CONCLUSION GENERALE

Au terme de cette réflexion sur les mutations de l’espace public et sur la construction médiatique de ’l’opinion publique’ et avant de présenter quelques conclusions provisoires et quelques hypothèses que notre travail a fait naître, il nous semble indispensable de rappeler brièvement les principales étapes de la présente thèse afin de montrer clairement les différentes articulations de notre raisonnement.

Dans une première partie, consacrée aux fondements théoriques et institutionnels de l’espace public, nous nous sommes attaché à tracer un cadre théorique aussi précis que possible et à préciser un certain nombre de concepts sous-tendus par notre recherche. Nous avons donc, dans un premier chapitre, effectué un retour critique sur les analyses présentées par Jürgen Habermas dans ’L’espace public’, avant d’analyser dans ses grandes lignes le système politique français, puis de présenter les principales caractéristiques du dispositif médiatique actuellement en vigueur.

Nous avons donc, dans le premier chapitre, interrogé successivement les quatre concepts-clés étudiés par Habermas pour rendre compte de l’évolution de l’espace public: le principe de publicité, l’opinion publique, l’Etat-social et la ’subversion’ du principe de publicité. Puis, dans une seconde phase, nous avons essayé de montrer en quoi le modèle théorique imaginé par Habermas – qui reste une référence extrêmement féconde – apparaît à bien des égards comme contestable. Habermas lui-même a d’ailleurs procédé à une certaine ’autocritique’ dans laquelle il admet notamment l’existence d’un ’pluralisme d’intérêts irréconciliables’ dans le cadre de l’Etat-social. Et il convient en effet, pour ’refonder’ le concept d’espace public, d’accepter l’idée, comme le souligne Bernard Miège, ’que l’espace public est un espace pour le moins conflictuel’ 788, que nous considérons pour notre part comme fondé sur la lutte des classes, non pas dans un sens étroitement marxiste, mais dans la perspective adoptée par Pierre Bourdieu. Il est également nécessaire, comme l’a également montré Bernard Miège, de récuser toute ’théorie manipulatoire des médias de masse’ 789 et toute ’conception pessimiste et unilatérale de la consommation marchande’ 790. Nous avons ensuite examiné les rapports entre l’espace public et le champ politique, avant d’aborder, à partir d’une critique des thèses d’Habermas sur la ’reféodalisation’ de la société, le problème des relations entre espace public et espace privé.

Dans le second chapitre de la première partie, nous avons été amené, pour tracer le cadre dans lequel, ’hic et nunc’, on peut penser l’espace public, à étudier plus précisément la structure du système politique français, aussi bien d’un point de vue constitutionnel et administratif que du point de vue du ’théâtre politique’ ou des rapports qu’entretient ce dernier avec la société civile. Pour ce faire, nous avons tout d’abord évoqué l’Etat-providence à la française, puis le système institutionnel de la Vème République, avant d’aborder une question qui nous semble essentielle, celle de la tradition jacobine qui pèse encore fortement sur le fonctionnement de l’Etat et des collectivités territoriales, malgré une certaine volonté de décentralisation qui s’est affirmée depuis 1982. A propos de ce dernier point, nous avons montré que la décentralisation, issue des lois de 1982, était pour le moins inachevée 791, ne serait-ce que parce que l’Administration a conservé un pouvoir très important, et nous avons essayé de mettre en évidence la façon dont ce poids de l’Administration et de l’Etat nourrit l’offensive néo-libérale dont les maîtres-mots sont privatisation et déréglementation. Nous avons enfin indiqué les principales caractéristiques structurelles du paysage politique français, avant de voir comment s’articulent le politique et le social, le ’théâtre politique’ étant en même temps une représentation du social et un système spécifique doté d’une relative autonomie.

Dans le troisième chapitre de la première partie, nous avons procédé à une approche théorique générale du dispositif médiatique actuellement en vigueur, en étudiant d’abord les médias comme réalité économique, avant de détailler les principales caractéristiques du champ médiatique, le mythe de la ’société de communication’ et enfin ce que Pierre Bourdieu appelle ’l’emprise du journalisme’. Pour souligner l’importance extrême des déterminations économiques sur les médias de masse, nous avons donc, dans un premier temps, examiné quatre problèmes qui nous semblent fondamentaux: le ’fétichisme’ médiatique, les fait que les médias constituent une marchandise (presque) comme les autres, l’évolution néo-libérale depuis le début des années 1980. Dans un second temps, nous avons essayé de décrire à grands traits l’empire des médias, puis d’analyser la dictature de ’l’audimat’ et le marketing généralisé avant de montrer que la concurrence acharnée qui régit le champ médiatique ne se traduit pas du tout par une diversification, mais par une uniformisation de l’offre. Dans un troisième temps, pour mettre en lumière la mythologie de la ’société de l’information’ et le caractère ’incontournable’ des médias, nous avons tout d’abord étudié les supports du mythe que sont les différents discours qui, à l’instar des écrits de Mac Luhan, exaltent le ’village global’ et la communication planétaire, puis nous avons rappelé quelles sont les promesses du mythe (abondance, diversité, démocratie, liberté, autonomie et interactivité, mondialisation, abolition de l’espace et du temps). Nous avons enfin montré comment la communication est mise en scène par les médias et de plus en plus considérée comme une valeur centrale de notre civilisation. Dans un quatrième et dernier temps de ce troisième chapitre, nous nous sommes inspiré des travaux de Pierre Bourdieu sur ’l’emprise du journalisme’ – même si leurs conclusions sont à certains égards excessives, voire caricaturales – en rappelant tout d’abord les spécificités du champ journalistique, puis en insistant sur la domination de la télévision, et enfin, en tentant d’évaluer les conséquences de ’l’emprise du journalisme’ sur les autres champs sociaux.

Dans la seconde partie de la présente thèse, consacrée à la logique du ’public’ ou encore à la privatisation de l’espace public, nous avons essayé de confirmer l’hypothèse selon laquelle l’évolution récente de l’espace public (c’est-à-dire dans les trente ou quarante dernières années) serait caractérisé non pas par la ’perversion du principe de publicité’ mise en avant par Habermas, mais par une tendance au dépérissement de l’espace public comme espace symbolique spécifique, par une impossibilité de plus en plus nette de tracer une frontière étanche entre espace public et espace privé, par une espèce de substitution des médias de masse aux médiations sociales traditionnelles, dans le cadre d’une logique du spectacle qui produit sa propre vérité. Pour tenter de valider cette première hypothèse, nous avons abordé quatre questions majeures: l’emprise de la communication sur l’espace public, la loi du spectacle, l’omniprésence de l’émotion dans les médias, l’interpénétration entre sphère privée et sphère publique.

Dans le sous-chapitre consacré à l’emprise de la communication sur l’espace public, nous avons, pour démontrer que la communication de masse ’surdétermine’ l’espace public, développé trois idées: nous avons d’abord souligné l’extraordinaire ampleur des flux communicationnels auxquels nous sommes tous peu ou prou soumis et dont nous ne sommes pas nécessairement conscients, tant nous y sommes immergés. Nous avons ensuite fait état de différentes analyses globales de la télévision – qui est à l’évidence le média dominant – depuis la vision ’idyllique’ d’un Dominique Wolton, jusqu’au point de vue ultra radical, et pourtant complètement caricatural (et bien que scientifique) de Karl Popper qui considère que la télévision est un ’danger pour la démocratie’ 792, en passant par les analyses du courant critique issu de l’école de Francfort. Enfin, nous avons essayé de mettre en évidence le fait que ’l’influence’ des médias de masse sur les individus semble bien inversement proportionnelle au niveau du capital économique et culturel de ceux-ci.

Dans le sous-chapitre suivant, qui traite de la ’loi du spectacle’, nous avons, dans un premier temps, évoqué le ’pouvoir’ de l’image, son caractère ’fétichiste’, l’enjeu idéologique et économique qu’elle constitue de plus en plus avant de nous demander si la logique du ’public’ n’est pas contradictoire avec celle de l’espace public. Pour traiter ce dernier point, nous avons essayé de mettre en évidence le poids du marketing dans les médiations sociales de tous ordres, puis nous avons abordé ce que l’on appelle ’l’information-spectacle’. Enfin, nous nous sommes attardé sur le point de savoir si la notion de ’public’ fait très bon ménage avec celle de citoyenneté, étant entendu qu’à nos yeux, la citoyenneté ne peut se réduire au ’suffrage universel’ et renvoie plutôt à une participation effective au débat public et à une prise de responsabilités sociales et politiques.

Dans le troisième chapitre de la seconde partie, consacré à la dimension très fortement émotionnelle des médias, nous avons tout d’abord examiné, d’un point de vue théorique, l’émotion et sa rhétorique avant d’étudier d’une façon plus empirique deux ’affaires’ qui ont défrayé la chronique: celle du sang contaminé et celle du naufrage de ’l’Erika’ à la fin de l’année 1999.

Dans le sous-chapitre dédié à l’émotion, à sa production et à ses objectifs, nous avons d’abord cherché à définir ce concept aussi précisément que possible: l’émotion serait donc une crise affective, un désordre de la conduite intense mais passager, provoqué soit par des situations ’universellement’ choquantes, soit par une impossibilité de s’adapter rapidement à une réalité donnée; et, pour Jean-Paul Sartre, qui développe un point de vue original à cet égard, l’émotion ne serait pas quelque chose de subi, de passif, mais le produit d’une intentionnalité, une ’conduite magique’ visant à modifier – symboliquement – la réalité. Nous avons également montré que, au-delà des situations émouvantes auxquelles nous pouvons être confrontés, l’émotion est généralement le produit d’une rhétorique textuelle et/ou iconique dont nous avons rappelé les principes essentiels. Puis nous avons engagé une réflexion sur les rapports entre l’émotion et la raison, ce qui nous a conduit à considérer que si certaines émotions peuvent permettre à l’homme de se transcender, d’écrire l’histoire – sous réserve qu’elles se transforment en projets – les émotions ’brutes’, sans ambition et sans projet, qui n’ont d’autre objet que l’émotion elle-même, ne favorisent pas l’action et fabriquent de la bonne conscience. C’est bien pourtant cette émotion-là qui se situe de plus en plus au coeur de la rhétorique médiatique.

Dans le sous-chapitre consacré à une analyse empirique des deux ’affaires’ dont le choix s’est imposé à nous tant elles ont fait couler d’encre, nous nous sommes attaché à valider l’hypothèse selon laquelle l’information est très fortement déterminée par l’émotion susceptible d’être produite, que ce soit en termes de choix des sujets ou de façon de les aborder. L’étude de ’l’affaire’ du sang contaminé nous a permis de mettre en évidence quatre caractéristiques essentielles. D’abord, la situation était spontanément émouvante: le sang qui contamine au lieu de sauver, les morts, le sentiment que des victimes ont été sciemment sacrifiées en raison de considérations financières, tout cela ne pouvait évidemment que provoquer indignation, colère, désir de vengeance, etc. En second lieu, cette ’affaire’ avait naturellement un rapport direct avec la sexualité, dont on sait l’importance extrême qu’elle revêt dans l’inconscient humain. En troisième lieu, les victimes apparaissaient comme des ’innocents absolus’ – souvent des enfants ou des adolescents – qui n’avaient été contaminés ni par voie sexuelle ni en s’injectant de la drogue. Enfin – et ce n’est pas le moins important – ’l’affaire’ du sang contaminé a pu facilement être transformée en ’affaire d’Etat’ dans la mesure où, en France, la santé publique en général et la transfusion sanguine en particulier relèvent de l’Etat, lequel est spontanément considéré comme responsable, voire coupable, lorsqu’un drame survient. Pour ce qui est de la ’marée noire de l’Erika’, elle nous a permis de mettre en évidence quatre catégories constitutives de la production médiatique de l’émotion: la construction dramatique, tout à fait comparable à celle des ’films catastrophes’; le choix des ’événements’ en fonction de leur capacité à engendrer de l’émotion; le ’déferlement médiatique’ qui consiste à maximiser l’émotion par une suraccumulation d’images, de commentaires, d’articles, de reportages, etc.; enfin, la mise en cause quasiment systématique des pouvoirs publics que noua avons déjà évoquée à propos de ’l’affaire du sang contaminé’.

Dans le quatrième et dernier chapitre de la seconde partie, nous avons axé notre travail sur l’interpénétration entre l’espace privé et l’espace public en étudiant tour à tour trois questions importantes: la médiatisation de la sphère privée dans la presse écrite, la ’télévision de l’intimité’, la communication ’compassionnelle’ et l’évolution de l’espace public.

Dans le sous-chapitre portant sur la médiatisation de la sphère privée dans la presse écrite, nous avons d’abord analysé empiriquement ce phénomène dans le journal ’Libération’ qui constitue selon nous un exemple assez significatif, avant de nous intéresser à la presse périodique qui accorde une place toute particulière à la sphère privée. Nous avons ainsi montré que, pour reprendre la formule de Pierre Albert, ’les ’gens’ sont apparemment devenus aussi intéressants que les faits et c’est par ce biais du vécu que désormais sont analysés les problèmes du monde’ 793. Et même les journaux et périodiques qui ont une fonction d’information générale dans le cadre de l’espace public semblent de plus en plus nettement déterminés par une sorte de subjectivisme qui fait de l’individu l’alpha et l’oméga de toute chose.

Dans le sous-chapitre traitant de la ’télévision de l’intimité’, nous avons, à partir des travaux de Dominique Mehl et de nos propres observations empiriques, essayé de montrer comment, dans un certain nombre d’émissions, la télévision met en scène ‘le vécu des citoyens anonymes (...) la parole de personnes ordinaires’’ 794, et comment de nombreux magazines, reportages ou documentaires plus ’classiques’ ’valorisent le discours intimiste et le témoignage profane’ 795. Pour ce faire, nous avons d’abord décrit l’installation d’un nouveau genre télévisuel, entre le début et le milieu des années 1990, avant d’en détailler les formes actuelles et d’en présenter les principales caractéristiques.

Enfin, dans le sous-chapitre consacré à la communication ’compassionnelle’ et à l’évolution de l’espace public, nous avons essayé de mesurer les conséquences sur le fonctionnement de l’espace de cette compassion médiatique. Nous avons donc en premier lieu tenté de montrer que les médias s’intéressent de plus en plus à la ’misère du monde’, non pas dans sa dimension ’publique’ (sociale ou politique) mais dans sa dimension individuelle, privée, et que la communication ’compassionnelle’ se focalise sur des drames personnels, sur des malheurs particuliers qui sont mis en scène de façon totalement affective. En second lieu, nous nous sommes demandé si la survalorisation du témoignage privé, la logique ’compassionnelle’, l’insistance sur l’individu ne risquait pas de conduire à un effacement progressif de l’espace public et nous avons conclu sur ce point que, même si l’évolution en cours n’est ni mécanique, ni linéaire, ni irréversible, nous sommes en face d’un mouvement de fond qui tend à réunir dans une même sphère indifférenciée l’espace privé et l’espace public, celui-ci ne conservant son opérativité spécifique que dans des lieux affaiblis ou en voie d’affaiblissement et ne concernant finalement qu’une ’élite’ intellectuelle et sociale. Et dans un dernier temps, nous avons essayé de voir en quoi les médias tendent à se substituer aux médiations sociales ’traditionnelles’. En effet, il apparaît que l’émergence du privé sur la scène publique, la survalorisation de l’individu, la ’télévision de l’intimité’, tout cela conduit à faire des médias une référence incontournable, à leur donner un rôle social de plus en plus important en termes de médiation et de représentation.

La troisième et dernière partie de la présente thèse était consacrée à la construction médiatique de l’opinion publique ou à la ’publicisation’ des opinions, à partir de l’hypothèse selon laquelle l’espace public serait aujourd’hui presque totalement déterminé par la notion ’d’opinion publique’, celle-ci n’ayant évidemment que des rapports extrêmement lointains avec l’opinion publique définie par Habermas comme ‘l’opinion d’un public qui fait usage de sa raison [qui] n’est plus simple opinion, [qui] ne résulte pas d’une simple inclination, mais de la réflexion en privé et de la discussion publique sur des affaires d’intérêt général’’ 796. Pour valider cette hypothèse, nous avons examiné successivement quatre questions: l’opinion publique avant les sondages; les sondages d’opinion ou la ’transsubstantiation’ de l’opinion publique; la construction médiatique des représentations sociales; les rapports conflictuels ente médias et politique.

Dans un premier chapitre, nous avons donc évoqué la genèse de la notion ’d’opinion publique’ à partir de six questions centrales: l’archéologie de l’opinion publique; l’opinion publique ’classique’; l’opinion publique à l’heure de la démocratie de masse; l’opinion publique comme réalité politique en France à partir du milieu du XVIIIème siècle; la pensée d’un précurseur méconnu, Gabriel Tarde; enfin, l’opinion publique comme réalité sociale incontournable mais insaisissable.

Dans le sous-chapitre portant sur l’archéologie de l’opinion publique, nous avons indiqué que la notion ’d’opinion publique’, apparue à la fin du XVIème siècle, désignant d’abord les jugements d’un groupe social restreint à propos d’affaires privées; elle était considérée comme un outil de contrôle social fondé sur la tradition, les préjugés, la moralité publique, etc., cette conception ayant survécu dans la littérature du XIXème siècle.

Dans le second sous-chapitre, nous avons abordé l’acception ’classique’ de ’l’opinion publique’, celle-ci commençant à être définie, à partir des années 1750 comme le produit d’une critique rationnelle des affaires publiques. Nous avons notamment montré que cette notion ’d’opinion publique’ a été utilisée par les élites intellectuelles de la seconde moitié du XIXème siècle pour ’torpiller’ le pouvoir royal et pour dissimuler leurs intérêts de classe derrière l’intérêt général et le ’tribunal de la raison’. Puis, nous avons évoqué la complexité du problème posé par la notion ’d’opinion publique’ à la philosophie politique depuis la Révolution française, puisqu’il existe à l’évidence une dichotomie entre ’l’opinion publique’ comme expression éclairée du peuple souverain, et les passions, les préjugés, l’ignorance du peuple réel, cette contradiction ayant été réglée par la théorie du ’gouvernement représentatif’ élaboré par Sieyès.

Dans un troisième sous-chapitre, nous avons essayé de montrer que dans le cadre de la démocratie de masse et jusqu’à l’apparition des sondages d’opinion, il est devenu presque impossible de différencier opinion publique et opinion commune. En réalité, ’l’opinion publique’ se présente, pour reprendre la formule de Patrick Champagne, comme ’une figure politiquement instable’, une ’croyance socialement fondée’ et ’un objet scientifiquement insaisissable’ 797 . L’opinion publique est ’politiquement instable’ car deux modèles concurrents coexistent dans la philosophie politique moderne, l’un fondé sur l’idée d’un public éclairé discutant rationnellement des questions politiques, l’autre qui met l’accent sur l’irrationalité, l’incompétence et le manque d’information du peuple (et donc sur la possibilité de manipuler par la propagande). ’L’opinion publique’, en second lieu, apparaît comme ’une croyance socialement fondée’, dans la mesure où on constate, au début du XXème siècle, notamment aux Etats-Unis, de nouvelles pratiques politiques s’appuyant sur deux idées force: d’une part, que l’opinion publique constitue une force incontestable et d’autre part, que cette force peut être utilisée au profit de tel ou tel, d’où le développement de la publicité politique, de la propagande, de l’usage de ’nouveaux’ médias. Enfin, ’l’opinion publique’ est un ’objet scientifiquement insaisissable’, en ce sens que les sciences sociales naissantes comme la philosophie politique s’avèrent incapables d’en donner une définition précise, rigoureuse et incontestée.

Dans le quatrième sous-chapitre, nous nous sommes intéressé à l’opinion publique considérée comme une réalité politique en France. En effet, à partir de 1745, on retrouve les traces d’un certain nombre de pratiques gouvernementales visant à connaître l’opinion et l’état d’esprit du peuple. Mais ces techniques de renseignements sont mises en oeuvre en secret et ceux-ci ne sont jamais rendus publics. Et ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle, avec l’affaire Dreyfus, que l’opinion publique devient un élément fondamental du débat public, invoqué et ’travaillé’ par tous ceux qui interviennent dans le champ politique.

Dans le cinquième sous-chapitre, nous avons donné un aperçu de la pensée novatrice de Gabriel Tarde, étrangement méconnu malgré son apport conséquent à la réflexion sur l’opinion des masses. C’est en effet Gabriel Tarde qui, le premier, a mis en évidence une corrélation entre l’apparition des ’publics’, le développement du journalisme populaire et l’émergence d’une nouvelle ’opinion publique’. Tarde prête à la presse un rôle décisif, quoi qu’indirect, dans la formation de l’opinion publique et il montre qu’en fin de compte, c’est bien la quantité, le nombre, et non pas la raison, qui constituent la ’vérité’ de l’opinion publique.

Enfin, nous avons essayé de montrer, dans le sixième sous-chapitre, que, jusqu’à la généralisation des sondages, l’opinion publique, pendant la première moitié du XXème siècle, était une ’réalité sociale insaisissable’. En effet, le développement de la presse de masse, l’autonomisation du champ journalistique par rapport aux champs politique et littéraire, le droit d’association politique et syndicale, le développement des manifestations de rue, tout cela a contribué à ce que ’l’opinion publique’ devienne le fait d’un nombre d’agents de plus en plus grand et, par conséquent, ‘la résultante incertaine d’un ensemble d’actions difficiles à maîtriser par un seul agent, fût-ce le pouvoir politique lui-même’ 798. Et la définition socialement dominante de ’l’opinion publique’ à la fin des années 1950 renvoyait essentiellement aux ’groupes de pression’ et aux stratégies mises en oeuvre pour construire des mouvements d’opinion afin de faire pression sur le pouvoir politique.

Le second chapitre de la troisième partie de la présente thèse porte sur les sondages d’opinion ou sur la ’transsubstantiation’ de l’opinion. Il est articulé autour de quatre points essentiels: les principes ’scientifiques’ des sondages d’opinion; les critiques techniques que l’on peut formuler; la critique épistémologique de fond que l’on doit leur opposer; enfin, une analyse empirique de deux sondages qui nous semblent exemplaires.

Dans le premier sous-chapitre, nous avons donc brièvement rappelé la genèse des sondages d’opinion aux Etats-Unis (’votes de paille’ d’un côté et études de marché de l’autre) avant de présenter les grandes lignes des différentes méthodes pouvant être mises en oeuvre et de donner quelques indications sommaires à propos des conditions politiques et sociales dans lesquelles s’est effectuée la lente implantation des sondages d’opinion en France. En effet, on constate jusqu’à la fin des années 1950, une coupure quasi totale entre la technique des sondages d’opinion et les sciences politiques, et d’autre part une indifférence flagrante de la presse et de la classe politique.

Dans le second sous-chapitre, nous nous sommes attaché à un examen critique des différentes méthodes et techniques mises en oeuvre pour réaliser des sondages d’opinion. Il nous apparaît en effet que, même si ce n’est sans doute pas sur le plan technique que les sondages sont le plus critiquables, l’image de scientificité et de perfection technique dont bénéficient les sondages d’opinion est en partie usurpée. On peut par exemple mettre en cause la méthode des ’quotas’ que les instituts de sondages français sont parmi les derniers à utiliser. On peut également s’interroger sur les différents biais possibles lors de l’élaboration et de la réalisation d’une enquête. On peut enfin souligner les effets pervers de certains procédé de ’redressement’ utilisés depuis quelques années pour optimiser les prévisions.

Dans le troisième sous-chapitre, nous avons entrepris, notamment à partir des travaux de Pierre Bourdieu, une critique épistémologique radicale des sondages d’opinion, critique qui s’impose à partir du moment où les sondages sont considérés non pas comme des instruments de mesure des opinions individuelles, mais comme des moyens de connaître ’l’opinion publique’. Nous avons donc repris, dans un premier temps, l’argumentation qui conduisait Pierre Bourdieu à conclure, en 1972, que ’l’opinion publique n’existe pas’: d’une part, tout le monde n’est pas en mesure de formuler une opinion sur tout; d’autre part, toutes les opinions n’ont pas la même force sociale réelle; enfin les ’questions qui méritent d’être posées’ ne procèdent pas d’un consensus social mais d’une demande particulière (gouvernement, partis politiques, médias). Puis, dans un second temps, nous avons essayé de décrire le processus de ’mythologisation’ par lequel la conception de ’l’opinion publique’ construite par les sondages d’opinion a pu s’imposer aussi profondément; nous nous sommes enfin demandé si aujourd’hui, 40 ans après la généralisation des sondages en France, il est toujours possible de soutenir, dans la pratique, que ’l’opinion publique n’existe pas’; et force est de reconnaître, quelle que soit la force théorique des arguments de Pierre Bourdieu, que ‘’l’opinion publique sondagière s’est (...) rallié la science, la démocratie et la réalité. Elle s’identifie désormais à l’opinion publique’ 799. ’

Nous avons enfin, dans le quatrième sous-chapitre, analysé en détail deux sondages d’opinion politiques qui nous paraissent exemplaires des pratiques médiatiques actuelles: le premier commandité et publié par ’Libération’, le 16 Septembre 1996, à propos du thème: ’Comment les Français jugent le Front National’; le second, réalisé à la demande du ’Progrès’ et publié par ce quotidien régional le 21 Juin 2000 dans la perspective des élections municipales de Mars 2001 à Lyon. Dans les deux cas, nous avons pu mettre en évidence un certain nombre de biais techniques et épistémologiques et nous avons pu montrer en quoi l’utilisation des sondages par les médias relèvent de ’l’information spectacle’ et de la construction de ’l’événement’.

C’est justement à la construction médiatique des représentations sociales que nous avons consacré le troisième chapitre de la troisième partie, articulé d’une part autour d’une réflexion théorique sur ce thème, et d’autre part autour d’une analyse empirique de la façon dont les médias traitent le ’malaise des banlieues’. Dans le premier sous-chapitre, nous sommes donc tout d’abord revenu sur une critique radicale de la notion ’d’événement’, avant d’exposer les thèses d’Elisabeth Noëlle-Neumann à propos de la ’spirale du silence’ et d’essayer de comprendre comment on passe de ’l’événement’, par nature ponctuel, contingent, aux représentations sociales qui, elles, s’inscrivent dans la durée. Nous avons évoqué, à ce propos, un certain nombre de thèmes privilégiés par les médias pour montrer à quel point l’espace public risque d’être ’surdéterminé’ par les représentations médiatiques: les ’affaires politico-judiciaires’, ’l’économisme’, le ’problème’ de l’immigration et des immigrés. Puis, dans le second sous-chapitre, nous avons étudié la façon dont la banlieue est ’mise au ban’, puis à partir d’une étude, fondée sur une expérience de ’terrain’, sur les ’événements de Vaulx-en-Velin’, et enfin, en essayant de mettre en évidence le caractère performatif des représentations médiatiques.

Nous avons enfin abordé, dans un ultime chapitre, les relations conflictuelles entre médias et politique, en examinant successivement trois questions: tout d’abord, celle des rapports de concurrence entre médiation politique et médiation médiatique; ensuite, celle de l’influence des médias sur la politique; enfin, celle de la substitution progressive de l’agora cathodique au débat politique.

Dans un premier sous-chapitre, nous avons donc essayé de mieux cerner la contradiction entre médiation politique et médiation médiatique, en donnant une définition rigoureuse des deux concepts et en montrant comment, compte tenu de la crise générale qui affecte le politique, la médiation médiatique tend de plus en plus à se substituer à la médiation politique. Dans un second sous-chapitre, nous avons rappelé comment s’exerce ’l’emprise du journalisme’ sur le champ politique, avant de tenter de rendre compte des ’redéfinitions’ actuellement en cours en matière d’information politique, ainsi que des profonds changements de l’expression politique contemporaine dûs à l’importance de plus en plus grande des médias dans l’espace public. Enfin, nous avons évoqué, dans un troisième sous-chapitre, l’évolution des émissions politiques à la télévision depuis les années 1960: nous avons, à ce propos, essayé de montrer qu’après une phase (entre 1960 et 1981) où les émissions politiques ont constitué un lieu privilégié de débat public, les années 1980-1993 ont été celles de l’apogée du spectaculaire et que nous sommes entrés, depuis le milieu des années 1990, dans une période où le triomphe de l’agora cathodique tend à marginaliser le politique.

Après cette rapide synthèse de notre recherche, il nous semble utile de formuler quelques observations à propos de notre travail et de ses résultats. Il convient tout d’abord d’opérer un retour sur nos hypothèses afin d’apprécier leur pertinence. Notre première hypothèse posait que la mutation actuelle de l’espace public n’est pas caractérisée par une ’subversion du principe de publicité’ comme l’affirme Habermas, mais par une difficulté croissante de cet espace symbolique à exister de façon spécifique et autonome. L’emprise de la communication de masse d’une part, la tendance des médias de masse à se substituer aux médiations sociales traditionnelles d’autre part, conduiraient à la construction d’une espèce de lieu symbolique unique où viendraient se confondre espace privé et espace public. Cette première hypothèse, que nous avions formulée assez grossièrement à l’origine de la présente thèse, nous semble aujourd’hui validée dans son principe, même si nous avons été conduit à l’affiner, à la retravailler et à la relativiser, notamment en montrant que cette tendance lourde se heurte à un certain nombre de résistances et que son impact est probablement inversement proportionnel au capital économique et culturel dont disposent les individus. Nous avons été également amené à envisager en cours de route des perspectives qui ne nous étaient pas apparues clairement à l’origine. C’est ainsi que toute notre réflexion sur le rôle essentiel de l’émotion a pris sa source au sein de l’équipe de recherche ’Médias et identité’, dirigée par Jean-François Tétu, qui travaille depuis quelque temps sur ce thème. Nous sommes donc aujourd’hui convaincu que l’espace public tend à être ’surdéterminé’ par les flux communicationnels de masse auxquels nous sommes tous soumis; nous considérons également que la ’loi du spectacle’ constitue le moteur essentiel des médias et que l’émotionnel est aujourd’hui, devenu un ressort prioritaire de la rhétorique médiatique; il nous apparaît enfin clairement que l’interpénétration entre espace public et espace privé est bien une donnée fondamentale des mutations en cours.

Notre seconde hypothèse, symétrique à la première en ce sens qu’elle portait non plus sur la ’privatisation’ de l’espace public, mais sur la ’publicisation’ des opinions, soutenait que l’espace public est également fortement déterminée par ’l’opinion publique’, cette notion ayant acquis, depuis la généralisation des sondages d’opinion en France, à partir du début des années 1960, une légitimité sociale incontournable. Cette seconde hypothèse nous semble également validée, étant entendu là encore qu’il faut se garder de toute vision caricaturale et que la prégnance de ’l’opinion publique’, si elle constitue bien, à nos yeux, un phénomène de fond, est sans doute contrecarrée par un certain nombre de facteurs qu’il ne faut pas négliger, comme le capital économique et culturel, l’engagement, l’existence d’espaces ’quasi publics’ (partis, syndicats, associations, équipes de recherche en sciences sociales, etc.), le maintien d’une presse fondée sur les idées et non sur l’audience, etc. Pour autant – et tout en relativisant nos analyses – il nous apparaît qu’en effet les médias jouent un rôle décisif dans l’espace public en construisant des représentations qui s’imposent à nous, notamment par l’usage immodéré des sondages d’opinion, mais aussi en fabriquant ’l’événement’ et en mettant en oeuvre une fonction ’d’agenda setting’ généralisée. En somme, si les médias ne nous disent pas précisément ce qu’il faut penser, ils tracent en tout cas le cadre de ce à quoi il faut penser et de ce qui est pensable. Autrement dit, ils ne cessent de produire des normes de l’appartenance sociale qui, compte tenu de la légitimité que leur donne le fait de s’exprimer au nom de ’l’opinion publique’, concurrencent fortement la médiation politique et tendent à la marginaliser.

Nous souhaitons préciser, en second lieu, qu’il n’est absolument pas dans notre propos de diaboliser les médias et moins encore les journalistes. Pour avoir exercé cette activité pendant quelques années, nous savons bien ce qu’elle peut avoir de difficile, d’ingrat et de contraint. Sauf dans quelques cas emblématiques de ces ’journalistes vedettes’ qui ne s’encombrent pas de déontologie, la plupart des journalistes font leur travail consciencieusement, dans des conditions souvent difficiles, et ils sont peu ou prou tenus de respecter les consignes de leur hiérarchie et les impératifs commerciaux. Il nous paraît clair que les journalistes, malgré qu’ils en aient, se trouvent soumis à la logique du système médiatique essentiellement fondée, aujourd’hui, sur des considérations économiques. C’est cette logique structurelle que nous avons essayé d’analyser, de manière sans doute trop sommaire, mais aussi avec la volonté de faire oeuvre utile – à notre modeste niveau – pour lutter contre ce qui nous apparaît comme un risque de dépérissement du débat démocratique. En d’autres termes, nous considérons que les médias – et avec eux les journalistes et tous ceux qui oeuvrent dans le champ médiatique – sont en très grande partie déterminés par la logique libérale, y compris les chaînes de télévision de service public (à l’exception de la Cinquième et d’Arte), dans la mesure où l’audience est bien le critère unique de la réussite. Or cette réalité nous semble largement antinomique avec la place essentielle qu’occupent les médias de masse dans l’espace public et avec le rôle décisif qu’ils jouent de plus en plus en termes de médiation sociale, en ce sens qu’elle provoque de profondes modifications dans les fonctions sociales des médias. Nous nous trouvons donc face à un paradoxe dangereux pour la citoyenneté, c’est que plus les médias deviennent ’incontournables’ et moins ils se situent dans le cadre d’un débat public contradictoire visant à éclairer les citoyens et à créer les conditions d’un nouvel espace public de masse. Tout au contraire, les médias, sous l’emprise du libéralisme, instituent une ’marchandisation’ de l’information et de la communication de masse, alors que celles-ci devraient, à nos yeux, être libérées des impératifs de rentabilité. Car si l’on admet, comme c’est notre cas, que l’information et la communication sont aujourd’hui – compte tenu des bouleversements scientifiques et techniques, de la mondialisation, de la complexification croissante des problèmes, etc. – un des droits de l’homme les plus essentiels, y compris pour pouvoir lutter en faveur du respect de tous les droits de l’homme partout, alors il faut considérer que les médias de masse constituent une forme de service public.

Il ne s’agit évidemment pas de nationaliser l’ensemble de la presse et des radios, ni même de renationaliser TF1 ou de ramener Canal Plus et M6 dans le giron de France Télévision. Il n’est, selon nous, ni possible, ni souhaitable, de revenir à une situation de monopole de service public qui comportait d’ailleurs de nombreux inconvénients. Ce serait tout à fait absurde et, de toute façon, la presse écrite a toujours été (dans la période moderne) ’libre’. Mais, à tout le moins, l’Etat devrait développer considérablement le système des aides à la presse, limiter le recours à la publicité, revoir les ’cahiers des charges’ des chaînes de télévision et les faire respecter, mettre en place une commission d’évaluation et de prospective composée d’universitaires, de parlementaires et d’usagers afin de formuler des propositions, renforcer les pouvoirs du C.S.A. Les journalistes, de leur côté, pourraient utilement travailler à la rédaction d’une charte déontologique dont le non-respect pourrait être sanctionné par une espèce de ’conseil de l’ordre’, etc. Nous n’avons pas l’outrecuidance de considérer ces quelques pistes comme un programme; peut-être peuvent-elles néanmoins contribuer à ouvrir un débat qui nous semble indispensable et urgent.

Nous voudrions encore souligner, toujours pour relativiser notre propos, que la présente thèse qui nous a énormément enrichi sur le plan intellectuel, nous a notamment fait prendre conscience d’une dimension fondamentale de la recherche en sciences sociales, et particulièrement dans les sciences de l’information et de la communication: la nécessité impérieuse d’apprendre à penser le complexe, à appréhender les phénomènes sociaux dans leurs mouvements, dans leurs contradictions, dans leur dimension interdisciplinaire. Tout ce qui touche à l’histoire des hommes en train de se faire, que ce soit l’histoire individuelle ou l’histoire sociale, semble difficilement réductible à ce que les discours – fussent-ils savants – peuvent en dire et en tout cas l’analyse scientifique, même lorsqu’elle prétend repérer des tendances lourdes ou des lignes de force, doit se garder de toute simplification abusive, de tout dogmatisme. Peut-être n’avons-nous pas tout à fait échappé à ce travers, mais nous restons conscient, in fine, de la modicité de notre apport et des limites de notre recherche. Nous avons au moins appris que la modestie n’était pas nécessairement contradictoire avec les convictions. Par ailleurs, nous avons eu la confirmation d’un aspect essentiel des sciences de l’information et de la communication – que nous avions déjà pressenti dans nos précédents travaux – c’est que cette discipline a de particulier qu’elle apparaît bien comme une ’interdiscipline’ dans la mesure où elle a partie liée avec toutes les autres sciences sociales: histoire, psychologie, philosophie, sociologie, sciences politiques, économie, sémiotique, sciences du langage, etc. Mais elle ne se contente pas de faire appel, en tant que de besoins, aux concepts élaborés par ces autres disciplines. Elle se doit, et c’est ce qui fonde sa spécificité épistémologique, de construire ses propres concepts, sa propre démarche, sa propre intentionnalité scientifique. Nous avons essayé de nous inscrire dans cette démarche qui allie ‘l’interdiscipline de préférence au repliement sur les disciplines’ et ’l’affirmation nécessaire des spécificités des sciences de l’information et de la communication’ 800.’

Au moment de mettre un point final à cette thèse à laquelle nous avons consacré l’essentiel de notre énergie depuis cinq années, nous souhaitons indiquer brièvement les grands axes de nos recherches à venir, dans le cadre de l’équipe ’Médias et identité’ dirigée par Jean-François Tétu. Nous souhaitons dans un premier temps, développer une recherche complémentaire à celle de la présente thèse en posant l’hypothèse, à partir des travaux de Louis Althusser sur la reproduction 801, que le dispositif médiatique, considéré globalement, constitue un ’appareil idéologique d’Etat’ qui contribue objectivement à la reproduction incessante du système libéral et de la domination de la ’bourgeoisie’. Nous comptons, en second lieu, développer et prolonger nos réflexions sur la dimension émotionnelle des médias, à partir des analyses que nous avons développées dans le troisième chapitre de la seconde partie. En troisième lieu, nous avons l’intention de mener des travaux sur l’évolution de la communication politique, notamment en étudiant la série d’élections à venir: municipales en 2001, législatives et présidentielles en 2002. Ensuite, nous serions intéressé par une réflexion sur la communication publique locale, à partir d’une étude empirique sur la communication d’une grande ville. Nous espérons enfin pouvoir poursuivre notre interrogation générale sur les mutations de l’espace public, notamment à partir des questionnements proposés par Bernard Miège tels que: ‘’l’inégalité de participation à l’espace public n’est-elle pas en train de s’accroître, entre ceux qui ne disposent que de la télévision de masse et ceux – une minorité de dirigeants et de médiateurs – qui sont sur-informés et sur-équipés en dispositifs communicationnels de toutes sortes ?’ ou bien ’l’asymétrie n’est-elle pas grandissante entre les individus/sujets/citoyens et les institutions sociales qui, grâce aux stratégies de communication qu’elles engagent, en viennent à gérer, avec des moyens de plus en plus sophistiqués, du consensus social ?’ ou encore ’la multiplication des dispositifs n’aboutit-elle pas à une juxtaposition ’d’espaces’ partiels, sans liaison les uns avec les autres’ ?’ 802 .

Notes
788.

Bernard MIEGE: La société conquise par la communication, Tome 1, opus cité.

789.

Ibid. p. 106.

790.

Ibid. p. 106.

791.

Un rapport, réalisé à la demande du Premier Ministre par une commission présidée par Pierre Mauroy a d’ailleurs été rendu public le 17 Octobre 2000. Il contient 154 propositions pour pousser plus loin la décentralisation et pour ’refonder l’action publique locale’.

792.

Karl POPPER: La télévision, un danger pour la démocratie, opus cité.

793.

Pierre ALBERT: La presse française, opus cité.

794.

Dominique MEHL: La télévision de l’intimité, opus cité, p. 225.

795.

Ibid. p. 242.

796.

L’espace public, opus cité, p. 105.

797.

Faire l’opinion, opus cité, pp. 68-69.

798.

Ibid. p. 72.

799.

Loïc BLONDIAUX: La fabrique de l’opinion, opus cité, p. 572.

800.

Bernard MIEGE: La pensée communicationnelle, Presses Universitaires de Grenoble, 1995, p. 94.

801.

Louis ALTHUSSER: Sur la reproduction, Presses Universitaires de France, Paris, 1995.

802.

Bernard MIEGE: L’espace public: au-delà de la sphère politique in Hermès, n° 17-18, 1995, p. 60.