17.2.5. Test final de la maîtrise de l’approche psychocritique par l’élève.

Nous proposons ici deux tests, le premier destiné aux élèves de classe de seconde de Lycée d'Enseignement Général, le second aux élèves de Première. A la suite de chacun des tests, est présenté son corrigé.

Test à destination des élèves de Seconde.

Après avoir lu les textes suivants, vous répondrez par écrit aux questions qui les accompagnent.

TEXTE 1 :

‘C'étaient ces vieilles épîtres qu'on retrouve dans les antiques secrétaires de famille, ces épîtres qui sentent un autre siècle. La première commençait par "Ma chérie". Une autre par "Ma belle petite-fille", puis c'étaient "Ma chère petite" - "Ma mignonne", - "Ma fille adorée" puis "Ma chère enfant", "Ma chère Adélaïde", - "Ma chère fille" selon qu'elles s'adressaient à la fillette, à la jeune fille, et, plus tard, à la jeune femme. Et tout cela était plein de tendresses passionnées et puériles, de mille petites choses intimes, de ces grands et simples événements du foyer, si mesquins pour les indifférents : "père a la grippe, la bonne Hortense s'est brûlée au doigt ; le chat "Croquerat" est mort ; on a abattu le sapin à droite de la barrière ; mère a perdu son livre de messe en revenant de l'église, elle pense qu'on le lui a volé." On y parlait aussi des gens inconnus à Jeanne, mais dont elle se rappelait vaguement avoir entendu prononcer le nom, autrefois, dans son enfance.
Elle s'attendrissait à ces détails qui lui semblaient des révélations ; comme si elle fût entrée tout à coup dans toute la vie passée, secrète, la vie du coeur de petite mère. Elle regardait le corps gisant ; et, brusquement, elle se mit à lire tout haut, à lire pour la morte, comme pour la distraire, la consoler. Et le cadavre immobile semblait heureux. Une à une elle rejetait les lettres sur les pieds du lit : et elle pensa qu'il faudrait les mettre dans le cercueil, comme on y dépose des fleurs. Elle délia un autre paquet. C'était une écriture nouvelle. Elle commença : "Je ne peux plus me passer de tes caresses. Je t'aime à devenir fou." Rien de plus ; pas de nom. Elle retourna le papier sans comprendre. L'adresse portait bien "Madame la baronne Le Perthuis des Vauds".
Alors elle ouvrit la suivante : "Viens ce soir, dès qu'il sera sorti. Nous aurons une heure. Je t'adore." Dans une autre : "J'ai passé une nuit de délire à te désirer vainement. J'avais ton corps dans mes bras, ta bouche sous mes lèvres, tes yeux sous mes yeux. Et puis je me sentais des rages à me jeter par la fenêtre en songeant qu'à cette heure-là même, tu dormais à son côté, qu'il te possédait à son gré..."
Jeanne interdite ne comprenait pas. Qu'est-ce que cela ? A qui, pour qui, de qui ces paroles d'amour ? Elle continua, retrouvant toujours des déclarations éperdues, des rendez-vous avec des recommandations de prudence, puis toujours, à la fin, ces quatre mots : "Surtout brûle cette lettre." Enfin elle ouvrit un billet banal, une simple acceptation à dîner, mais de la même écriture, et signé : "Paul d'Ennemare", celui que le baron appelait, quand il parlait encore de lui :"Mon pauvre vieux Paul", et dont la femme avait été la meilleure amie de la baronne. Alors Jeanne, brusquement, fut effleurée d'un doute qui devint tout de suite une certitude. Sa mère l'avait eu pour amant.

Guy de Maupassant, Une Vie, in Romans, 1883.

TEXTE 2 :

‘Donc ce Maréchal, jeune, libre, riche, prêt à toutes les tendresses, était entré, un jour, par hasard, dans une boutique, ayant remarqué peut être la jolie marchande. Il avait acheté, était revenu, avait causé, de jour en jour plus familier, et payant par des acquisitions fréquentes le droit de s'asseoir dans cette maison, de sourire à la jeune femme et de serrer la main du mari. Et puis après...après...oh ! mon Dieu...après ?... Il avait aimé et caressé le premier enfant, l'enfant du bijoutier, jusqu'à la naissance de l'autre, puis il était demeuré impénétrable jusqu'à la mort, puis, son tombeau fermé, sa chair décomposée, son nom effacé des noms vivants, tout son être disparu pour toujours, n'ayant plus rien à ménager, à redouter et à cacher, il avait donné toute sa fortune au deuxième enfant !... Pourquoi ?... Cet homme était intelligent... Il avait dû comprendre et prévoir qu'il pouvait, qu'il allait presque infailliblement laisser supposer que cet enfant était à lui. - Donc il déshonorait une femme ? Comment aurait-il fait cela si Jean n'était point son fils ?
Et soudain un souvenir précis, terrible, traversa l'âme de Pierre. Maréchal était blond, blond comme Jean. Il se rappelait maintenant un petit portrait miniature vu autrefois, à Paris, sur la cheminée de leur salon, et disparu à présent. Où était-il ? Perdu, ou caché ! Oh ! s'il pouvait le tenir rien qu'une seconde ? Sa mère l'avait gardé peut-être dans le tiroir inconnu où l'on serre les reliques d'amour. Sa détresse, à cette pensée, devint si déchirante qu'il poussa un gémissement, une de ces courtes plaintes arrachées à la gorge par les douleurs trop vives. Et soudain comme si elle l'eût entendu, comme si elle eût compris et lui eût répondu, la sirène de la jetée hurla tout près de lui. Sa clameur de monstre surnaturel, plus retentissante que le tonnerre, rugissement sauvage et formidable fait pour dominer les voix du vent et des vagues, se répandit dans les ténèbres sur la mer invisible ensevelie sous les brouillards. Alors, à travers la brume, proches ou lointains, des cris pareils s'élevèrent de nouveau dans la nuit. Ils étaient effrayants, ces appels poussés par les grands paquebots aveugles. Puis tout se tut encore. Pierre avait ouvert les yeux et regardait, surpris d'être là, réveillé de son cauchemar. "Je suis fou, pensa-t-il, je soupçonne ma mère." Et un flot d'amour et d'attendrissement, de repentir, de prière et de désolation noya son coeur. Sa mère ! La connaissant comme il la connaissait, comment avait-il pu la suspecter ? Est-ce que l'âme, est-ce que la vie de cette femme simple, chaste et loyale, n'étaient pas plus claires que l'eau ? Quand on l'avait vue et connue, comment ne pas la juger insoupçonnable ?
Et c'était lui, le fils, qui avait douté d'elle ! Oh ! s'il avait pu la prendre en ses bras en ce moment, comme il l'eût embrassée, caressée, comme il se fût agenouillé pour demander grâce ! Elle aurait trompé son père, elle ?... Son père ! Certes, c'était un brave homme, honorable et probe en affaires, mais dont l'esprit n'avait jamais franchi l'horizon de sa boutique. Comment cette femme, fort jolie autrefois, il le savait et on le voyait encore, douée d'une âme délicate, affectueuse, attendrie, avait-elle accepté comme fiancé et comme mari un homme si différent d'elle ?

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, 1888’

TEXTE 3 :

‘"Comment t'appelles-tu, toi ?" Il répondit : "Simon. - Simon quoi ?" reprit l'autre. L'enfant répéta tout confus : "Simon." Le gars lui cria : "On s'appelle Simon quelque chose... c'est pas un nom, ça... Simon." Et lui, prêt à pleurer, répondit pour la troisième fois : "Je m'appelle Simon." Les galopins se mirent à rire. Le gars triomphant éleva la voix : "Vous voyez bien qu'il n'a pas de papa." Un grand silence se fit. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire, impossible, monstrueuse, - un garçon qui n'a pas de papa ; - ils le regardaient comme un phénomène, un être hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque-là, de leurs mères pour la Blanchotte.
Quant à Simon, il s'était appuyé contre un arbre pour ne pas tomber ; et il restait comme atterré par un désastre irréparable. Il cherchait à s'expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pour leur répondre, et démentir cette chose affreuse qu'il n'avait pas de papa. Enfin, livide, il leur cria à tout hasard : "Si, j'en ai un. - Où est-il ?" demanda le gars. Simon se tut ; il ne savait pas. les enfants riaient, très excités ; et ces fils des champs, plus proches des bêtes, éprouvaient ce besoin cruel qui pousse les poules d'une basse-cour à achever l'une d'entre elles aussitôt qu'elle est blessée. Simon avisa tout à coup un petit voisin, le fils d'une veuve, qu'il avait toujours vu, comme lui-même, tout seul avec sa mère. "Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa. - Si, répondit l'autre, j'en ai un. - Où est-il ? riposta Simon. - Il est mort, déclara l'enfant avec une fierté superbe, il est au cimetière, mon papa."

Guy de Maupassant, Le papa de Simon, in Contes.’

TEXTE 4 :

‘Il fouillait avec une obstination acharnée dans ses cinq années de mariage, cherchant à retrouver tout, mois par mois, jour par jour ; et chaque chose inquiétante qu'il découvrait le piquait au coeur comme un aiguillon de guêpe. Il ne pensait plus à Georges, qui se taisait maintenant, derrière sur le tapis. Mais, voyant qu'on ne s'occupait pas de lui, le gamin se remit à pleurer. Son père s'élança, le saisit dans ses bras, et lui couvrit la tête de baisers. Son enfant lui demeurait au moins ! Qu'importait le reste ? Il le tenait, le serrait, la bouche dans ses cheveux blonds, soulagé, consolé, balbutiant : "Georges... mon petit Georges, mon cher petit Georges..." Mais il se rappela brusquement ce qu' avait dit Julie... Oui, elle avait dit que son enfant était à Limousin... Oh ! cela n'était pas possible, par exemple !, non, il ne pouvait le croire il n'en pouvait même douter une seconde. C'était là une de ces odieuses infamies qui germent dans les âmes ignobles des servantes ! Il répétait :"Georges... mon cher Georges." Le gamin, caressé, s'était tu de nouveau. Parent sentait la chaleur de la petite poitrine pénétrer dans la sienne à travers les étoffes. Elle l'emplissait d'amour, de courage, de joie ; cette chaleur douce d'enfant le caressait, le fortifiait, le sauvait.
Alors il écarta un peu de lui la tête mignonne et frisée pour la regarder avec passion. Il la contemplait avidement, éperdument, se grisant à la voir, et répétant toujours : "Oh ! mon petit... mon petit Georges !..." Il pensa soudain :"S'il ressemblait à Limousin... pourtant ! " Ce fut en lui quelque chose d'étrange, d'atroce, une poignante et violente sensation de froid dans tout son corps, dans tous ses membres, comme si ses os, tout à coup, fussent devenus de glace. Oh ! s'il ressemblait à Limousin !... et il continuait à regarder Georges qui riait maintenant. Il le regardait avec des yeux éperdus, troubles, hagards. et il cherchait dans le front, dans le nez, dans la bouche, dans les joues, s'il ne trouvait pas quelque chose du front, du nez, de la bouche ou des joues de Limousin.

Guy de Maupassant, Monsieur Parent, in Contes.’

ELEMENTS BIOGRAPHIQUES :

Questionnaire

Question 1.

A partir des textes de Maupassant qui vous sont proposés, découvrez une situation homologue qui se répète comme une obsession en précisant, dans la description de cette situation, les références textuelles.

Question 2.

Partant de cette situation et d'autres indices que vous nommerez, mettez en évidence la/les figure(s) mythique(s) qui se dégage(nt).

Question 3.

Formulez le mythe personnel de l'auteur sous la forme d'une hypothèse dans laquelle entreront les éléments essentiels qui constituent ce récit mythique.

Question 4.

Interprétez ce mythe personnel en mettant en évidence le jeu des identifications dans ces textes.

Question 5.

Confirmez votre hypothèse de mythe en vous appuyant sur les faits biographiques donnés.

REPONSES AU QUESTIONNAIRE

Question 1. A partir des textes de Maupassant qui vous sont proposés, découvrez une situation homologue qui se répète comme une obsession en précisant, dans la description de cette situation, les références textuelles.

Dans les textes de plusieurs oeuvres de Maupassant, il est possible de constater que l'auteur semble privilégier un schéma où un personnage émet des doutes sur l'identité de son père, ou d'un père ayant des doutes sur sa paternité à la suite de découvertes fortuites ou de confidences…qui laissent supposer des relations adultères de la mère (ou de l'épouse).

Question 2. Partant de cette situation et d'autres indices que vous nommerez, mettez en évidence la/les figure(s) mythique(s) qui se dégage(nt).

Les figures mythiques sont celles du père inconnu et de la mère coupable.

Question 3. Formulez le mythe personnel de l'auteur sous la forme d'une hypothèse dans laquelle entreront les éléments essentiels qui constituent ce récit mythique.

Question 4. Interprétez ce mythe personnel en mettant en évidence le jeu des identifications dans ces textes.

Le caractère obsédant de cette situation dans l'oeuvre de cet auteur et l'identification au personnage de l'enfant dans la plupart des cas (sympathie pour Simon, l'enfant sans père) me conduisent à penser que Guy de Maupassant exprime inconsciemment ses propres interrogations sur sa filiation, en particulier dans les doutes et les phrases interrogatives attribuées au personnage de Jeanne ou de Pierre.

Question 5. Confirmez votre hypothèse de mythe en vous appuyant sur les faits biographiques donnés.

Cette hypothèse se trouve vérifiée par la consultation de la vie de l'écrivain. Plusieurs éléments sont de nature à séparer Maupassant de ses ascendants : l'imprécision du lieu de naissance, la mésentente entre ses parents, la rupture du lien conjugal. A peine sorti de l'adolescence, Maupassant semble rechercher une compensation à l'absence du père dans la fréquentation de Flaubert dont la mort l'affecte d'une manière disproportionnée. Il reproduit lui-même dans son propre comportement la "faute originelle". Ne peut-on pas voir enfin la folie de Maupassant comme l'aboutissement de ces différentes ruptures d'identité ?

Test à destination des élèves de Première

Après avoir lu les textes suivants, vous répondrez aux questions qui l'accompagnent.

TEXTE 1 :

‘Cette sortie en mer l'avait ravie. Son mari, sans être méchant, la rudoyait comme rudoient sans colère et sans haine les despotes en boutique pour qui commander équivaut à jurer. Devant tout étranger il se tenait, mais dans sa famille il s'abandonnait et se donnait des airs terribles, bien qu'il eût peur de tout le monde. Elle, par horreur du bruit, des scènes, des explications inutiles, cédait toujours et ne demandait jamais rien. Aussi n'osait-elle plus, depuis bien longtemps, prier Rolland de la promener en mer. Elle avait donc saisi avec joie cette occasion, et elle savourait ce plaisir rare et nouveau.
Depuis le départ elle s'abandonnait toute entière, tout son esprit et toute sa chair, à ce doux glissement sur l'eau. Elle ne pensait point, elle ne vagabondait ni dans les souvenirs ni dans les espérances, il lui semblait que son coeur flottait comme son corps sur quelque chose de moelleux, de fluide, de délicieux, qui la berçait, qui l'engourdissait.

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, Ch. 1, 1888.’

TEXTE 2 :

‘Pierre ne pouvait plus demeurer dans sa chambre ! Cette maison, la maison de son père l'écrasait. Il sentait peser le toit sur sa tête et les murs l'étouffer. Et comme il avait très soif, il alluma sa bougie afin d'aller boire un verre d'eau fraîche au filtre de la cuisine.
Il descendit les deux étages, puis, comme il remontait avec la carafe pleine, il s'assit en chemise sur une marche de l'escalier où circulait un courant d'air, et il but, sans verre, par longues gorgées, comme un coureur essoufflé. Quand il eut cessé de remuer, le silence de cette demeure l'émut ; puis, un à un, il en distingua les moindres bruits. Ce fut d'abord l'horloge de la salle à manger dont le battement lui paraissait grandir de seconde en seconde. Puis il entendit de nouveau un ronflement, un ronflement de vieux, court, pénible et dur, celui de son père sans aucun doute ; et il fut crispé par cette idée, comme si elle venait seulement de jaillir en lui, que ces deux hommes qui ronflaient dans ce même logis, le père et le fils, n'étaient rien l'un à l'autre ! Aucun lien, même le plus léger, ne les unissait, et ils ne le savaient pas ! Ils se parlaient avec tendresse, ils s'embrassaient, se réjouissaient et s'attendrissaient ensemble des mêmes choses comme si le même sang eût coulé dans leurs veines. Et deux personnes nées aux deux extrémités du monde ne pouvaient pas être plus étrangères l'une à l'autre que ce père et que ce fils. Ils croyaient s'aimer parce qu'un mensonge avait grandi entre eux. C'était un mensonge qui faisait cet amour paternel et cet amour filial, un mensonge impossible à dévoiler et que personne ne connaîtrait jamais que lui, le vrai fils.

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, Ch.V, 1888.’

TEXTE 3 :

‘De loin, elle avait l'air d'un long jardin plein de fleurs éclatantes.
Sur la grande dune de sable jaune, depuis la jetée jusqu'aux Roches-Noires, les ombrelles de toutes les couleurs, les chapeaux de toutes les formes, les toilettes de toutes les nuances, par groupes devant les cabines, par lignes le long du flot ou dispersés ça et là, ressemblaient vraiment à des bouquets énormes dans une prairie démesurée. Et le bruit confus, proche et lointain des voix égrenées dans l'air léger, les appels, les cris d'enfants qu'on baigne, les rires clairs des femmes faisaient une rumeur continue et douce, mêlée à la brise insensible et qu'on aspirait avec elle.
Pierre marchait au milieu de ces gens, plus perdu, plus séparé d'eux, plus isolé, plus noyé dans sa pensée torturante que si on l'avait jeté à la mer du pont d'un navire, à cent lieues au large. Il les frôlait, entendait, sans écouter, quelques phrases ; et il voyait, sans regarder, les hommes parler aux femmes et les femmes sourire aux hommes.
Mais tout à coup, comme il s'éveillait, il les aperçut distinctement, et une haine surgit en lui contre eux, car ils semblaient heureux et contents.
Il allait maintenant frôler les groupes, tournant autour, saisi par des pensées nouvelles. Toutes ces toilettes multicolores qui couvraient le sable comme un bouquet, ces étoffes jolies, ces ombrelles voyantes, la grâce factice des tailles emprisonnées, toutes ces inventions ingénieuses de la mode depuis la chaussure mignonne jusqu'au chapeau extravagant, la séduction du geste, de la voix et du sourire, la coquetterie enfin étalée sur cette plage lui apparaissaient soudain comme une immense floraison de la perversité féminine. Toutes ces femmes parées voulaient plaire, séduire et tenter quelqu'un. Elles s'étaient faites belles pour les hommes, pour tous les hommes, excepté pour l'époux qu'elles n'avaient plus besoin de conquérir. Elles s'étaient faites belles pour l'amant d'aujourd'hui et l'amant de demain, pour l'inconnu rencontré, remarqué, attendu peut-être.
Et ces hommes, assis près d'elles, les yeux dans les yeux, parlant la bouche près de la bouche, les appelaient et les désiraient, les chassaient comme un gibier souple et fuyant, bien qu'il semblât si proche et si facile. Cette vaste plage n'était donc qu'une halle d'amour où les unes se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs caresse et celles-là se promettaient seulement. Toutes ces femmes ne pensaient qu'à la même chose, offrir et faire désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d'autres hommes. Et il songea que sur la terre entière c'était toujours la même chose.
Sa mère avait fait comme les autres, voilà tout ! Comme les autres ? - non ! Il existait des exceptions, et beaucoup, beaucoup ! Celles qu’il voyait autour de lui, des riches, des folles, des chercheuses d'amour, appartenaient en sorte à la galanterie élégante et mondaine ou même à la galanterie tarifée, car on ne rencontrait pas sur les plages piétinées par la légion des désoeuvrées, le peuple des honnêtes femmes enfermées dans la maison close.

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, Ch.V, 1888.’

TEXTE 4 :

‘"Voilà longtemps que je te sais jaloux de moi, depuis le jour où tu as commencé à dire "la veuve" parce que tu as compris que cela me faisait mal. "Pierre poussa un de ces rires stridents et méprisants qui lui étaient familiers :
-"Ah ! ah ! mon Dieu ! Jaloux de toi ! ...moi ? ...moi ? ...moi ?... et de quoi ?... de quoi, mon Dieu... de ta figure ou de ton esprit ?..."
Mais Jean sentit bien qu'il avait touché la plaie de cette âme.
-"Oui, tu es jaloux de moi, et jaloux depuis l'enfance ; et tu es devenu furieux quand tu as vu que cette femme me préférait et qu'elle ne voulait pas de toi."
Pierre bégayait, exaspéré de cette supposition :"Moi... moi... jaloux de toi ? à cause de cette cruche, de cette dinde, de cette oie grasse ?..."
Jean qui voyait porter ses coups reprit :
-"Et le jour où tu as essayé de ramer plus fort que moi, dans la Perle ? Et tout ce que tu dis devant elle pour te faire valoir ? Mais tu crèves de jalousie ! Et quand cette fortune m'est arrivée, tu es devenu enragé, et tu m'as détesté, et tu l'as montré de toutes les manières, et tu as fait souffrir tout le monde, et tu n'es pas une heure sans cracher la bile qui t'étouffe."
Pierre ferma ses poings de fureur avec une envie irrésistible de sauter sur son frère et de le prendre à la gorge :
-"Ah ! tais toi, cette fois, ne parle point de cette fortune."
Jean s'écria :
-"Mais la jalousie te suinte de la peau. Tu ne dis pas un mot à mon père, à ma mère ou à moi, où elle n'éclate. Tu feins de me mépriser parce que tu es jaloux ! Tu cherches querelle à tout le monde parce que tu es jaloux. Et maintenant que je suis riche, tu ne te contiens plus, tu es devenu venimeux, tu tortures notre mère comme si s'était sa faute !..."

Guy de Maupassant, Pierre et Jean, Ch.VII, 1888.’

QUESTIONNAIRE

Question 1.

  A partir des extraits ci-dessus, faites un tableau où vous nommerez les éléments répétitifs à caractère obsédant (personnages, relations ou situations).

Question 2.

A partir des situations récurrentes, vous formulerez les mythes personnels possibles de l'auteur dans des récits où entreront les éléments de ces mythes.

Question 3.

Interprétez ces mythes personnels par rapport au complexe d'Oedipe en mettant en évidence le jeu des identifications et des rôles symboliques, tout en faisant valoir la cohérence des différentes situations.

Question 4.

Confirmez votre hypothèse de mythe en vous appuyant sur les faits biographiques suivants.

ELEMENTS BIOGRAPHIQUES :

  • Lieu de naissance de Guy de Maupassant controversé (Fécamp ou Trouville).
  • Mésentente des parents et séparation.
  • Études au collège d'Yvetot.
  • 1868. G. Flaubert initie Maupassant à la littérature.
  • 1870. Il est soldat pendant la guerre franco-prussienne.
  • 1872. Il entre dans l'Administration du Ministère de la Marine.
  • Il s'intéresse à la généalogie de sa famille.
  • Il fréquente assidûment Flaubert.
  • 1878. Il conserve des relations épistolaires suivies avec sa mère.
  • 1880. Avril. Les soirées de Médan (Boule de Suif).
  • 8 mai. Mort de Flaubert, qui affecte profondément Maupassant.
  • 1883. Naissance d'un enfant de père inconnu (probablement fils de Maupassant)...
  • 1883. Publication d’ Une Vie.
  • 1891. Problèmes de santé. Ses facultés intellectuelles sont atteintes.
  • 1892. Admission dans la clinique psychiatrique du Docteur Blanche.
  • 1893. Mort de Guy de Maupassant.

Réponses au questionnaire

Question 1. A partir des extraits ci-dessus, faites un tableau où vous nommerez les éléments répétitifs à caractère obsédant (personnages, relations ou situations).

Éléments
Textes
Personnages Figures Relations

1)

Mme Roland
M. Roland

la mère
la mer
* Complaisances pour des situa-tions de protec-tion maternelle.
* Dévalorisation du père

2)

Pierre
M. Roland

le fils
le père
* Rejet par le fils de l'image du père

* Dévalorisation du père


3)

Pierre
Les femmes

la mère
les femmes
* Mère coupable

* Misogynie

* Refus de la femme comme objet
amoureux.

4)
Pierre
Jean
Frères
ennemis
mère
* Jalousie, rivalité

* Jalousie, dépit.

Question 2 . A partir des situations récurrentes, vous formulerez les mythes personnels possibles de l'auteur dans des récits où entreront les éléments de ces mythes.

  • Un fils semble réagir par rapport à sa propre mère comme un amant jaloux.
  • Un fils semble manifester à l'égard de son père une relation de mépris hostile.
  • Un être masculin ou féminin semble se complaire dans les situations de protection active ou passive (auprès de la mère, ou de la mer).

Question 3.  Interprétez ces mythes personnels par rapport au complexe d'Oedipe en mettant en évidence le jeu des identifications et des rôles symboliques, tout en faisant valoir la cohérence des différentes situations.

  1 2 3

Mythe
1
  * Complexe d'Œdipe
* Choix de la mère comme amante.
* Assassinat du père
* Persistance du désir oedipien
* Complexe d'Œdipe
* Fixation infantile à la mère et identification à celle-ci.
Mythe
2
    * Complexe d'Œdipe
* Refus de l'identification au père.
Mythe
3
     

En conclusion, il semble y avoir chez Maupassant fixation à la mère avec persistance du désir oedipien : Dès lors la misogynie latente chez cet auteur pourrait signifier la nature ambiguë des relations qu'il entretient avec la femme.

Question 4.  Confirmez votre hypothèse de mythe en vous appuyant sur les faits biographiques suivants.

L'oeuvre de Maupassant est organisée autour de la fixation à la mère. C'est ainsi que, dans Une Vie, le personnage de Jeanne Delamare, auquel l'auteur s'identifie par le choix du point de vue, semble reproduire l'existence de la mère et manifeste à son égard un attachement disproportionné (notamment au moment de la mort de celle-ci). L'échec des relations familiales dans toute l'oeuvre de Maupassant trouverait ainsi son origine dans un inachèvement de sa structuration psychologique. Certains événements de sa vie permettent d'établir le bien-fondé de cette hypothèse : la recherche de la généalogie familiale manifesterait une volonté de l'auteur de retourner à un lien originel ; les relations qu'il eut avec Flaubert confirment sa difficile recherche d'un modèle de père ; la non-reconnaissance d'un fils naturel peut être interprétée comme un refus d'assumer le rôle du père.