre, il faut lui proposer d’approfondir sa lecture thématique en cherchant à saisir la vision personnelle que l’auteur a du réel et son univers imaginaire singulier. Si cette perception du monde de l’artiste n’est pas étrangère aux thèmes les plus récurrents de son oeuvre qui en sont les indices, « il arrive pourtant fréquemment qu’un motif symbolise le thème dont il relève »25. Un tel motif se répétant comme aspect ou variation d’un ou de plusieurs thèmes chez un même auteur peut devenir la marque ou la signature de son « univers imaginaire ». C’est ainsi que la « fadeur » ou la langueur chez Verlaine, sans apparaître, à première lecture, comme un thème important de son oeuvre, devient pourtant, dans la lecture approfondie qu’en donne J. P. Richard dans Poésie et profondeur, la marque la plus caractéristique d’un « paysage imaginaire personnel : « les états de conscience les plus typiquement verlainiens semblent ainsi suspendus dans un climat de neutralité indifférente »26.

Les textes utilisés pour servir de supports à cet apprentissage sont pris dans l’oeuvre de V. Hugo. Il s’agit des deux textes commentés dans les apprentissages précédents auxquels s’ajoutent un autre passage des Misérables, la description du jardin de la rue Plumet, et un autre poème des Contemplations, « Ce que dit la bouche d’ombre »27.

Un premier dispositif d’apprentissage possible est de demander à chaque élève de parcourir l’ensemble des textes proposés et d’y rechercher, à partir de leur thème commun, l’univers propre à cet auteur.

Un autre dispositif peut être le suivant. Un tiers des élèves fait une lecture rapide des quatre textes proposés pour en dégager le thème ou le motif commun et définir par là le « monde » de l’auteur. Un autre tiers de la classe, en travaillant sur trois textes seulement, formule à titre d’hypothèse ce que pourraient être le thème et « l’univers imaginaire » propre à cet auteur. Le troisième tiers exerce sa lecture dans les mêmes conditions sur les deux textes nouveaux seulement : « le jardin de la rue Plumet » et « Ce que dit la bouche d’ombre ».

La mise en commun permet de faire apparaître le thème commun à ces oeuvres, les aspects particuliers à chacune et d’en déduire l’univers propre à cet auteur, un monde animiste où tout est vivant, où « tout est plein d’âme ».

L’enseignant, à l’issue de cet apprentissage, demande à ses élèves de produire individuellement un paragraphe de synthèse développant l’univers imaginaire de l’auteur à travers les formes, les variations et les configurations particulières qu’il prend dans chacune de ses oeuvres. Comme pour les apprentissages précédents, il convient de prévoir pour celui-ci un ou plusieurs renforcements.

Perspectives dépassant l’approche thématique proprement dite.

La séquence d’apprentissage proprement dite peut s’arrêter là, si l’objectif en est la maîtrise de l’approche thématique par l’élève. Il nous a paru, pour des raisons pédagogiques, qu’il pouvait ne pas être sans intérêt d’offrir aux élèves d’autres perspectives. En effet, s’il est vrai que l’approche thématique permet à l’élève de découvrir l’existence d’un espace imaginaire particulier dans une oeuvre, dont les contours et la structuration sont cohérents dans leur singularité, cette découverte peut être une invitation à développer et à structurer l’espace personnel de son propre imaginaire. Pour qu’une telle capacité se construise, il faut qu’elle soit mise en oeuvre. En fonction de la réceptivité de sa classe à cette approche, l’enseignant peut inviter ses élèves à une activité de production imaginaire personnelle, cet exercice pouvant qualifier certains et renforcer, chez d’autres, la maîtrise d’une certaine complexité.

Par ailleurs, l’enseignant servira les intérêts de son élève en lui montrant tout le parti qu’il peut tirer de ces réseaux thématiques pour la formation et la structuration de sa propre culture. Il s’agit de l’inviter à mobiliser ses connaissances et ses références sur un thème et à mettre en place progressivement un fichier thématique personnel où il pourra intégrer, au fur et à mesure de ses lectures, les oeuvres rencontrées et leur univers imaginaire particulier sous forme de titres ou de citations.

Notes
2.

3 Hugo (Victor), Les Contemplations, in Œuvres poétiques II, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1967.

2.

4 Smekens (Wilfried), « Thématique » in Méthodes du texte, introduction aux études littéraires, Paris-Gembloux, Duculot, 1987, p. 100.

2.

5 Smekens (Wilfried), « Thématique » in Méthodes du texte, op. cit., p. 100.

2.

6 Richard (Jean-Pierre), Poésie et profondeur, Paris, le Seuil, 1955, p. 175.

2.

7 Le texte décrivant le jardin de la rue Plumet se trouve dans l’édition des Misérables (Bibl. de la Pléiade), p.902. L’autre texte tiré des Contemplations, figure dans le volume II des Œuvres poétiques, p.801.