17.4. Evaluation de la maîtrise acquise par l’élève de la lecture anthropologique de l’œuvre littéraire.

Le test proposé s'adresse, en fin d'année, aux élèves de Première de Lycée d'Enseignement Général.

TEST

Après avoir lu le texte suivant (de Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926), vous répondrez par écrit aux questions qui l'accompagnent.

‘La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

P. Eluard, Capitale de la douleur, éd. Gallimard, 1926.

QUESTIONNAIRE

Question 1.

Quelles sont les différentes significations que vous obtenez à partir d'une recherche qui met en oeuvre sur ce texte une pluralité d'approches ?

Question 2.

Quel vous paraît être le principe organisateur des significations et des procédés de ce texte ?

Question 3.

Rédigez un paragraphe de synthèse qui mette en valeur les différentes significations de ce texte structurées autour de son principe organisateur.

Question 4.

En vous aidant au besoin de vos connaissances culturelles et en particulier de celles relatives à la littérature française et au mouvement surréaliste, vous éclairerez le système interne découvert en précisant le pôle ou le segment du mythe fondateur que ce texte privilégie.

Question 5.

Rendez compte de votre lecture anthropologique de ce texte sous la forme d'un plan de communication synthétique.

REPONSES AU QUESTIONNAIRE

Question 1. Quelles sont les différentes significations que vous obtenez à partir d'une recherche qui met en oeuvre sur ce texte une pluralité d'approches ?

  1. Synthèse de l'approche structurale.
    1. L'auteur nous rend sensible la présence des yeux de la femme.
    2. En nous communiquant la beauté et la douceur de ses regards, le poète célèbre la femme aimée.
    3. Paul Eluard prête aux regards de la femme le pouvoir de faire naître l'harmonie dans le monde et dans sa propre existence qu'ils renouvellent.
  1. Thématique du texte.
    1. Amour
    2. Regard
    3. Femme
    4. Beauté
  1. Mythocritique. On repère dans le texte un ensemble de thèmes et de mythèmes : l'eau, la circularité, la paix ou l'apaisement, la nouveauté (ou la renaissance), le salut, la lumière, les couleurs... A partir de ces éléments et de leur cohérence narrative, il est possible d'entrevoir la référence intentionnelle ou non au mythe biblique de la sortie du Déluge et de l'Alliance nouvelle établie entre Dieu et son peuple. Ce texte, par sa tonalité et par son atmosphère apaisée, fait songer au poème en prose de Rimbaud, "Après le Déluge" qui ouvre LesIlluminations.
  2. Approche sociocritique.
    1. Vision du monde : aspiration à la sécurité, besoin de sûreté, de protection, de stabilité.
    2. Société productrice du texte : la société française de l'entre-deux-guerres.
    3. Cette société, qui a perdu ses points de repère, aspire à l'oubli des meurtrissures de la guerre et à une stabilité sociale ou internationale qui paraît compromise.
  1. Approche psychocritique.
    1. Des figures et situations au mythe personnel. La femme aimée a toutes les apparences de la mère (image du berceau). Le poète semble rechercher auprès d'elle un refuge ou une stabilité.
    2. Hypothèse d'interprétation : Le poète perçoit la femme comme un substitut de la mère et cherche dans sa relation tout à la fois à retrouver le climat sécurisant des temps originels où il était en situation de fusion avec la mère et à établir auprès d'elle un nouvel équilibre de vie.
  1. Approche sémiotique (structures profondes).

Synthèse de l'approche sémiotique.

Le poète présente la femme comme un être angélique source de joie et de transfiguration en opposition à la dureté du monde tragique et hostile. la femme fait redécouvrir au poète marqué par son passé un espace de bonheur et d'innocence dans le monde naturel.

Question 2. Quel vous paraît être le principe organisateur des significations et des procédés de ce texte ?

On observe à partir des différentes approches que le texte, dans tous les cas, révèle une stabilité, une harmonie, un principe d'unité dans les relations entre les êtres et le monde.

Question 3. Rédigez un paragraphe de synthèse qui mette en valeur les différentes significations de ce texte structurées autour de son principe organisateur.

Harmonie et unités se révèlent dans la beauté de l'être féminin et du monde et dans les relations qui s'établissent entre eux. Le symbole du cercle et le mythe biblique de l'après-déluge apparaissent emblématiques, soulignant cette unité harmonieuse des êtres et du monde. Une telle insistance à exprimer cette harmonie traduit vraisemblablement une aspiration de la société française des années 20 à un consensus pacifiste, oublieux des drames et des meurtrissures du passé.

A travers le pouvoir que prend la femme dans ce texte, on peut établir qu'elle représente, au regard de la société d'abord, une figure rassurante, maternelle et protectrice, en même temps que dominatrice, pour le poète ensuite un refuge et un nouvel équilibre : l'ultime et secret désir de retrouver, dans une relation de fusion amoureuse, l'image sécurisante de la mère et d'instaurer un nouvel ordre de relation régénérant son existence et son rapport au monde...

Question 4. En vous aidant au besoin de vos connaissances culturelles et en particulier de celles relatives à la littérature française et au mouvement surréaliste, vous éclairerez le système interne découvert en précisant le pôle ou le segment du mythe fondateur que ce texte privilégie.

Le mouvement surréaliste qui, comme chacun sait, a beaucoup cultivé le paradoxe et l'inattendu, faisant par exemple du thème de la rencontre un thème emblématique, a par là contribué à renouveler le traitement de multiples thématiques, telles celles de l'amour. Le texte d'Eluard qui, s'inscrit dans la mouvance surréaliste choisit de privilégier le segment post résurrectionnel du mythe fondateur à tel point que la référence au tragique n'est plus qu'allusive et qu'un vers comme "Auréole du temps, berceau nocturne et sûr" transforme en circularité lumineuse et sereine les images liées au temps ou à la nuit.

Question 5. Rendez compte de votre lecture anthropologique de ce texte sous la forme d'un plan de communication synthétique.

*Plan de communication synthétique.

INTRODUCTION

Ronsard, Maurice Scève, les Pétrarquistes avaient déjà célébré le regard de la femme, lui prêtant une force blessante à quoi les romantiques et les symbolistes ont ajouté un pouvoir fatal et ensorcelant.

Comment un poète surréaliste perçoit-il le regard de l'être aimé ? Dans Capitale de la douleur, Paul Eluard semble se démarquer de ses prédécesseurs en donnant des yeux de la femme une image sans conteste bienveillante et plus harmonieuse.

DEVELOPPEMENT

1 e Partie : Dans la tradition des blasons du corps féminin, Paul Eluard célèbre la beauté des yeux de la femme aimée.

1.1. L'auteur nous présente les yeux de la femme à travers leurs lignes.

*Champs lexicaux. Regard. Yeux

Perception de lignes courbes circulaires.

*Métaphores/Comparaisons qui soulignent les contours.

- forme circulaire : "auréole"

- ellipses : "berceau", "feuilles"

- arcs : "ailes d'oiseau", "bateau"

* Faits de langue. Temps présent : rend sensible la présence des yeux.

1.2. Eluard souligne dans ce poème la beauté et l'éclat de ces yeux.

* Champs lexicaux. Éclat. Lumière. Couleurs.

* Métaphores/Comparaisons qui soulignent l'éclat et la beauté.

- "auréole"

- feuilles de jour } lumière

- mousse de rosée } perfection, quintessence.

1.3. L'auteur célèbre la femme aimée.

* Champs lexicaux. Amour.

"La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur" : vocabulaire religieux.

* Faits de langue/Rythme. Multiplicité d'appositions } forme litanique.

2 e partie : Le poète découvre dans les yeux de la femme aimée des pouvoirs qui font naître l'harmonie et qui, en lui révélant le monde, le révèlent à lui-même.

2.1. Eluard tend à nous rendre sensible le fait que les yeux de la femme ont le pouvoir de créer l'harmonie.

* Champs lexicaux. et isotopies. Douceur / Harmonie.

* Division spatiale. Régularité des strophes.

* Rythme régulier sur la strophe 2 (décasyllabes) } harmonie. Symbole du cercle et de la danse.

* Sonorités douces et harmonieuses.

2.2. Pour l'écrivain, les yeux de la femme font exister le monde et le révèlent.

* Champs lexicaux .

- Nature. Espace (ciel, mer, monde).

- Naissance. Origine. Création.

Isotopies : transparence  opacité

lumière  obscurité

* Faits de langue / fonction actancielle : les yeux de la femme sujet opérateur du programme de transformation

* Rythme majeur de la 3° strophe } pouvoir / puissance du regard.

* Métaphores/Comparaisons ou symboles : du "berceau", du "nid", de la "source".

2.3. Les regards de la femme révèlent le poète à lui-même et le font exister.

* Isotopies } En opposition à la dureté et au tragique du passé, la femme fait découvrir au poète un monde de bonheur et d'innocence.

* Champs lexicaux/Faits de langue

- Opposition présent/passé

- Conscience :

"Et si je ne sais plus ce que j'ai vécu C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu". (vers 4 et 5). C'est par le regard de la femme aimée que le poète découvre ce qu'il est ou prend conscience de ce qu'il vit.

* Métaphores/Comparaisons ou symboles :

- "auréole du temps"

la présence de la femme transfigure l'instant présent.

- "mon sang coule dans leur regard"

le poète existe sensiblement dans le regard de la femme.

3 e Partie : Paul Eluard traduit dans ce poème son désir propre et celui de la société de son temps d'une protection et d'une harmonie universelle.

3.1. L'écrivain se voit protégé par le regard de la femme.

* Champs lexicaux. Douceur. Protection. Enveloppement.

Symbole du cercle et du berceau.

Isotopies : Bienveillance  Hostilité

Euphorie  Tragique

* Métaphores/Comparaisons. Champs lexicaux. "Tes yeux chassent du bruit" } apaisement.

Faits de langue. Les yeux ou la femme : sujets, le poète étant objet des actions exercées par elle.

3.2. A travers cette relation du poète à la femme, on peut découvrir le désir de Paul Eluard de retrouver une relation de fusion à la mère et d'instaurer avec sa compagne un nouvel équilibre dans l'amour.

* - Situations symboliques : du cercle, du berceau, de la nativité.

* - Figures : la compagne du poète a tous les traits d'une figure maternelle qui a tous les pouvoirs.

* Métaphores/Comparaisons ou symboles : la femme est l'ange protecteur ("de ses ailes couvrant le monde de lumière") auprès de qui le poète cherche un refuge.

* Faits de langue. je/tu/il } tendance au fusionnel, au confusionnel (absence de structure syntaxique claire).

* - Même si la compagne du poète garde des traits qui en font une figure proche de la mère, elle est également génératrice de renouvellement, de renaissances : un nouvel équilibre se crée, une relation d'un type nouveau s'instaure dans l'amour d'un être nouveau...

3.3. On peut interpréter cette relation du poète à la femme et au monde comme l'aspiration inconsciente d'une société à la sérénité, au consensus pacifique et à l'oubli des blessures.

* Champs lexicaux. Isotopies : besoin / désir de protection, de sûreté, de stabilité ; rejet des souvenirs qui font souffrir : "tes yeux chasseurs des bruits et source des couleurs" } aspiration à une embellie, à un consensus pacifique dans l'harmonie universelle.

* Mythe. Référence implicite au mythe biblique de l'après-déluge.

CONCLUSION

Ainsi ce poème qui est l'éloge de la femme aimée exprime le bonheur que celle-ci apporte au poète : sécurité et meilleure relation au monde. Mais par delà la célébration de l'amour qui réconcilie l'homme avec le monde et avec lui-même, on peut aussi déceler l'expression de l'inconscient individuel du poète, ainsi que celui de la société de ce temps, qui manifestent sensiblement leur désir d'une relation harmonieuse et sereine et leur aspiration résolue vers le bonheur. D’évidence, le poète, pour exprimer ce renouvellement vécu des relations entre hommes et femmes, emprunte aux symboles et aux récits mythologiques disponibles dans l’aire culturelle judéo-chrétienne.