De nombreux auteurs (Piaget, 1923 ; Pitcher et Prelinger, 1963 ; Caron, 1974 ; Applebee, 1978 ; Bereiter et Scardamalia, 1983) soulignent que le problème le plus fréquemment rencontré lors de l'entrée dans l'écrit correspond à la difficulté que représente la décentration et font l'hypothèse que l'acquisition de la compétence narrative est fonction de l'âge en se sens que plus l'enfant grandit, moins il est dépendant du contexte non linguistique. Cette notion de décentration correspond à la prise de recul de Fayol (1983) et comme Fayol, les auteurs cités situent l'acquisistion de cette compétence autour de l'âge de 8/9 ans.
En effet, jusqu'alors impliqué dans des situations d'oral, le jeune enfant profitait d'un contexte où l'émission et la réception du message se produisent dans un lieu et à un moment commun au destinateur et au destinataire. Or, avec l'écrit, le scripteur et le lecteur sont, dans la majeure partie des cas, séparés par le temps et l'espace, d'où la nécessité pour le scripteur d'anticiper les attentes et les connaissances du lecteur. Pour Piaget (1923), la décentration correspond à la capacité à dépasser la perspective égocentrée. Les différents auteurs semblent s'entendre sur le développement assez tardif de cette faculté : ce n'est que très progressivement que l'enfant parvient à passer de l'implicite à l'explicite, à intégrer à son texte des informations qu'il n'aurait, auparavant, pas éprouvé le besoin d'exprimer.
Cette compétence atteinte, le sujet pourrait donc commencer à produire des narrations reconnues comme telles. Cependant, avant de parvenir à des produits clairement orientés vers une fin, des produits ou chaque événement est réponse du précédent et stimulus du suivant, l'enfant passe par de nombreux stades qu'Applebee (1978) a essayé d'identifier :
Dans un premier temps, le récit produit est assimilable à un amas de propositions n'entretenant aucun lien les unes avec les autres, où les faits apparaissent comme appartenant tous au même niveau.
Puis, progressivement, on peut repérer des suites de propositions partageant un argument en commun qui est, le plus souvent, l'agent du procès.
Viennent ensuite ce que l'auteur appelle "narrations primaires" du fait qu'elles correspondent, en quelque sorte, à des scripts où les différents événements se trouvent regroupés sous une macro-action qui superordonne l'ensemble.
Au stade suivant, l'auteur place les chaînes non focalisées : chaque éléments est relié à celui qui le précède et provoque celui qui suit mais le texte obtenu reste dépourvu de clôture en ce sens que les événements s'arrêtent subitement, ce qui laisse l'histoire comme en suspend.
Ensuite, et c'est la dernière étape avant d'en arriver aux caractéristiques décrites avant cet inventaire, la chaîne du stade précédent s'oriente finalement vers une fin explicitement marquée mais les différentes actions présentées sont celles d'un seul et même personnage, ce qui ne contribue pas à la hiérarchisation des événements.
Il paraît difficile à Applebee (1978) d'inscrire un âge en face de chacune de ces étapes mais il semblerait que le stade "narrations primaires" corresponde à l'âge de 5 ans. C'est seulement à ce moment-là que l'enfant parviendrait à un semblant de hiérarchisation duquel découlerait donc une organisation en plans, chacun de ces plans contribuant à l'atteinte d'un but lui-même divisé en sous-buts.
Nous n'insistons pas plus longuement sur les aspects liées aux activités de production car il ne faut pas perdre de vue que nous travaillons avec une consigne de rappel d'histoires, ce qui correspond à une situation de production bien particulière. Il semblerait, de surcroît, que l'ensemble des éléments théoriques nécessaires à la bonne compréhension des analyses à venir aient été abordés.