L'unité "texte" peut être définie comme :
‘ "Une totalité où chaque élément entretient avec les autres des relations d'interdépendance. Ces éléments et groupes d'éléments se suivent en un ordre cohérent et consistant, chaque segment textuel compris contribuant à l'intelligibilité de celui qui suit. Ce dernier, à son tour, une fois décodé, vient éclairer rétrospectivement le précédent : on constate, si l'on s'y reporte, que la compréhension s'en est encore enrichie. Ainsi procédons-nous pour comprendre un texte. Toute phrase (et peu importe ce que l'on entend par là) est subordonnée à chacune des autres dans la mesure où elle n'est pas simplement déchiffrée en elle-même mais participe à la compréhension de l'ensemble des autres. Cela prouve seulement la solidarité de tous les éléments dans ce réseau de déterminations qu'est un texte" (Weinrich, 1973 : 174). ’Cette définition, très axée sur le principe d'interdépendance entre les différents éléments d'un texte, fait apparaître ce dernier comme un tout cohérent et cohésif. Au sein d'un ensemble de propositions, certaines contribuent à éclaircir les précédentes et à anticiper les suivantes mais cela ne nous semble pas être le cas de toutes les propositions d'un texte comme nous allons le voir dès à présent.
En effet, "‘la textualité peut-être définie comme un équilibre délicat entre une continuité-répétition, d'une part, et une progression de l'information, d'autre part’" (Adam, 1990 : 45). Beaucoup d'auteurs (Ducrot, 1972 ; Weinrich, 1973 ; Slakta, 1977 ; Combettes, 1986 ; Adam, 1990 ; Fayol, 2000) ont considéré ces deux conditions (i.e. condition de cohérence et condition de progrès) et ont montré que pour satisfaire le premier principe (i.e. principe de continuité-répétition), il est nécessaire que certains contenus réapparaissent régulièrement au cours du discours. En d'autres termes, il faut que le texte manifeste une certaine redondance. Puis, pour répondre au second principe (i.e. principe de progression de l'information), il faut éviter de se répéter, bannir le rabâchage, c'est-à-dire qu'un certain nombre d'éléments doit apporter une information nouvelle (Ducrot, 1972).
Adam (1990) donne quelques exemples d'écrits ne respectant pas soit l'un soit l'autre de ces deux principes. Pour illustrer le fait que certaines séquences de propositions apparaissent comme des non textes en raison d'un manque de reprise-répétition, Adam (1990) cite un extrait de tirade de Sganarelle :
Par le biais de cet extrait, Adam (1990) montre que si chaque phrase est bien formée, la suite paraît difficilement acceptable en raison d'une progression trop forte et d'une cohésion insuffisante. Il explique que "la seule reprise de l'élément apparu en fin de phrase précédente aboutit à un enchaînement du type "marabout, bout de ficelle, selle de cheval, etc."" (Adam, 1990 : 45), enchaînement qui ne satisfait pas le principe de continuité-répétition défini précédemment comme indispensable à l'unité "texte". L'auteur se sert également d'exemples démontrant la nécessité de respecter le second principe, celui imposant une progression de l'information :
Les propositions qui composent cet exemple n'introduisent plus, dès la seconde ligne, la moindre information nouvelle et l'ensemble viole donc la règle de progression. Si, pour résumer la tirade de Sganarelle (ex. [III.I.1]), on avait besoin de réécrire toutes les phrases présentes dans l'extrait, ici, un seul énoncé suffirait à rendre compte des cinq phrases de l'exemple [III.I.2].
Fayol (2000) montre que ces conditions peuvent être directement appliquées à la narration, cas qui nous intéresse plus particulièrement ici. Il explique, en effet, que ‘"la narration oblige l'auteur à gérer deux contraintes complémentaires inhérentes à la linéarité de la production. D'une part, il convient d'introduire des informations nouvelles, faute de quoi le récit n'aurait pas d'intérêt [...]. D'autre part, il faut assurer une continuité entre les éléments préalablement introduits et ceux qui le sont au fur et à mesure du déroulement de la narration’" (Fayol, 2000 : 188).
Aussi partons-nous du principe que parmi les différentes propositions constitutives d'un texte narratif, certaines seulement s'avèrent essentielles à la progression de l'histoire tandis que d'autres sont non-essentielles à l'avancement de la trame narrative. Les dernières relèvent du détail, elles sont là simplement pour agrémenter l'histoire, alors que la présence des premières est primordiale. C'est sur ces propositions-là que nous allons baser les deux chapitres à venir.