2.2.1.3.4. ’Paris-Match’

’Le poids des mots, le choc des photos !’ S’il est un périodique emblématique d’une certaine forme de presse ’à sensation’ - et qui annonce la couleur jusque dans son slogan publicitaire - c’est bien l’hebdomadaire ’Paris - Match’. Créé en 1949 par Jean Prouvost comme ’magazine d’informations photographiques’, ’Paris – Match’, qui tire aujourd’hui à 825 000 exemplaires 289, fut une des grandes réussites commerciales de la presse française de la deuxième partie du 20ème siècle. En effet, dans les années 1960, il était régulièrement diffusé à 1,5 million d’exemplaires. Sa formule était alors assez différente de la conception actuelle, puisqu’il était essentiellement axé sur les enquêtes et les grands reportages. En 1975, alors que sa diffusion était tombée à 580 000 exemplaires, notamment en raison de la concurrence de la presse ’people’, ’Paris – Match’ fut vendu à Daniel Filipacchi et il abandonna peu à peu ses ambitions informatives pour devenir ce qu’il est aujourd’hui: un magazine ’people’ haut de gamme, plutôt luxueux, très ’visuel’, qui traite aussi bien de la vie privée des vedettes ou des personnalités que des catastrophes et des drames en tous genres. ’Paris - Match’ défraie souvent la chronique en publiant des photos ’volées’ (qu’il paie fort cher) ou en ’révélant’ des secrets de polichinelle. C’est ainsi qu’il a publié une photo de François Mitterrand sur son lit de mort, qu’il a ’révélé’, photos à l’appui, l’existence de Mazarine, la fille cachée du même François Mitterrand, ou bien encore qu’il a largement traité de l’accident qui a coûté la vie à la princesse Diana au moyen de photographies prises quelques secondes après le drame.

A titre d’exemple, et postulant qu’un seul exemplaire d’un tel magazine était représentatif de sa ’ligne éditoriale’ et en l’espèce du rôle joué par l’image, nous nous sommes contentés d’examiner le numéro du 21 Octobre 1999, mis en vente à partir du 14 Octobre. Ce numéro est composé de 160 pages d’un format de 23cm x 29,7cm. Il est imprimé sur du papier couché brillant, et toutes les photographies sont en quadrichromie. La publicité occupe environ 46,5 pages sur 160, à quoi il faut ajouter 7 pages sur 16 pour le supplément encarté consacré au tennis. Au total, la publicité représente donc environ 30% du contenu de ’Paris - Match’, étant entendu qu’elle est elle-même très ’visuelle’. La photographie occupe une surface approximative de 48% de l’espace total hors publicité, l’essentiel de ce pourcentage étant composé de photos du format de la page complète, voire même s’étalant sur deux pages . Ainsi, sur 113,5 pages (hors publicité), 46 pages (40%) servent de support à une photo ou à une partie de photo. Il faut néanmoins préciser que le texte en est rarement totalement absent, puisque dans la plupart des cas, on remarque, en surimpression ou en réserve, au moins une légende de quelques lignes en petits caractères (justifiée sur 5 cm), et souvent un gros titre et un texte de 10 ou 15 lignes qui constitue souvent le chapeau de l’article qui suit, article qui s’étend sur 2 ou 3 pages. La place consacrée à la photographie est donc tout à fait considérable et sans commune mesure avec ce que nous avons pu constater dans la presse quotidienne. Le dessin, pour sa part, n’est pas totalement absent, mais n’occupe qu’une place modeste de 2,2%, essentiellement constituée par deux pages entières: l’une due à Sempé, l’autre à Wolinski. Enfin, les graphiques, cartes et tableaux sont réduits à une proportion infinitésimale (une seule occurrence). Si l’on prend en compte les quelques images de natures diverses qui ne rentrent pas dans les catégories précédentes (fac-similés par exemple), l’icône, sous ses différentes formes, représente 50% de la surface totale de ’Paris - Match’.

Cette importance quantitative accordée à la photographie dans ’Paris - Match’ va de pair avec la recherche manifeste d’un certain type de photo et avec une ’mise en scène’ particulière de l’image du point de vue de la structure de la page comme de celle de l’ensemble du journal. En ce qui concerne tout d’abord la ’une’ - qui, plus encore pour un magazine que pour un quotidien joue un rôle commercial et identitaire très fort - elle nous semble très représentative d’une tendance lourde de la presse périodique que nous avons déjà évoquée dans le sous - chapitre 2.1.2.3. Elle est en effet bâtie autour d’une photo en quadrichromie, à bords perdus, sur laquelle sont disposés, soit en surimpression, soit en réserve, le titre du journal (’Paris - Match’), un gros titre et quelques lignes de texte relatifs à la photo principale, et deux titres secondaires, en haut de la page, de part et d’autre duquel se trouvent deux petites photos les illustrant. Le titre du journal est réduit à un cartouche rouge de 7cm x 4cm; les deux photos secondaires occupent en tout et pour tout l’une, 6cm x 4cm et l’autre, 3,8cm x 5cm, les titres les accompagnant s’inscrivant dans un espace de 4cm x 5,5cm; le titre principal (avec sur-titre, sous-titre et quelques lignes de texte en petits caractères qui résument ’l’événement’) a droit à 8,5cm x 13cm, soit environ un sixième de la page. Cette disposition montre assez clairement que c’est bien la photographie qui constitue l’essentiel de la ’une’, le texte - réduit à un espace limité - ne servant au fond qu’à mettre la photo en valeur en nous donnant les quelques informations nécessaires à la faire embrayer sur un réel familier. Ainsi, dans l’exemple que nous examinons, la photographie principale représente un couple, en plan moyen, l’homme tenant la femme par la taille. La femme, souriante, semble parfaitement heureuse; l’homme, que l’on reconnaît immédiatement comme étant le chanteur Michel Sardou, sourit à peine, il paraît grave et pénétré par l’importance du moment. Le titre principal ’Salut les mariés’, sert en même temps à préciser les référents de la photographie - le mariage de Michel Sardou et Anne-Marie Périer - et à nous faire entrer dans l’intimité des nouveaux époux, la photo devenant ainsi un élément de notre propre album de famille. C’est une des pratiques constantes de ’Paris - Match’, et d’une grande partie de la presse populaire, que de publier à la ’une’ des photographies plus ou moins ’intimes’ de ’vedettes’ de la chanson, du cinéma, du sport, etc. afin de donner au lecteur l’illusion qu’il partage leur vie et qu’il peut s’identifier à elles.

Cette façon de faire rêver les gens, de les émouvoir à bon compte, de leur présenter une représentation irénique de la société se retrouve évidemment dans les pages intérieures de l’hebdomadaire avec des reportages photographiques sur Bernard Tapie comédien, Zinédine Zidane en famille, une ’star’ naissante, le milliardaire Steve Fosset en train de traverser l’Atlantique en catamaran, etc., sans oublier les automobiles de luxe, les motos. Pourtant, au milieu de cet étalage de bonheur tranquille (et à l’abri du besoin), on trouve aussi, comme pour mieux le mettre en valeur, des images des malheurs du monde, principalement consacrés aux drames survenant loin de nos frontières (’sacrifice des enfants’ en Tchétchénie, par exemple) ou bien aux situations françaises défrayant la chronique (gendarmes ayant incendié la paillotte de ’chez Francis’ en Corse, accusations de Jacques d’Orléans contre feu son père le Comte de Paris, etc.). Dans tous les cas que nous venons de citer, le ’reportage’ commence par 2 ou 4 pages de photographies ’pleine page’ et se poursuit par plusieurs pages de textes illustrées par des photos d’un format moyen voire même par des pages de texte sans aucune photo. Nous avons ainsi pu dénombrer 12 pages de texte exempt de toute photo, soit 10,5% du total hors publicité, ce qui n’est pas négligeable, 7 de ces 12 pages constituant les 7/8ème d’une rubrique intitulée ’document exclusif’ consacrée aux ’plus remarquables passages’ d’un livre à paraître à propos de ’Jean-Paul II, témoin de l’espérance’. Dans ce cas, l’absence de photographie elle - même , ce long texte sans illustration, sauf dans la première page, étant ainsi mis en scène, par un effet de contraste, comme une espèce de parole divine, qui se suffit à elle - même. Certains mots, nous dit ainsi ’Paris - Match’, ont tellement de ’poids’ que le ’choc des photos’ serait superfétatoire. Situation paradoxale - qui ne peut exister que dans une revue surchargée d’images - où l’absence d’image surprend et devient elle - même image: celle de Dieu que selon la tradition biblique, on ne peut ni nommer, ni représenter.

Notes
289.

Office de Justification de la Diffusion, 1997.