2.2.1. Le pouvoir de l’image

Il est courant - et même presque banal - de considérer que nous vivons aujourd’hui dans une ’civilisation de l’image’, où l’icône, sous ses différentes formes, fixe ou animée, dominerait tous les autres médias et s’imposerait à nous avec une puissance communicationnelle quasiment magique. Régis Debray peut ainsi écrire: ‘Qu’elles soulagent ou ensauvagent, qu’elles émerveillent ou ensorcellent, manuelles ou mécaniques, fixes, animées, en noir et blanc, en couleurs, muettes, parlantes, c’est un fait avéré, depuis quelques milliers d’années, que les images font agir et réagir (...) L’image est plus contagieuse, plus virale que l’écrit (...) Partout où des foules s’ébranlent, en Occident, processions, défilés, meetings mettent en avant l’icône du Saint ou le portrait du chef, Jésus Christ ou Karl Marx (...) La lettre peut tuer l’esprit, mais l’image vivifie la lettre, comme l’illustration l’enseignement’ ’ 272. Pour lui, la généralisation de la télévision nous a fait entrer dans une ère nouvelle, la ’vidéosphère’, dans laquelle la croyance unique est l’image. Une photographie aura ainsi davantage de crédibilité qu’une analyse et un reportage télévisé qu’un bon discours: ‘’En régime visuel, ou vidéocratie, je peux ignorer les discours de vérité et de salut, contester les universaux et les idéaux, mais non la valeur des images. Son incontestable présupposé est le lieu commun d’une époque’ 273 .

Certes, les analyses de Régis Debray sont contestables, et le concept de ’vidéocratie’ constitue une représentation quelque peu simpliste de la société moderne. En effet, l’écran est bien loin d’avoir tué l’écrit, et l’image, quelle que soit sa force intrinsèque, existe rarement seule. Elle ne prend précisément sa pleine puissance de véridiction qu’accompagnée de discours (légendes, articles ou commentaires oraux) destinés à tout le moins à signifier ce qu’elle est censée montrer. Car, considérée en tant que telle, en dehors de tout contexte et de toute explication, une image, une photographie ou un film vidéo peut sans doute véhiculer de l’émotion, sur le plan sentimental ou esthétique, mais plus difficilement du sens. Autrement dit, un reportage montrant des soldats maltraitant des civils, des maisons en feu et des tirs d’armes automatiques peut bien nous apitoyer sur les horreurs de la guerre et sur la folie meurtrière des hommes, d’autant plus aisément d’ailleurs que personne, ou presque, n’est partisan de la guerre en général, mais, si on ne sait pas exactement de quoi il s’agit, ces images - pour poignantes qu’elles puissent être - ne nous diront pas grand chose. Si les commentaires par contre, nous indiquent qu’il s’agit de militaires serbes mettant le Kosovo à feu et à sang ou des soldats indonésiens semant la terreur au Timor oriental, alors, ces images prendront du sens et viendront mettre l’évidence (au sens étymologique: ce qui se voit) au service d’un discours et particulièrement de sa dimension idéologique. Nous reviendrons sur cet aspect, mais nous voulions souligner, comme le fait Martine Joly en prenant pour exemple les charniers de Timisoara, dont on apprit plus tard qu’ils n’étaient pas ceux de Timisoara, que ‘le problème (...) est bel et bien posé par la relation entre langage verbal et image, pas par l’image seule: si nous n’avions vu que des images de charnier, nous n’aurions vu que des images de charnier et voilà tout. Qu’elle soit médiatique ou artistique, une image n’est ni vraie ni fausse, comme le déclarait Ernst Gombrich à propos de la peinture. C’est la conformité entre le type de relation image / texte et l’attente du spectateur qui donne à l’oeuvre un caractère de vérité ou de fausseté’ 274 .

Pour autant, et sous réserve d’être considérée dans son rapport avec le discours ou, mieux, dans la globalité signifiante qu’elle forme avec le discours, l’image médiatique, puisque c’est évidemment elle qui nous intéresse, mérite un traitement particulier, dans la mesure où elle recèle un pouvoir sémiotique particulier. Il nous semble donc pertinent d’évoquer, dans un premier temps, le caractère ’fétichiste’ de l’image, avant d’aborder le rôle de l’image dans la presse écrite puis dans la télévision.

Notes
272.

Régis DEBRAY: Vie et mort de l’image, une histoire du regard en Occident, Editions Gallimard, 1993.

273.

Ibid. p. 78.

274.

Martine JOLY: Introduction à l’analyse de l’image, Edition Nathan Université, Paris, 1993, p. 103.