3.4.1.2. La médiation médiatique

Comme on l’a déjà indiqué dans le chapitre 2.4., les médias de masse jouent aujourd’hui un rôle de médiation sociale très important. Rappelons tout d’abord que les médias sont incontestablement des institutions, c’est-à-dire ’des instances de représentation, de cohésion et de régulation de l’organisation sociale’ 705 . Comme toute institution, les médias représentent l’appartenance sociale, ils en constituent une médiation symbolique. Au travers du discours qu’ils produisent, des représentations qu’ils construisent, de la façon dont ils font ’l’événement’, les médias génèrent une logique d’appartenance politique, idéologique, culturelle: ‘’le sens que les médias donnent à l’événement est précisément constitutif de l’appartenance dont les médias sont ainsi les témoins ou les porte-parole’ 706 . En premier lieu, il apparaît que les médias sont bien des instances de représentation, dans la mesure où, fondamentalement, leur raison d’être est de produire des discours et des images représentant l’ensemble des acteurs sociaux, ce qui permet à chacun de se représenter lui-même. A l’évidence, les médias sont également des instances de cohésion puisqu’ils instituent entre leurs lecteurs, auditeurs ou spectateurs, un lien social, politique et culturel, et aussi parce qu’ils considèrent, pour l’ensemble de la société, un vecteur légitime d’accès au réel. En dernier lieu, les médias semblent bien constituer des instances de régulation: d’une part, ils transmettent les principes et les normes qui règlent les relations sociales et qui fondent les conditions de l’appartenance sociale, et d’autre part ils structurent l’appartenance de leur public à une communauté singulière par l’intermédiaire de normes et de codes qui sont spécifiques à chaque média.

Une des fonctions essentielles de la médiation médiatique est évidemment de diffuser de l’information, c’est-à-dire de ’mettre en forme’, de mettre en scène le réel, de le mettre à la disposition du ’public’ par le canal de discours ou d’images. Il n’est évidemment pas question d’avoir une conception naïve de la façon dont les médias remplissent effectivement cette fonction – nous avons déjà longuement évoqué comment ils construisent ’l’événement’ et comment ils ’fabriquent l’opinion’ – mais il est incontestable que la ’mission’ des médias est a priori d’assurer une médiation entre le réel et l’ensemble de la collectivité. On peut considérer, à partir de là, que cette fonction informationnelle se décline en trois rôles qui s’interpénètrent, mais que l’on peut distinguer pour les besoins de l’analyse. Il y a évidemment un rôle didactique, puisque l’information diffusée par les médias permet aux acteurs sociaux d’accroître le champ de leurs connaissances; certains, comme Dominique Wolton, par exemple, vont jusqu’à en conclure que les médias de masse – et en particulier la télévision – sont le plus formidable outil de ’culture de masse’ de tous les temps. L’information joue également un rôle culturel, au sens anthropologique du terme: elle donne, en effet, du sens aux choses et, par là même, elle produit une représentation unifiée du réel, ce qui conduit à une unification des formes sociales d’appartenance, des normes, des codes qui constituent une culture. En troisième lieu, l’information joue un rôle politique indéniable dans la mesure où elle participe fortement à la construction du lien social, notamment en étant au coeur du processus d’homogénéisation culturelle707.

Cette information véhiculée par les médias de masse constitue une des médiations essentielles grâce auxquelles s’exprime l’appartenance sociale. On peut déterminer toujours pour les besoins de l’analyse, quatre catégories particulières de médiation informationnelle.

La première catégorie, celle que les médias mettent en oeuvre le plus fréquemment, est celle que Bernard Lamizet appelle ’l’information sur l’événement’ 708 . Celle-ci relève fondamentalement du récit, mais aussi nécessairement du commentaire, de la réflexion, de l’analyse. Il y a en même temps production de savoir sur un ’événement’ (quis ? quid ? quando ? comodo ? cur ?) et production d’opinion à propos de cet ’événement’. En rendant compte d’un ’événement’, en faisant accéder une partie du réel au statut ’d’événement’, les médias transforment cet ’événement’ en enjeu du débat public et c’est par là même qu’il acquiert une dimension de médiation à partir du moment où il est intériorisé par les acteurs sociaux sous la forme de l’opinion qu’ils se font, même si celle-ci est très largement déterminée par les médias eux-mêmes.

La seconde catégorie de médiation informationnelle relève de ’l’information documentaire’ 709 . Celle-ci n’a pas pour vocation de contribuer à la construction de l’opinion du public, mais de fournir une information à propos d’une référence. Elle n’est pas conçue pour être utilisée dans le champ de l’espace public, mais pour enrichir la compétence des individus dans le cadre d’un processus didactique. Cette information documentaire, a priori, ne présente aucun caractère stratégique, en ce sens qu’elle ne conduit pas à faire des choix ou à prendre des décisions. C’est une information qui renvoie à une certaine forme ’d’expertise’ de celui qui la possède. On pourrait prendre pour exemple l’information scientifique et technique, les ’documentaires’, les émissions’éducatives’ (sur La Cinquième), etc.

La troisième catégorie de médiation informationnelle peut se caractériser comme ’l’information critique’ 710. Il s’agit d’une information très fortement axée sur l’opinion de celui qui la transmet, celui-ci étant reconnu comme un expert, un ’leader d’opinion’ ou parfois un simple témoin ou acteur d’un ’événement’. Dans tous les cas, son statut de ’connaisseur’ conduit à considérer son discours comme légitime et ’autorisé’. ’L’information critique’ peut traiter trois thèmes différents: l’information politique (en ce cas, l’information critique’ va de pair avec l’information sur l’événement’ ou encore, elle se manifeste dans une forme journalistique spécifique comme l’éditorial, le billet, la chronique ou l’article explicitement doté du statut ’d’analyse’ ou de ’commentaire’; l’information sur les loisirs et la culture (critique de livres, de films, de spectacles, information critique sur l’actualité sportive, etc.) qui suscite souvent l’adhésion du lecteur ou du téléspectateur; ’l’information critique’, enfin, peut aborder ce que l’on appelle habituellement, les ’faits de société’ (’faits divers’, problèmes de l’éducation, des banlieues, affaires judiciaires, urbanisme, phénomènes sociaux comme le mariage, le PACS, le divorce, etc.), ceux-ci étant généralement considérés comme ne faisant pas partie de l’information politique et renvoyant donc à des analyses et à des opinions assez personnalisées.

Enfin, la quatrième forme de médiation informationnelle relève de ’l’information d’aide à la décision et au choix’ 711. En fait, cette catégorie est assez proche de ’l’information critique’ mais son objectif est un peu différent. Ce qui compte, en l’espèce, ce n’est pas tellement de donner l’opinion du média mais de permettre à l’individu de former sa propre opinion, afin qu’il puisse faire les choix adéquats et prendre les décisions pertinentes dans une situation donnée. Depuis une vingtaine d’années, compte tenu de la complexification incessante de la société, des bouleversements qu’elle a connus, de l’irruption des ’nouvelles technologies’, du développement de la communication elle-même, les médias occupent une place de plus en plus incontournable dans l’aide à la décision. Aujourd’hui, dans de nombreuses circonstances, l’information est devenue une condition ’sine qua non’ de la prise de décision, ce qui a contribué à donner de plus en plus d’importance aux médias. ’L’information d’aide à la décision et au choix’ peut prendre des formes diverses. Il peut s’agir, à la veille d’un scrutin politique, d’un éditorial en précisant les enjeux essentiels, d’un tableau récapitulant les principales propositions des différents candidats, ou d’un article évoquant les conséquences économiques, sociales ou politiques provoquées par l’élection de telle ou telle majorité. Il peut s’agir aussi des informations économiques et financières contenues dans les rubriques spécialisées des journaux et dans les journaux et magazines spécialisés qui permettent aux ’décideurs’ économiques et industriels ainsi qu’ aux ’boursicoteurs’ de faire des choix éclairés. Dans un domaine beaucoup plus proche du commun des mortels que le précédent, il est certain que les articles techniques des journaux, les ’bancs d’essai’, les ’conseils d’achat’, les innombrables revues spécialisées peuvent constituer, pour le citoyen lambda, une aide appréciable pour acheter une voiture, un magnétoscope, une machine à laver ou un ordinateur. Dans tous les cas, et quel que soit le niveau d’importance du choix envisagé, ’l’information d’aide à la décision et au choix’ renvoie au concept ’d’information stratégique’ 712 .

’En fait’, comme le souligne Bernard Lamizet, ‘’on peut faire correspondre les différents types d’information à un certain nombre de médiations: l’information événementielle renvoie à la médiation de l’opinion publique; l’information documentaire renvoie à la médiation du savoir; l’information critique renvoie à la médiation de l’expertise; l’information stratégique renvoie à la médiation de la décision et du faire. Ces quatre types de médiations liés à l’information constituent aujourd’hui, les missions essentielles des médias d’information: de ce que l’on est convenu d’appeler les médias de masse. Au-delà, se définissent les missions correspondantes des journalistes et des producteurs de l’information’ 713 .

Notes
705.

Ibid. P; 144.

706.

Ibid. p. 136.

707.

Nous continuons dans cette section à nous inspirer librement des travaux de Bernard Lamizet qui constituent à nos yeux un apport théorique précieux.

708.

Ibid. p. 158.

709.

Ibid. p. 158.

710.

Ibid. p. 158.

711.

Ibid. p. 159.

712.

Ibid. p. 159.

713.

Ibid. p. 159-160.