1.2. LE SYSTEME POLITIQUE FRANCAIS

Tout en critiquant, dans la section 1.1.2. le modèle théorique élaboré par Habermas dans ’L’espace public’, nous avons déjà commencé à évoquer certains éléments qui contribuent à tracer le cadre dans lequel on peut aujourd’hui penser l’espace public. Pour compléter cette esquisse, il nous reste à aborder deux questions fondamentales: celle des rapports entre espace public et politique, et celle des rapports entre espace public et médias.

Même si, pour Habermas, l’espace public n’est pas uniquement le lieu symbolique du débat politique (il évoque assez longuement la formation et le développement d’une ’sphère publique littéraire’), nous considérons, pour notre part que c’est bien le politique qui constitue le noeud de l’espace public. Même si ce n’est guère original, nous estimons avec Aristote que ’l’homme est un animal politique’, et il nous semble évident que le politique met en jeu des processus et des déterminations qui se trouvent au principe de l’ensemble des rapports sociaux. D’ailleurs, à l’exception de la vie (très) privée des individus (et encore), rien ou presque n’échappe , à un moment ou à un autre, d’une manière ou d’une autre, au politique, c’est-à-dire au fond, à la façon d’organiser les rapports sociaux. Dans les sociétés développées, - notamment celles qui fonctionnent sur le modèle de ’l’Etat-providence’ - bien peu de domaines ne sont pas régis par le droit, que ce soit par des lois, des règlements ou des procédures administratives, et le droit n’est rien d’autre qu’un projet politique qui a réussi. Que ce soit pour donner aux individus et aux groupes sociaux des droits positifs, pour les protéger contre d’éventuelles agressions ou contre des situations difficiles, pour réglementer les échanges, pour inciter les individus à se comporter de telle ou telle façon, pour punir les ’déviants’, etc, on passe quasi nécessairement par un texte de loi, et donc par une décision politique. Et même des questions qui a priori relèvent strictement de la sphère privée intime, comme la sexualité, la procréation, l’amour, la mort, etc, font partie du débat politique et donnent souvent lieu à des affrontements entre les différentes forces politiques, dans la mesure où elles renvoient à des ’valeurs’, à des systèmes de normes sociales qui sont elles-mêmes politiques 91.

Il nous semble donc nécessaire d’évoquer sommairement le système institutionnel français, c’est-à-dire le cadre constitutionnel et administratif dans lequel s’actualise l’Etat-providence; nous croyons également utile d’étudier le jeu politique lui-même, c’est-à-dire le fonctionnement de ce système de représentation particulier qui constitue la politique; nous examinerons enfin les rapports qu’entretient ce que Pierre Bourdieu appelle le ’théâtre politique’ avec la société civile. Nous pensons en effet que l’espace public ne peut être considéré d’une façon purement abstraite - comme Habermas a tendance à le faire - mais qu’il doit s’analyser ’ici et maintenant’, son fonctionnement étant selon nous, largement déterminé par le contexte institutionnel, l’organisation des forces politiques et l’adéquation entre le champ politique et l’ensemble du champ social.

Par rapport aux autres démocraties occidentales, notamment européennes, le système institutionnel français revêt évidemment un certain nombre de particularités. Nous n’avons naturellement pas l’ambition de les analyser dans le détail, ce qui serait hors de propos, mais nous souhaitons simplement proposer quelques réflexions susceptibles d’éclairer notre recherche, à propos des formes spécifiques de l’Etat-providence, des particularités de la Vème République, de la Fonction Publique et de l’Administration nationale et territoriale de la République.

Notes
91.

A cet égard, le débat sur le PACS (Pacte Civil de Solidarité) qui s’est déroulé à la fin de l’année 1998 constitue un exemple significatif de fortes implications politiques d’un problème dit ’de société’ dans lequel le soutien au PACS ou l’opposition à ce projet recouvrait presque parfaitement le clivage entre la droite et la gauche. On pourrait faire la même analyse à propos de la loi Veil sur l’avortement.