INTRODUCTION

PREAMBULE

Dans un livre qui fait date dans l’histoire des sciences de l’information et de la communication, ’L’espace public, archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise’, paru en 1962 (traduction française de 1978), Jürgen Habermas a imaginé un concept novateur, ’l’espace public’, pour rendre compte du fonctionnement du champ symbolique constitué par l’interface entre la sphère publique (l’Etat) et la sphère privée (les citoyens ’éclairés’).

La présente thèse constitue une tentative de réexamen de ce concept ’d’espace public’, a partir de trois constatations simples. Tout d’abord, il est évident que les sociétés et les médias sont sans cesse en évolution, parfois même en révolution, et l’espace public, considéré stricto sensu comme lieu symbolique du politique ne peut pas ne pas être lui-même en mutation. Depuis l’émergence, au milieu du XVIIIème siècle, de ’l’opinion publique’ alors considérée comme produit de la discussion rationnelle des opinions privées, bien des choses ont changé sur les plans politique, social, culturel, institutionnel, etc. Et depuis la publication de ’L’espace public’, de nouveaux bouleversements ont eu lieu en matière de sciences et de techniques, de télécommunications, d’internationalisation de la production et des échanges, de géopolitique, d’idéologie, de modes de vie, de mentalités, etc.

En second lieu, il est non moins incontestable que les médias de masse ont aujourd’hui envahi toute la société et constituent un vecteur, certes pas unique, mais à coup sûr, essentiel, de l’espace public. La publicité, la communication politique et institutionnelle, les journaux, les magazines, la radio, (environ 2h30 par jour), la télévision (environ 3 heures par jour) constituent un environnement qui s’impose à tous.

Enfin, on observe de plus en plus dans les médias, mais aussi, sans doute par contrecoup, dans les partis politiques, les administrations, les collectivités territoriales, les associations et les conversations quotidiennes, une référence quasi constante à ’l’opinion publique’, comme si cette dernière, mesurée ’scientifiquement’ avec les sondages d’opinion, les études d’impact, ’l’audimat’, les enquêtes de toute nature, les baromètres de popularité, etc., était une réalité positive (au sens positiviste du terme) indiscutable. Depuis le début des années 1960, vingt-cinq ans plus tard qu’aux Etats-Unis, les sondages d’opinion se sont en effet peu à peu généralisés en France, et ont rapidement donné une forte légitimité sociale à une nouvelle ’opinion publique’ construite sur le modèle du suffrage universel par une simple addition d’opinions individuelles.

La question centrale de la présente thèse peut donc se formuler ainsi: les médias de masse ne structurent-ils pas l’espace public – et, si c’est le cas, comment - en inscrivant les individus dans une série de normes sociales strictes et dans une logique d’appartenance sociale forte, ce qui a pour conséquence, et sans doute pour objectif inavoué, de délégitimer le système libéral et de favoriser sa reproduction.