Une telle séquence peut se dérouler dans un dispositif ordonné en cinq étapes successives :
A. Apprentissage 1 : apprendre à utiliser dans la juxtaposition diverses approches.
B. Apprentissage 2 : apprendre à délimiter la spécificité des procédures et des signes convoqués par chaque méthode particulière.
C. Apprentissage 3 : apprendre à discerner et à nommer en terminologie exacte ce qui paraît commun ou convergent aux différentes approches.
D. Apprentissage 4 : apprendre à discerner le champ anthropologique particulier à chaque approche en mettant en relation les significations, les signes, les procédures et les présupposés spécifiques à une méthode avec un champ disciplinaire des Sciences Humaines.
E. Apprentissage 5 : produire un plan d’action permettant une lecture plurielle économe en moyens procéduraux et préservant la démarche et le champ spécifiques de chaque approche.
Apprentissage 1 : apprendre à utiliser, sur un même texte, une pluralité d'approches.
Le texte utilisé comme support pour cet apprentissage est le poème "La dormeuse" de P. Valéry extrait de Charmes 5 1..
En travail de groupe, après avoir choisi une approche parmi les six suivantes, les élèves réalisent leur recherche sur le texte : approches structurale, thématique, sociocritique, sémiotique, psychocritique et mythocritique. A l'issue du temps de travail par groupe, il est nécessaire, étant donné les enjeux de la séquence, que les différentes méthodes soient strictement appliquées au texte.
La communication à la classe de l'approche sociocritique se déroule en trois temps.
Si l'on considère la seconde hypothèse et si l'on cherche à expliquer la vision inquiète et angoissée qui se mêle, dans l'inconscient collectif de cette société, à son aspiration si forte par ailleurs au repos et à la jouissance, il suffit de rapprocher cette crainte de la paix ("repos redoutable", "invincible accalmie") de la situation politique et sociale qui caractérise la France et l'Europe de l'immédiat après-guerre. La paix apparaît alors redoutable à certains que hantent la vision d'un ennemi intérieur et l'image d'une révolution sociale conspirée dans le secret : "Tu triomphes, ô paix plus puissante qu'un pleur. Quand de ce plein sommeil l'onde grave et l'ampleur conspirent sur le sein d'une telle ennemie".
Plusieurs événements récents sont de nature à éveiller ces craintes, en particulier la Révolution de 1917 en Russie, l'insurrection spartakiste en Allemagne, en Janvier 1919, et l'adhésion, au congrès de Tours en 1920, du socialisme français à l'Internationale Communiste.
2- La mise en commun de l'approche sémiotique du texte "La Dormeuse" peut donner lieu à l'élaboration des tableaux ci-après qui décrivent les composantes narrative et discursive du poème de P. Valéry et à la construction du carré sémiotique permettant de manifester les structures profondes de ce même texte.
COMPOSANTE NARRATIVE
PN | Sujet opérateur |
Contrat | D2 Finalités |
Compétences | Performances | Sanction |
1 | La dormeuse | faire un feu de ses secrets | préserver son mystère |
énergie de l’âme | + | rayonnement |
2 | Le sommeil | tenir la dormeuse sous sa domination |
recherche du silence, de la paix |
« invincible accalmie »: puissance du sommeil | + | abandon de la dormeuse |
3 | Le narrateur | percer le secret de la jeune femme |
Connaissance intime |
attention « mes yeux sont ouverts » |
- | échec relatif « invisible accalmie » |
COMPOSANTE DISCURSIVE
PN | Rôles thématiques |
Parcours figuratifs |
Vérité du personnage |
Qualificatifs | Attitude de l’auteur |
« La dormeuse » sujet opérateur PN1 |
La dormeuse La rêveuse L’alchimiste |
Sommeil, repos, silence rêve, esprit, mystère, inconscient « énergie, or, transformation |
secret |
jeune amie ennemie |
Perçoit la dormeuse comme fascinante et redoutable dans son mytère |
« Le sommeil » sujet opérateur PN2 |
Le vainqueur Le triomphateur |
Lutte, victoire, soumission pouvoir, ampleur, plénitude |
secret |
plein invincible redoutable |
Eprouve une certaine fascination, mais aussi de la crainte |
« Le narrateur » sujet opérateur PN3 |
L’ami Le témoin Le veilleur |
relations humaines, amitiés attention, observation |
vrai |
0 |
Approuve la quête entreprise par le narrateur |
A partir des tableaux et du carré sémiotique qui rendent compte des différents niveaux structurels de l'oeuvre, il apparaît que P. Valéry célèbre dans "La Dormeuse" la création poétique, la définissant comme la vraie richesse et la vraie vie, seule garante de l'immortalité. Conscient d'échapper de la sorte à l'obscurité sans remède de l'anonymat et au néant de la mort, le poète doit, dans son désir d'accéder à la consécration, consentir à l'exercice lucide et exigeant du travail poétique et éviter les pièges séduisants de la vie ordinaire assimilés à un sommeil, lequel est pressenti plein des richesses de la vie intérieure, mais aussi fauteur, de songes et d'illusions. Ces significations étaient déjà latentes dans les structures superficielles de l'oeuvre, en particulier dans ses programmes narratifs et dans leurs relations.
3- Le compte rendu de l'approche psychocritique peut s'effectuer en trois temps :
Le premier temps consiste à repérer les éléments répétitifs à caractère obsédant.
Deux figures sont remarquables dans ce texte : la dormeuse et le témoin-veilleur. La dormeuse apparaît tout à la fois sous les traits d'une femme endormie désirable et "chargée de dons", "amie" du poète-témoin et veilleur, et sous les traits d'une femme redoutable, image de mort au "plein sommeil" et "l'âme absente occupée aux enfers". Quant au témoin, il contemple la dormeuse avec fascination, mais aussi avec réticence et lucidité.
Le deuxième temps de l'approche psychocritique consiste à formuler, par hypothèse, le mythe personnel de l'auteur.
Un témoin, contemplant une dormeuse, semble désirer et redouter tout à la fois l'objet de sa contemplation. Image d'amour et de mort, cette dormeuse "amie" et "ennemie" est aux yeux du témoin qui la contemple une vision à la fois fascinante et insoutenable. Le poète semble exprimer, sous la forme de ces deux figures (la dormeuse ou le témoin lucide), diverses postulations de son être : l'image d'une femme endormie symbolisant la mort dans l'attrait et dans la répulsion qu'elle suscite et l'image de la lucidité supérieure du témoin qui, en dépit de ce qui le fascine, exerce cette lucidité à rejeter ces mêmes éléments affectifs dans la mesure où il les juge au moins partiellement intolérables.
Le troisième temps consiste à interpréter le mythe personnel ainsi formulé.
Au cours de cette troisième étape, l'enseignant peut montrer qu'il y a double identification dans ce texte, identification à une image ou à un « pôle mélancolique et plutôt féminin de la structure affective », image de la mère endeuillée (on peut ici songer aux fréquents évanouissements auxquels étaient sujette Madame Valéry mère et au deuil qu'elle eut à assumer avec la mort de son mari), identification par ailleurs à un pôle plus énergique et masculin de la structure affective, image du père, qui, "en concentrant toute l'énergie dans le pôle omnipotent, repouss(e) vers la mort tout ce qui n'(est) pas lui" : 52 On peut penser, comme autre figure très valéryenne de cette lucidité, à M. Teste, figure dans laquelle il est possible d'identifier, d'évidence, un mécanisme de défense contre l'angoisse. C'est ainsi que l'auteur manifeste, à travers ce texte, les structures inconscientes de sa personnalité. Celle-ci, au moment où le texte a été produit, se fondait sur une opposition entre une figure féminine fascinante et mortifère et une lucidité masculine fascinée et fonctionnant comme un système de défense de soi. 5 3
Apprentissage 2 : apprendre à délimiter la spécificité des procédures et des signes convoqués par chaque méthode particulière.
Les élèves sont invités à compléter la frise horizontale du tableau suivant, en signalant les différents signes textuels qui leur ont permis de dégager des interprétations dans les différentes approches conduites. Pour chacun de ces signes, ils indiquent dans le tableau par une croix la ou les approche(s) qui mobilise(nt) ce signe en utilisant pour chaque approche l'appellation spécifique retenue par celle-ci en ajoutant une justification quand cela s'avère nécessaire.
SIGNES APPROCHES |
Champs Lexicaux |
Métaphores |
||
STRUCTURALE | ||||
PSYCHOCRITIQUE | ||||
SOCIOCRITIQUE | ||||
THEMATIQUE | ||||
SEMIOTIQUE | ||||
MYTHOCRITIQUE |
Dans le tableau réalisé à l'occasion de la mise en commun, l'enseignant devra veiller particulièrement à l'exactitude des termes employés par les élèves et devra s'assurer que les élèves réalisent bien la distinction entre les signes textuels et les faits spécifiques d'un texte.
Signes Approches |
Champs lexicaux |
Métaphores | Faits de langue | Rythme Sonorités |
Disposition spatiale |
STRUCTURALE | + | + | + | + | + |
PSYCHOCRITIQUE | Thèmes et réseaux obsédants |
Signes d'un discours inconscient | En particulier les figures symboliques et leur genre | ||
SOCIOCRITIQUE | Éléments d'une vision du monde | Expression d'un possible inconscient collectif | Rapport à l'action dans une vision du monde | La forme comme reflet d'une société | |
THEMATIQUE | Thèmes ou motifs | Thèmes ou motifs | |||
SEMIOTIQUE | Parcours figuratifs isotopies |
Voir les structures profondes et les isotopies | Sujets d'état ou sujets opérateurs | ||
MYTHOCRITIQUE | Mythèmes | Situations symboliques et mythèmes | Actions en relation avec les mythèmes |
Signes Approches |
Figures | États ou situations | Actions | Isotopies | Symboles | Mythèmes |
STRUCTURALE | Divers champs lexicaux |
Formes syntaxiques et faits de langue | Faits de langue | Champs lexicaux |
Champs lexicaux |
|
PSYCHO-CRITIQUE | Figures à valeur symbolique | États ou situations à caractère symbolique, éléments d'un mythe personnel | Action à caractère symbolique pouvant entrer dans le mythe personnel | Discours profond et inconscient | Manifestation ou manipulation d'un discours inconscient | Mythe personnel |
SOCIOCRITIQUE | Figures emblématiques d'une vision du monde | Situations initiale et finale comme orientation d'une vision du monde | Conflit de pouvoir | Vision du monde | ||
THEMATIQUE | Figures et thèmes | Thèmes ou motifs | Parcours thématique | Thèmes, motifs et univers imaginaire | + | Thèmes ou motifs |
SEMIOTIQUE | + | + | + | + | Isotopies et programmes narratifs |
|
MYTHOCRITIQUE | Figures mythiques |
Situations symboliques et mythèmes | Mythèmes et mythe | Mythèmes | Discours symbolique du mythe | + |
Apprentissage 3 : apprendre à discerner et à nommer, en terminologie exacte, ce qui paraît commun ou convergent dans les différentes approches tant au niveau des signes que des significations.
L'apprentissage s'opère sur le même texte que celui qui fait l'objet du premier apprentissage, "La Dormeuse" de P. Valéry.
Une première modalité, pour cet apprentissage, peut consister à demander aux élèves de choisir un signe transversal aux approches et de démontrer son utilisation commune en énonçant, pour chaque approche où il est employé, l'utilisation particulière de ce signe et en illustrant cet emploi particulier du signe d'une interprétation caractéristique.
Le tableau qui suit rend compte de cette recherche exercée ici sur les seuls champs lexicaux saisis à travers les différentes approches.
Approches | Utilisation caractéristique du signe | Signes et interprétation |
PSYCHOCRITIQUE | Réseaux obsédants et figure d’un mythe personnel. | Champs lexicaux ou réseaux : Beauté, Bienveillance, Lucidité, Vigilance → Attitude d’attirance et de vigilance du témoin pour la Dormeuse. |
SOCIOCRITIQUE | La vision du monde d’une société perceptible à travers les champs lexicaux contextuels. | Champs lexicaux contextuels : Désir, Sommeil, Peur → Aspiration au repos et à la paix paradoxalement redoutés. |
THEMATIQUE | Un thème et ses variations comme signes spécifiques d’un univers imaginaire singulier. | Un thème : le sommeil Ses variations : Immobilité, Repos, Intimité, Songe, Inconscient, Silence. |
STRUCTURALE | Un système de signes parmi d’autres : les champs lexicaux. | Champs lexicaux : Sommeil, Pouvoir, Ampleur… → Les pouvoirs du sommeil . |
SEMIOTIQUE | Parcours figuratifs et isotopies du texte. | Parcours figuratifs : Sommeil, Repos, Silence. Une figure thématique : La dormeuse. Isotopies : Secret, Intériorité, Lucidité, … → La dormeuse, figure fascinante dans son mystère… |
MYTHOCRITIQUE | Mythèmes et figures mythiques : Eléments résurgents d’un récit mythique antérieur. | Mythèmes : Sommeil/Secret/Intériorité Veille/Lucidité Immobilité/Mort… Figures mythiques : Orphée et Eurydice. → La révélation du mystère met en péril l’existence du mystère. |
Une autre modalité, pour ce même apprentissage, peut consister à demander aux élèves de choisir une signification transversale à différentes approches et d'indiquer son inscription ou son actualisation particulière à travers les signes reconnus spécifiquement par chaque approche où on la rencontre. La signification retenue pour le corrigé proposé ici sera la double postulation perceptible à l'égard de la dormeuse.
Ce poème de P. Valéry qui évoque le sommeil d'une femme sous ses différents aspects et en révèle les pouvoirs intérieurs et le mystère est marqué par une double postulation à l'égard de la dormeuse. Celle-ci, en effet, perçue comme fascinante et troublante dans son mystère, est le mode sur lequel l'auteur développe le symbole de son rapport à l'écriture. A travers cette femme qui dort P. Valéry nous fait découvrir une oeuvre qui se crée et qui, composée "d'ombres et d'abandons" garde une certaine part de son mystère. A travers cette figure de la dormeuse, il est possible de voir une nouvelle Eurydice dont le poète, nouvel Orphée, voudrait percer le mystère et qu'il voudrait ramener au jour et à la vie, tout en étant comme retenu dans son entreprise par quelque sombre pressentiment. Mais le texte, si on l'analyse dans la perspective d'un mythe personnel, en mettant en scène une figure perçue comme fascinante et troublante, voire comme redoutable, exprime aussi une attitude de l'auteur qui n'est pas seulement celle du désir. Les mouvements d'attrait et de retrait sont aussi, d'évidence, le fait d'une identification partielle à l'image de la femme endormie et d'un détachement volontaire de P. Valéry par rapport à cette image, l’auteur analysant à distance ce processus d'identification partiel à l'objet et tentant de le maîtriser. Ces mêmes mouvements opposés peuvent être lus comme l’expression d’une société endolorie par la guerre et qui aspire au repos et à la paix tout en redoutant la perspective de nouvelles tensions politiques ou sociales.
D. Apprentissage D : apprendre à faire apparaître, pour chaque approche, le champ anthropologique particulier à partir de la relation établie entre significations, signes, procédures présupposés et à inscrire les éléments dans un champ des Sciences Humaines.
A partir de la pratique antérieure de ses élèves, des différentes méthodes et des significations afférentes à chacune d'elles, l'enseignant propose à sa classe, par exemple sous la forme du tableau suivant et d'un commentaire d'accompagnement, de reconnaître dans la relation entre une approche, les signes qu'elle convoque et dans la relation entre cette approche et la manière toute spécifique dont elle définit le texte, un champ anthropologique particulier. Ce champ anthropologique spécifique qui peut être identifié, dans sa nature anthropologique, comme un domaine particulier à un champ disciplinaire des Sciences Humaines est, par la même occasion, reconnu comme expression d'une identité relative du sujet producteur du texte.
APPROCHES | SIGNES DE L'APPROCHE | DÉFINITION DU TEXTE | CHAMP DISCIPLINAIRE DES SCIENCES HUMAINES | CHAMP ANTHROPOLOGIQUE | IDENTITÉ RELATIVE |
STRUCTURALE |
Signes linguistiques comme structures productrices du sens |
Le texte se définit comme un fait de langue autonome qui n'a de sens que par les structures ou par les relations internes entre les éléments qui constituent son système signifiant. |
Linguistique |
Langage |
Langage et inconscient linguistique catégoriel |
PSYCHOCRITIQUE |
Réseaux, figures et mythe personnel | Le texte se définit comme un lieu où s'énonce un discours inconscient de l'auteur. |
Psychanalyse |
Domaine du symbolique |
Psychisme et inconscient individuel |
SOCIOCRITIQUE |
Signes et structures homologues d'une situation sociale et d'une vision du monde |
Le texte est le produit d'une société et des tensions idéologiques qui la traversent. |
Sociologie |
Représentations sociales |
Appartenance sociale et inconscient collectif |
THÉMATIQUE |
Thèmes et variations | Le texte est l'expression d'un monde imaginaire personnel reconnaissable à sa thématique propre. |
Psycho-linguistique et Art |
Imaginaire |
Imaginaire personnel |
SÉMIOTIQUE |
Figures, programmes narratifs, isotopies |
Le texte, aux différents niveaux de sa structuration, se définit comme la manifestation formelle de sens et de valeurs qui ne sont pas saisissables en eux-mêmes mais à travers les formes concrètes du texte. |
Linguistique Sémiologique |
Signes, sens et valeurs |
Système de production du sens |
MYTHOCRITIQUE |
Mythèmes et figures mythiques | Le texte se définit comme un récit qu'animent et structurent en profondeur un ou plusieurs mythes antérieurs et résurgents. | Mythologie et Anthropologie | Pensée symbolique | "Inconscient collectif (et culturel) |
C'est ainsi que l'approche structurale qui met à contribution les signes linguistiques, tels que les champs lexicaux par exemple, comme structures productrices de la signification, définit le texte comme un fait de langue et comme un système signifiant fonctionnant de façon autonome.
Une telle approche s'origine, d'évidence, dans le champ disciplinaire de la linguistique, correspond au champ anthropologique du langage, et désigne celui-ci comme le système humain par lequel l'homme décrit la réalité naturelle et conceptuelle et lui donne sens. Cette approche permet au lecteur d'identifier le texte comme l'expression d'une identité relative particulière : le langage et l'inconscient linguistique du producteur du texte.
E. Apprentissage 5 : produire un plan d'action permettant une lecture plurielle qui, tout en économisant les moyens procéduraux, préserve la démarche et le champ spécifiques de chaque approche .
Il s'agit de rendre l'élève capable de mettre en oeuvre une démarche qui, tout en lui permettant, dans une conduite économique des opérations de recherche, de couvrir tout le champ d'investigation d'une lecture plurielle ne compromettant ni l'autonomie, ni la spécificité de chacune des approches.
Dans un premier temps, l'enseignant peut demander à ses élèves de faire un état de toutes les opérations à conduire pour une lecture plurielle du texte se réalisant dans une succession des approches. Cet inventaire peut être réalisé collectivement en classe. Il est nécessaire que la succession des approches y apparaisse, dans ce premier temps, purement arbitraire. On peut adopter, comme ci-après, l'ordre alphabétique de leur appellation.
A partir de l'état précédent et compte tenu des convergences apparues entre les approches, notamment lors de l'apprentissage 3, les élèves sont invités à déterminer un plan d'action personnel permettant de réaliser la lecture plurielle d'un texte.
Ce plan d'action doit indiquer les approches utilisées, les opérations mises en place dans la conduite de chacune d'entre elles, et l'ordre des étapes, celui-ci étant déterminant pour une gestion économique des procédures. Le plan d'action qui se fixe comme objectif de réduire, autant que faire se peut, les opérations de recherche sur le texte doit permettre d'aboutir à un recencement des signes spécifiques de chaque approche et à leur interprétation propre.
Plusieurs démarches sont possibles. On fera valoir, au cours de l'échange, celles qui tiennent le meilleur compte des critères annoncés et sauront concilier l'économie des opérations d'investigation, l'ampleur de la recherche et l'autonomie des différentes approches. Précisons que le plan d’action fourni ci-après explicite une démarche qui développe une analyse de tous les signes à partir d'une approche. On peut imaginer une autre procédure où la recherche des différentes approches se déploierait à partir d'un ou deux signes du texte : les champs lexicaux et faits de langue, par exemple...
1. LECTURE DU TEXTE | |||||||
2. APPROCHE STRUCTURALE 2.1 Etude des signes formels du texte (relevant spécifiquement de l’approche structurale) 2.1.1. Recherche des signes « externes » et formels du texte : disposition spatiale, rythme, sonorités 2.1.2. Interprétation de ces éléments 2.1.3. Elaboration d’une synthèse partielle |
2.2.Etude des champs lexicaux 2.2.1. Repérage des champs lexicaux 2.2.2. Etude de leurs relations 2.2.3. Elaboration d’une synthèse partielle |
2.3. Etude des faits de langue 2..3.1. Repérage des faits de langue 2.3.2. Interprétation de ces éléments 2.3.3. Elaboration d’une synthèse partielle |
2.4. Etude des métaphores ou comparaisons 2.4.1. Repérage des métaphores ou comparaisons 2.4.2. Interprétation de ces éléments 2.4.3. Elaboration d’une synthèse partielle |
2.5. Synthèse générale de l’approche structurale | |||
3.APPROCHE THEMATIQUE | 3.1. [A partir des champs lexicaux, repérage des thèmes ou motifs du texte | 3.2. Choix des thèmes fondamentaux et constitution des constellations thématiques | 3..3. Synthèse de l’approche thématique | ||||
4.APPROCHE SEMIOTIQUE | 4.1. [ A partir des champs lexicaux, repérage des parcours figuratifs] 4.2. Définition des rôles thématiques |
4..3. (A partir des faits de langue – Etude des sujets, des états, des actions, - repérage des programmes narratifs) 4.4. Etude de ces programmes narratifs et définition des rôles actanciels |
4.5. (A partir des oppositions entre champs lexicaux et de l'interprétation des métaphores, repérage des isotopies du texte) 4.6. Interprétation des structures profondes par le carré sémiotique. |
4.7 Synthèse générale de l ‘approche sémiotique | |||
5.APPROCHE MYTHOCRITIQUE | 5.1. [ A partir des champs lexicaux, repérage des situations mythémiques] | 5.2. Identification des situations et des figures mythiques | 5.3. Formulation et identification du ou des mythes sous-jacents au texte | 5.4. Synthèse de l’approche mythocritique | |||
6.APPROCHE SOCIOCRITIQUE | 6.1. 5 (A partir de l’acquis des approches précédentes- faits et significations- Formulation d’une vision du monde ) | 6.2. Interprétation de cette vision du monde en relation avec la société productrice du texte | 6.3. Synthèse de l’approche sociocritique | ||||
7.APPROCHE PSYCHOCRITIQUE | 7.1. ( A partir des acquis des l’approches précédentes, repérage des figures et de leurs situations) | 7.2. Formulation du mythe personnel | 7.3. Interprétation de ce mythe personnel | 7.4. Synthèse de l’approche psychocritique. |
A l'issue de cette séquence de formation sur une lecture plurielle, il importe que l'enseignant amène sa classe à réfléchir sur les limites et les mérites d'une telle méthodologie.
Au titre des éléments positifs, il peut faire valoir que la démarche de chaque approche est respectée en toute rigueur. Il peut aussi faire ressortir à ses élèves que les domaines concernés par chaque méthode de lecture ne sont pas entièrement superposables et que chaque approche apporte sa propre contribution à la compréhension du texte et au compte-rendu possible de sa lecture. C'est ce que l'on peut constater dans un certain nombre de manuels ou de productions critiques à usage scolaire (Profil d'une oeuvre, Foliothèque, Ellipses, Major bac ...)
L'enseignant peut aussi montrer qu'une lecture plurielle économe en moyens de recherche est possible à condition que sa mise en oeuvre s'opère dans un choix judicieux des opérations et de leur ordonnancement. Mais peut-on fonder en théorie un tel choix de procédures au nom de critères qui sont d'ordre pragmatique ?
Par ailleurs, au titre des éléments négatifs, l'enseignant peut alerter ses élèves sur le risque que se renforce chez eux, à travers cette lecture plurielle, la conviction que l'oeuvre littéraire est une production dont les sources et le principe fondateur restent inatteignables et que toutes les lectures se valent quels que soient leurs attaches et leurs fondements théoriques.
Au titre d'élément tout à la fois négatif et positif, cette expérience de lecture plurielle ne peut manquer non plus de faire émerger chez l'élève la conscience que ces différentes approches ne diffèrent pas en tout, dans la mesure où bien des significations et des indices ne sont pas strictement assignables à une seule approche.
1 Ce texte déjà utilisé dans des séquences d'apprentissage (pour les approches structurale et mythocritique) est considéré ici dans une situation pédagogique nouvelle. La mise en commun qui suit renvoie, pour les approches susnommées, aux parties précédentes du même chapitre.
2 Mauron (Charles), Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Paris, José Corti, 1963, p.179.
3 Nous renvoyons, pour plus amples informations, le lecteur à l'ouvrage cité de Ch. Mauron et plus précisément au chapitre X de cet ouvrage.